Un projet d’accord entre l’Union Européenne et les Etats-Unis prévoit la transmission aux autorités américaines des informations transitant par le système informatique d’échanges interbancaires Swift.
Les Européens sont décidément très fantasques ; alors qu’ils traînent les rangers pour s’engager plus avant dans le bourbier afghan aux côtés de leurs amis américains qui les sollicitent uniquement pour participer à quelques paisibles missions d’arrachage de pavot transgénique, ne voilà-t-il pas qu’ils redoublent de solidarité avec l’Oncle Sam pour combattre le financement du terrorisme international sur d’autres théâtres d’opérations.
C’est en tout cas la conclusion que l’on peut tirer d’un bien étrange projet d’accord entre l’Union Européenne et les USA, diffusé en nombre ultra restreint le 10 novembre et que le site de « whistle blowing » Wikileaks.org qui se l’est procuré, n’a pas tardé à mettre en ligne.
Le document, sobrement intitulé « projet de décision du Conseil Européen sur la signature d’un accord entre l’Union Européenne et les Etats Unis d’Amérique, portant sur le traitement et la communication aux USA dans le cadre de leur Programme de Détection du Financement du Terrorisme, d’informations financières détenues par SWIFT » a en effet été présenté la semaine dernière au Conseil Européen par Anna Cécilia Malmström.
Cécilia, ministre suédoise des Affaires européennes, a présenté ce chef-d’œuvre de coopération internationale au nom de la Suède qui assure jusqu’au 31 décembre 2009, la présidence tournante du Conseil de l’Union Européenne.
Et c’est peu dire qu’il risque de provoquer un joli tollé de ce côté-ci de l’Atlantique. De quoi s’agit-il ?
Tout bonnement, de fixer les conditions dans lesquelles seront transmises d’Europe vers les autorités américaines, les informations financières détenues par SWIFT. Comme chacun de nous l’a appris à l’occasion d’un virement international aussi modeste fut-il, la « Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication » détient le quasi monopole mondial des transferts électroniques interbancaires de fonds.
La société, fondée en 1973 et basée à La Hulpe près de Bruxelles, possède le statut d’une coopérative. Comme Clearstream, elle est détenue par ses adhérents au rang desquels figure évidemment toutes les plus importantes banques mondiales. Son influence est telle que le fameux code « BIC » qui figure sur nos bons vieux relevés d’identité bancaire est souvent qualifié par les spécialistes de code « SWIFT ».
Bref, les bases de données de SWIFT contiennent des informations du plus grand intérêt, notamment pour la CIA et le Département du Trésor américain.
A tel point qu’à la mi-juin 2006, le New York Times avait révélé l’existence d’un programme secret d’espionnage des transactions financières mondiales de SWIFT mis en place par le gouvernement américain peu de temps après le 11-Septembre.
L’affaire, qui avait fait grand bruit à l’époque, avait même conduit le 30 octobre 2006, notre CNIL nationale à condamner très sévèrement ce qu’elle qualifiait d’infraction grave aux règlements européens, laissant entendre que « l’espionnage » de la coopérative avait été mené un tantinet à son insu de son plein gré…
En décembre 2008, après plus de 2 ans d’enquête, la Commission belge de Protection de la Vie privée a décidé pour sa part, de mettre un terme à la procédure engagée à l’encontre de SWIFT en affirmant que, tous comptes faits, la coopérative n’avait pas enfreint la loi belge sur ce sujet en laissant maladroitement fuiter ses données.
Pour calmer la vague de protestation des européens, SWIFT s’était engagée à réorganiser l’architecture de son réseau en deux zones : une zone transatlantique gérée au moyen d’un centre de stockage de données situé aux USA et l’autre européenne, gérée au moyen de 2 centres respectivement situés aux Pays-Bas et en Suisse, mettant théoriquement ses données européennes hors d’atteinte de la CIA…
En pure perte puisque le projet d’accord de la présidence suédoise vise précisément à donner officiellement aux USA, un accès à toutes les transactions financières empruntant le réseau SWIFT, qu’elles soient domestiques ou intra-européennes.
Il va sans dire que les domaines d’application d’un tel accord sont très vastes et qu’il octroie aux autorités américaines un droit de regard quasi général sur les transactions financières mondiales.
De plus, le timing prévu pour sa mise en œuvre est très intrigant. La présidence suédoise propose en effet que « l’accord SWIFT » prenne effet le 30 novembre 2009, soit la veille de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne qui donne compétence en matière de justice et d’affaires intérieures au Parlement Européen : une course de vitesse assez troublante puisqu’il comporte une clause selon laquelle les parties entreprendront d’y substituer un accord à plus long terme dès que ledit Traité sera entré en application…
Encore sous le choc, les plus farouches adversaires ayant eu vent de l’accord tentent de s’organiser et s’appuient déjà sur l’une de ses propres dispositions pour le combattre « de l’intérieur » ; qu’on en juge (page 16) :
« Cet accord s’applique à l’obtention et l’utilisation d’informations relatives à des transactions financières en vue de prévenir, de détecter, et de faire condamner les actes d’une personne ou d’une organisation recourant à des actions violentes et dangereuses pour la vie humaine, mettant en péril la propriété privée ou les infrastructures publiques et qui, compte tenu de leur nature et du contexte dans lequel ils sont commis, peuvent raisonnablement être considérés comme destinés à déstabiliser gravement voire détruire les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale ».
On se demande bien quels pays pourraient, de bonne foi, oser prétendre avoir été victimes de tels agissements de la part des USA présidés, faut-il le rappeler, par un fringant prix Nobel de la Paix ?…
Télécharger le document trouvé par Wikileaks
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C’est bien l’Europe.
C’est surtout particulièrement démocratique.
De petits accords secrets et crapoteux en conventions discrètes, l’Europe atteint petit à petit sa véritable dimension, à savoir une simple extension des Etats-Unis.
Alors, happy ?
( Cherchez les conférences de François Asselineau sur le ouaibe - Indispensable. )