Le Conseil d’Etat s’est prononcé, mercredi 6 mai, contre la légalisation de la gestation pour autrui, « en considération de l’intérêt de l’enfant et de la mère porteuse ». La famille Mennesson illustre, elle, le combat juridique pour une harmonisation des législations.
Article déjà publié dans Bakchich le 24 avril 2009
Le débat sur les « mères porteuses » n’a jamais été aussi virulent que ces jours-ci. Plusieurs centaines de messages d’internautes qui s’écharpent sur les forum consacrés au sujet, soixante personnalités qui signent un appel en faveur de « la gestation pour autrui »… Il faut dire que la révision des lois de bioéthique, prévue l’année prochaine et précédée par des États généraux en cours, ouvre une porte à la légalisation de la pratique – interdite en 1994.
Pour ou contre, pas si facile de se forger une opinion sur le sujet… D’ailleurs, doit-on dire « mères porteuses », « femmes porteuses » ou « gestation pour autrui » ? La Secrétaire d’État à la famille, Nadine Morano, qui sert plutôt de référent aux militantes pro-légalisation de la gestation pour autrui, préfère dire « femmes porteuses ». Ce qu’elle explique dans une interview au Parisien du 10 avril dernier : « Une femme porteuse est uniquement une gestatrice : celle qui porte un embryon d’un couple et pour un couple, dans un acte de solidarité. Une mère porteuse donne son capital génétique, ce qui est différent. L’enfant est conçu avec son ovocyte. »
Pour ? Pour, mais c’est bien sûr ! Parce que tous les couples doivent pouvoir avoir des enfants, y compris lorsque la femme n’a pas d’utérus, parce que freiner les injustices est un devoir, parce que les femmes qui n’ont pas d’ovocyte, elles, peuvent en trouver. Parce que prêter son ventre n’est pas marchander mais aider, parce que l’enfant n’en serait que plus heureux. Mais aussi à cause de la légalisation aux États-Unis et dans certains pays d’Europe comme le Royaume-Uni, la Grèce et la Belgique, où l’« usage » de mères porteuses est légal.
Ou contre ? Contre, mais c’est bien sûr ! Parce qu’il faut respecter le préambule de notre constitution sur le respect des corps. Parce que, comme le déclarait la philosophe Sylviane Agacinski sur France Inter le 15 avril dernier, il ne faut pas faire des mères porteuses des « fours à pain ». Parce qu’une dérive vers une marchandisation des corps serait certaine, parce que ce sont surtout les femmes les plus pauvres qui portent les futurs rejetons d’autres femmes. En Inde par exemple…
Si le débat fait rage sur le net, dans les bistros, les hôpitaux, les cliniques et les maternités, il enflamme aussi la sphère judiciaire. Maître Nathalie Boudjerada, avocate au Barreau de Paris, se bat auprès du couple Mennesson depuis 2003 pour faire reconnaître leur parentalité sur « leur » fille, née d’eux, et du ventre d’une mère porteuse.
Monsieur et Madame Mennesson ne peuvent pas avoir d’enfant, la dame n’a pas d’utérus. Bon gré mal gré, ils s’envolent pour les États-Unis, où ils pourront profiter d’un autre ventre pour faire porter le bébé en toute légalité. Ce qui fut dit fut fait. L’enfant naît le 25 octobre 2000. C’est une petite fille.
Quelques heures après la naissance, monsieur et madame déclarent, en bons parents, la naissance de la fillette au Consulat français de Los Angeles. Mais quand l’officier d’état civil chargé d’inscrire la transcription [1] leur demande de justifier l’accouchement, les Mennesson n’ont guère d’autre choix que de dire la vérité.
À la stupéfaction et au grand dam du couple, l’affaire est rapidement portée au pénal, devant le Parquet. Oui oui, le Parquet ! Au nom du « trouble à l’ordre public », le Parquet annule, tout bonnement, la filiation, ainsi que la transcription de la filiation. En langage plus châtier, disons que c’est une rupture, juridique, entre parents et enfant. Les Mennesson perdent leur autorité parentale, et la petite, désormais orpheline, ses droits d’enfant. Donc, si ses « vieux » décèdent, la demoiselle peut dire adieu à l’héritage, et si les Mennesson divorcent, ni elle ni lui n’ont l’autorité parentale. Au nom du « trouble à l’ordre public », une expression du Parquet qui excède l’avocate du couple, Nathalie Boudjerada. Elle explique à Bakchich : « C’est au nom de l’ordre public qu’on a interdit les Fleurs du Mal de Baudelaire. »
En juillet 2002, la Cour d’Appel confirme la décision du Parquet. Déferlante de procédures, on passe du pénal au civil plus pénal. Et, le 18 août 2003, le malheureux couple est mis en examen. Puis bénéficie d’un étrange non lieu, en septembre 2004. Étrange puisque émanant du Parquet…
Mais, ô joie, l’affaire n’est ni terminée ni pliée. Elle est ensuite portée devant le Tribunal de grande instance (TGI) de Créteil. Qui déclare irrecevable la décision du Parquet, au nom de « la paix des familles ». Pour le TGI, l’action du Parquet porte atteinte à l’intérêt supérieur et primordial de l’enfant – conformément à la Convention Internationale des droits de l’enfant de New York du 20 novembre 1989 – et au respect de sa vie familiale. Qui plus est, pour le Tribunal de Créteil, les autorités françaises sont incompétentes pour annuler un acte d’état civil américain. Une décision qu’aurait également pu prendre le Conseil de l’Europe, qui soutient la légalisation des mères porteuses.
Affaire pliée cette fois ? Toujours pas ! Avocat et famille attendent de savoir s’il y aura ou non pourvoi en Cassation, et Nathalie Boudjerada est auditionnée à la fin du mois.
En attendant, la décision du Tribunal de grande instance de Créteil est loin de faire jurisprudence. Le 26 février dernier, dans une affaire similaire, le tribunal a requis, à l’image du Parquet, l’annulation de la filiation et de la transcription de la filiation.
Le temps judiciaire est parfois long… Mais il reste encore un an pour convaincre, du côté Pour comme du Contre. Haut les cœurs !
À lire ou à relire sur Bakchich.info :
[1] Tous les Français nés ou décédés à l’étranger, peuvent le faire savoir en France via leur inscription sur des registres d’état civile
Voici le texte de l’appel lancé par l’association CLARA auquel un millier de personnes a donné sa signature :
APPEL DU 28 MARS 2009 EN FAVEUR DE LA LEGALISATION EN FRANCE DE LA GESTATION POUR AUTRUI
Nous, signataires soussignés, solidaires des couples infertiles, appelons les décideurs politiques au nom de l’égalité des hommes et des femmes frappés d’infertilité, à se prononcer en faveur d’une légalisation de la gestation pour autrui en France afin que cette forme de lutte contre l’infertilité utérine des femmes soit pratiquée dans le respect de la dignité de chacun(e) et dans une perspective de responsabilité éthique.
Nous pensons que, comme dans d’autres grandes démocraties qui ont légiféré dans ce sens, toute personne infertile doit avoir le droit de se faire aider par une autre (comme cela se pratique déjà pour le don de sperme, d’ovules, d’embryons ou pour le don d’organes) sous le contrôle du juge. Nous pensons que la gestation pour autrui ne porte pas atteinte à la dignité de la femme si précisément elle est pratiquée dans des conditions claires et sûres, altruistes, dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation, qui exclut toute marchandisation de la personne. Nous pensons que les dérives liées à la clandestinité des pratiques actuelles de gestation pour autrui n’existent qu’en raison de la prohibition depuis 1994. Nous pensons qu’il convient que les enfants nés grâce à la gestation pour autrui aient une filiation identique à celle des enfants nés d’une autre forme d’assistance médicale à la procréation et à celle de tous les enfants, car l’intérêt supérieur des enfants, au sens de la Convention internationale des droits de l’enfant de New-York du 20 novembre 1989 fait qu’il n’est pas digne de priver ces enfants-là d’une filiation conforme à la réalité de leur vie familiale. La révision des lois de bioéthique, programmée pour 2009, doit être l’occasion de modifier la loi en ce sens opportun.
Nous vous demandons de signer le présent APPEL et de le faire circuler auprès d’autres personnalités. Dominique et Sylvie Mennesson, Co-présidents de l’Association CLARA Maître Nathalie BOUDJERADA, Présidente d’Honneur du Comité de Soutien Je signe donc le présent APPEL Nom : Prénom : Profession/Titre : à / Le Signature : A renvoyer à Association CLARA 283 rue des Pyrénées - 75020 PARIS ou à l’adresse e-mail suivante : claradoc.gpa@free.fr ou encore signer directement l’Appel sur notre site Internet http://claradoc.gpa.free.fr
Etant un ami proche de la famille Mennesson et connaissant la question de l’infertilité, j’ai noté beaucoup d’erreurs dans ce billet.
Sur la procédure : Vous semblez vous étonnez d’un non lieu au pénal prononcé à l’avantage des époux Mennesson le 30 septembre 2004. Il ressort de l’ordonnance de non lieu : « Que le délit d’entremise en vue de gestation pour le compte d’autrui apparaît inapplicable en l’espèce ». « Que les époux M. ont été mis en examen du chef de tentative de simulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil des enfants. » « La loi pénale française ne semble pas davantage applicable de ce chef. » « L’article 113-2 alinéa 2 du Code Pénal édicte que l’infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire. » « Or, tous les faits constitutifs de ce qui pourrait être qualifié de simulation au sens de l’article 227-2 du Code Pénal ont eu lieu sur le territoire des Etats-Unis, conformément à la législation en vigueur dans ce pays. C’est également dans cet Etat que les époux M. ont obtenu le 14 juillet 2000, le jugement de la Cour Supérieure qui légitime leur qualité de père et mère des enfants à naître. C’est également enfin dans cet Etat qu’ont été dressés les actes de naissance des enfants et que les autorités fédérales ont établi leurs passeports. »
Sur l’action au civil, le parquet a non seulement été déboutté en première instance par les juges de Créteil en décembre 2005, mais également par les juges de la cour d’appel de Paris en octobre 2007. Ce jugement a été ensuite annulé par la cour de cassation en décembre 2008 pour un motif procédural. En l’instant, c’est donc le jugement de première instance qui s’applique.
Sur le débat en cours : Il aurait été utile de vérifier les dires de Mme Agacinski. Le préambule de la constitution mentionne le respect de la dignité de la personne humaine. Ce principe universel existe dans de nombreuses constitutions étrangères et dans les conventions internationales et européennes. Mme Agacinski n’a pas peur de qualifier la gestation pour autrui d’esclavage et de prostitution et d’affirmer que le mot gestatrice est la pire insulte faite aux femmes, mais ces convictions personnelles ne lui permettent pas de faire dire n’importe quoi à la loi constitutionelle. Au passage, si on la suivait sur ce terrains, il faudrait donc penser que des démocraties exemplaires comme l’Angleterre, les USA, le Canada ou l’Australie qui ont légalisé la gestation pour autrui violeraient leur propre constitution et les conventions internationales qu’elles ont ratifiées.
Mais Mme Agacinski est bien esseulée dans ses fariboles apocalyptiques, c’est plus de 500 personnalités maintenant qui ont signé l’Appel à la légalisation de la gestation pour autrui lancé par l’association CLARA, dont de nombreux philosophes et féministes. Quand mme Agacinski reprend comme à la lettre le discours de Mme Boutin en l’habillant de références improbables (il me semble que la question de la médecine reproductive n’existait pas même en rêve à l’époque de Marx ou encore de Kant), on peut s’interroger sur la pertinence de sa revendication d’être une philosophe féministe de gauche. Il ne faudrait pas oublier cette question.
Et si vous réfléchissiez un peu sur la marchandisation des corps ? Ah oui, je suis out, trop vieille avec mes fariboles apocalyptiques… Mais quand on voit comment les marchands d’organes achètent des reins dans certains pays d’Asie, on peut avoir froid dans le dos. On démarre sur le désir d’enfant d’un couple stérile et on en arrivera à transformer certaines femmes pauvres en "gestatrices" professionnelles. L’esclavage moderne dans toute sa splendeur. C’est tout simplement immonde. Car la plupart de ces "mères porteuses" n’ont pas vraiment d’autre choix, c’est de l’exploitation pure et simple enrobée de bons sentiments dégoulinants. On pourrait aussi s’interroger utilement sur ce désir d’enfant forcené de la part de certains.
Voici des extraits d’un article de R. Zacot, anthropologue, "L’Occident, l’adulte et l’enfant" publié dans Le Monde il y a environ un an : "on est au coeur d’une situation dans laquelle l’enfant est convoité, désiré, acheté, transporté, choisi. La question sous-jacente est donc : quelle est la place et la valeur que l’adulte donne à l’enfant ? Trois exemples. Trois symptômes, qui ont tous un point commun : l’appropriation de l’enfant par l’adulte. Qui témoigne de la pathologie de notre logique culturelle. La fécondation in vitro (FIV), qui paraît justifiée, produit cependant une absence de transmission entre les parents et l’enfant ; l’enfant n’a et ne peut avoir de place ni dans une histoire ni dans une filiation. Bien que présent, le bébé n’existe pas. Ce qui compte, c’est le désir de l’adulte, celui de la médecine. Qui l’inscrivent dans leur logique…. ce processus commun a un nom : la perversion. Nier la réalité, imposer la sienne aux autres. Ne plus reconnaître l’autre comme un individu libre, substituer son désir au sien. Ces symptômes sont là parce qu’une culture les produit. Mais tout prend part à ce processus : l’école, la famille, la rue, la science, le virtuel, l’hôpital, l’entreprise, nous-même. Le schéma pervers est appliqué involontairement par chacun de nous."
Votre message est un excellent exemple de perversion…
Vous affirmez : "Car la plupart de ces "mères porteuses" n’ont pas vraiment d’autre choix, c’est de l’exploitation pure et simple enrobée de bons sentiments dégoulinants."
Je travaille depuis 12 ans sur la question de la gestation pour autrui. Dans les pays qui ont légalisé et encadré la pratique (au passage de grandes démocraties où tout comme en France l’esclavage est interdit), je n’ai jamais rencontré un seul cas de gestatrice contre son gré. Je voudrais que vous m’indiquiez sur quels éléments factuels vous appuyez cette affirmation, sachant que les lois de ces pays contiennent toutes l’obligation du consentement libre et éclairé.
Bonjour Je voudrais rectifier quelques erreurs qui se sont glissées dans votre article. Tout d’abord (mais c’est pour l’anecdote en l’occurrence) il me semble que les Mennesson ont eu des jumelles. Ensuite, l’arrêt de Juillet 2002 dont vous parlez ne s’appliquait pas à eux mais à un autre couple, qui lui n’était pas marié et dont le père avait fait une reconnaissance parentale et qui avait perdu en première instance au TGI de Nantes…. Les Mennesson en revanche ont obtenu un NON LIEU au plan pénal en octobre 2004, le parquet ayant reconnu qu’il ne pouvait pas faire la police de la maternité à l’étranger ni contester un acte d’état civil délivré par une autorité souveraine (en l’occurrence l’Etat de Californie autrement dit les USA, pays démocratique).
Et puis je voudrais revenir également sur ce que dit Madame AGACINSKI qui ne connaît rien à la question car elle ne l’a jamais étudiée et qui au lieu de donner des leçons de morale ferait mieux de s’occuper de ses affaires… car on ne voit pas à quel titre elle se permet de parler de cela. Enfin, les pratiques d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec celles dont parle Mme Agacinski car les gestatrices ne se font pas rémunérer (elle croit donc les françaises si égoïstes qu’elle ne croit donc pas au don gratuit ? Il est vrai qu’elle n’a pas ménagé sa peine, au lendemain de la défaite historique de son époux Jospin pour dire que les français étaient tous des idiots qui ne savaient pas voter). Je vous invite à signer l’APPEL à la légalisation de la GPA dont il est fait état dans cet article..