« Bakchich » aime déguster les vins. Mais avant de sombrer, sans modération, dans la béatitude ou le sommeil, il faut savoir de quoi nos bouteilles sont remplies, de trésors carmins ou de jus de planche. Et ce qui se passe vraiment dans les souterrains caverneux du monde du vin. Alors, nous avons demandé à Jean-Pierre Bacchus, pseudonyme d’un expert au palais averti et aux infos gouleyantes, de nous réjouir un peu. Il signe là sa première chronique « In vino veritas », à propos des manoeuvres sur le champagne, qui souffre, dit-on, de pénurie
Il y a bulle et… bulle. Les « financières » qui, lorsqu’elles explosent, à l’image de la crise des crédits « subprimes », donnent le blues aux banquiers du monde entier. Mais aussi les bulles de champagne, beaucoup plus fines qui font chavirer le cœur des amoureux.
Pourtant, si aujourd’hui la coupe est pleine dans les salles de marché, les vignerons champenois - eux - peinent à satisfaire tous les amateurs de brut ou de demi-sec. Les 385 millions de flacons qui ont été écoulés l’an dernier n’ont pas suffi, en effet, à étancher la soif inextinguible de l’internationale des fêtards.
Face à cette pénurie insoutenable et - il faut le dire - scandaleuse, l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) a décidé d’étendre les frontières de l’appellation figée depuis 1927, de 33 500 à 40 500 hectares. Cinq experts connus pour leur bouteille (un historien, un phyto-sociologue, un géologue, un climatologue et un technicien de la vigne) ont ainsi sobrement travaillé pour sélectionner les 40 heureux élus, parmi 300 communes candidates à la prestigieuse appellation. L’affaire s’annonce juteuse.
L’hectare de vigne en Champagne peut se vendre plus d’un million d’euros, à des années lumière de l’équivalent en terres labourables (7000 euros)… Du coup, la décision de l’INAO, rendue publique jeudi 13 mars, avait des faux airs de tirage du Loto.
Pas question néanmoins pour les gagnants de faire sauter - illico - les bouchons. Car la partie vient seulement de commencer. Avec, au centre de ce monopoly de la bulle, l’attribution par l’Inao des droits de plantations à partir de 2010, qui s’annonce pour le moins sportive. Les amateurs de champagne devront- eux- patienter avant de bénéficier de l’augmentation de la production. Temps de maturation des vignes (3 à 4 ans) et élevage (3 ans minimum en champagne) : les premières bouteilles issues des nouvelles parcelles ne sont pas attendues avant 2020. Alors seulement, les nouveaux vignerons de la Marne, de l’Aisne, de la Haute-Marne et de l’Aube pourront rouler carrosse, au risque se prendre un peu pour… des traders.