La justice internationale avance. Le mandat d’arrêt international lancé contre le président soudanais en exercice en atteste. Mais la route est longue, la pente forte et pas forcément droite.
Le démarrage de la Cour Pénale Internationale a été long et difficile, c’était prévisible.
Les premiers procès se mettent en place et avant même le mandat d’arrêt délivré contre le Président soudanais EL-BECHIR des voix s’étaient élevées pour stigmatiser le fait que cette nouvelle juridiction internationale risquait de n’être dédiée qu’au seul jugement des africains.
La Cour Pénale Internationale deviendrait donc sous nos yeux une Cour pénale pour l’Afrique et sa légitimité s’émietterait au fur et à mesure qu’elle se désuniversaliserait.
Certes, l’irréversibilité du mouvement vers une justice pénale internationale semble acquise. Pour autant, ces voix discordantes risquent fort de ne pas être que conjoncturelles.
Des menaces très lourdes pèsent aujourd’hui sur l’action du Juge pénal international. Elles vont bien au-delà du risque de disqualification de son action par son déficit d’universalité, même si le sentiment du « deux poids deux mesures », ne peut qu’aiguiser ces nouveaux périls.
Depuis l’origine, la Cour Pénale Internationale doit assumer une contradiction quasi ontologique : puisque si la justice internationale a vocation à être un facteur de paix, dans certaines circonstances elle peut attiser de nouvelles tensions et provoquer, demain au Darfour, une catastrophe humanitaire.
Le Juge International s’émancipe progressivement de la tutelle des politiques qui cherchent à le soumettre à leurs agendas. On pense évidemment au premier chef aux Etats Unis.
Par ailleurs, le sentiment du « deux poids deux mesures » est gaillardement et démagogiquement instrumentalisé par la Russie et la Chine dans leurs relations avec les pays du Sud.
Pour autant, personne ne peut contester que l’action du Tribunal Pénal pour l’ex-Yougoslavie a été un facteur - certes insuffisant et ambigüe – de rétablissement de la paix.
On se souvient en effet de l’audace de Madame Louise ARBOUR quand elle a inculpé de crime de guerre et de crime contre l’humanité Slobodan Milosevic, pendant le conflit au Kosovo, en juin 1999.
Beaucoup de grincements s’étaient fait entendre dans les Chancelleries européennes mais quelques jours après Slobodan Milosevic devait signer un accord de paix.
Face à un Etat qui, non seulement refuse de coopérer, mais qui est quasi hors la loi comme le Soudan, les risques deviennent d’autant plus importants que cet Etat est soutenu par une partie du continent africain et par tous les pays arabes.
EL-BECHIR a pris en otage cyniquement les populations du Darfour et n’hésite pas, alors qu’il est suspecté des crimes les plus graves, à se préparer à commettre un autre crime qui sera un jour répertorié comme crime international : le crime d’inhumanité consistant à laisser mourir des centaines de milliers de ses citoyens. Si ce crime était reconnu comme un crime international, les dirigeants de Corée du Nord, auraient dans cette hypothèse aux côtés de EL-BECHIR, une place de choix dans le box de la Cour Pénale Internationale.
En effet, l’expulsion des ONG du Darfour risque de provoquer une gigantesque catastrophe humanitaire.
300 000 darfouris sont morts ces dernières années et des centaines de milliers d’autres sont exposés à une mort certaine s’ils sont laissés à l’abandon, chacun le sait.
Certes la place d’EL-BECHIR est dans le box de la CPI mais les images de Guantanamo et d’Abou Graïb ont rendu illisible ce mandat d’arrêt dans une fraction de plus en plus importante des opinions publiques africaine et arabe.
Le boycott de la Cour Pénale Internationale par les Etats les plus puissants de la planète tels les Etats Unis, la Chine et la Russie contribue également à disqualifier l’action du Juge pénal international.
Circonstances aggravantes, si les promesses faites constamment dans les sommets du G8 par les pays du Nord de réduire la faim en Afrique étaient tenues, le message universaliste du Juge pénal international aurait plus de chance d’être entendu.
Enfin, en faisant la leçon aux Etats de la planète tout en théorisant en son sein la torture, l’administration BUSH a aggravé le discrédit de ce message universel et ce, pour longtemps.
Laisser des centaines de milliers de personnes mourir de faim rendrait les pays du Nord coupables du crime d’omission de porter secours à population en danger.
Le droit d’ingérence s’est construit sur l’idée qu’existait un devoir d’intervention, même militaire, face aux risques de catastrophe humanitaire.
Les mêmes ONG qui ont appelé de leurs vœux l’établissement d’une Cour Internationale pourraient demain, face aux risques d’une nouvelle tragédie au Darfour, appeler les Etats à saisir le Conseil de Sécurité sur la base de l’article 16 du statut de la CPI pour obtenir une suspension des poursuites contre EL-BECHIR, si cela apparaissait comme la seule solution pour sauver des centaines de milliers de personnes.
Le mandat d’arrêt contre EL-BECHIR risque fort de mettre la société civile dans une position totalement paradoxale. Les ONG pourraient considérer à juste titre que, pour éviter des centaines de milliers de victimes, il faudra frustrer toutes celles qui ont soif de justice alors qu’elles sont souvent les mêmes.
La diffusion dans quelques mois des prémices de cette catastrophe pourrait conduire certains Etats à tenter de rallier une majorité au sein du Conseil de Sécurité pour voter une suspension des poursuites qui est sans doute plus réaliste que d’imaginer le Conseil de Sécurité approuvant une intervention militaire au Darfour pour porter secours aux populations menacées. C’est la Chine qui aura le dernier mot car si elle n’hésitera pas à mettre son veto à l’intervention militaire au Darfour, elle soutiendra évidemment une demande de suspension des poursuites, rejoignant alors peut-être, le jeu des ONG humanitaires…
La boucle sera ainsi bouclée.
Alors que le mandat d’arrêt contre EL-BECHIR est indiscutablement très légitime, il peut contribuer à délégitimer ceux qui en sont les auteurs et de façon collatérale à ruiner le droit d’ingérence c’est-à-dire l’obligation de porter secours à population en danger.
Pourtant la communauté internationale devrait assumer toutes les conséquences de ce qu’elle a appelé de ses vœux, c’est-à-dire la création d’une juridiction pénale internationale et accepter, si tel en est le prix, de refuser le chantage des Chefs d’Etat bourreaux et voler au secours des populations prises en otage.
Ne pas le faire c’est risquer d’aggraver un peu plus l’incompréhension croissante entre les pays du Nord et une grande partie de l’humanité.
Pour lire ou relire sur Bakchich :
L’excellent William Bourdon, que j’aime est respecte, est dans la posture de "l’idiot utile" si appréciée, jadis, des staliniens. On bombarde Gaza, femmes vieillards et innocents et paf, que se passe-t-il, on met El-Bachir, le soudanais, au TPI. Personnellement, face à l’urgence de cadavres frais, je pensais plutôt à Olmert, Barak et Livni qui auraient pris la suite de Bush… Et c’est, justement, parce que ces gens là ne sont pas traduits devant un juge, que la CPI, instrument de la musique blanche, n’est pas crédible.Le problème posé, le vrai, est celui de la réalité des crimes.
J’étais au Kosovo pendant les bombardements de l’Otan alors que Le Monde et et son Garapon, son Kouchner titrait "100 000 morts au Kosovo" ! Réalité:3000 victimes issues du combat opposant les milices serbes aux milices albanaises.
Moralité, la guerre est assez odieuse sans qu’il y ait besoin de l’utiliser comme une double peine, en lui donnant un sens qu’elle n’a pas et des chiffres qui sont faux…Sachez, cher William, que le pilote diplômé de West Point, de Tel Aviv ou de Salon, qui rentre chez lui le soir pour tondre son gazon après avoir déversé des tonnes de bombes sur des innocents, ne sera jamais traduit devant votre TPI. En revanche, le chef d’état, un peu mahométan, un peu noir, qui n’utilise que les fusils M16 vendus par les USA, sera passible de la juridiction que vous aimez !
.. Oui vous êtes les humanistes et nous sommes les sauvages !
Au lieu de nous gonfler avec ceci, reconnaissez les crimes qui durent depuis un siècle en Palestine. Épuration ethnique, Escroquerie organisé, confiscation de bien de civile, bafouement du droit de réfugiés …
Le jour ou vous occidentaux, vous auriez le courage intellectuelle de dire que la Palestine est palestinienne et non pas Juive. Le jour ou vous demanderiez aux mercenaires juifs de retourner dans leurs pays et laisser la Palestine aux palestiniens,
Ce jour là .. on écoutera votre "humanisme" … D’ici là, l’histoire note votre cynisme … Vous insultez l’histoire, vous n’êtes pas les premiers, et derniers vous ne seriez pas !
J’approuve cet article nuancé sur la CPI et ses limites.
Qui va nous informer de la situation au Darfour, avec le renvoi de la moitié des ONG ? N’y a-t-il pas un risque d’oubli ?
Les occidentaux ont beaucoup à faire pour créer les conditions de leur crédibilité. Ils doivent s’y atteler avant de pouvoir donner des leçons.