Le procureur de la Cour pénale internationale vient de demander aux juges de la CPI de lancer un mandat d’arrêt pour « génocide » contre le président soudanais Omar al-Bachir. A Khartoum, la capitale, comme à El-Fasher, le chef-lieu du Darfour Nord, où « Bakchich » s’est rendu, les autorités tiennent le même discours : il n’y a pas de guerre, pas de génocide, seulement des bagarres entre tribus. Alors, combien de morts depuis 2002 ? L’ONU parle de 300 000 morts. « Dix fois moins », répond le régime du maréchal al-Bachir.
L’arrivée sur le petit aéroport d’El-Fasher, la principale bourgade de la province du Darfour Nord a quelque chose de surréaliste. Tout est calme. Les avions de l’ONU s’alignent sagement sur le tarmac. Dans le salon VIP, une poignée de chefs de tribus, tous vêtus de longues robes blanches, affalés dans de larges fauteuils, regardent un dessin animé de Tom et Jerry à la télévision. Ils attendent l’arrivée de Mohamed Osman Kébir, le gouverneur de la province, en partance pour Khartoum.
Le bruit du ronronnement du climatiseur se mélange à celui du vrombissement des ventilateurs. Mohamed Osman Kébir est un homme jovial et … incroyablement optimiste. Alors qu’Omar al-Bachir, symbole d’un régime sanglant et autoritaire, est sous le coup depuis quelques jours d’un mandat d’arrêt international pour crimes contre l’humanité, le gouverneur, avec un large sourire, assure « qu’ici tout est calme. La situation est stable. Au Darfour Nord, il n’y a pas de conflit. D’ailleurs ce matin, encore 30 000 personnes “déplacées” sont retournées dans leurs villages ».
Bref, tout va bien. Mohamed Osman Kébir nous invite à visiter sa petite capitale. « Vous pouvez marcher tranquillement dans les rues. Il n’y a pas d’agression. Vous pouvez également rencontrer le vice-gouverneur, c’est ancien rebelle qui a voulu faire la paix et qui nous a rejoint », ajoute le maître du Darfour Nord.
Son sourire s’efface quand nous l’interrogeons sur les milices arabes janjawids, soupçonnées de semer la terreur et de faire fuir les populations africaines du Darfour. Des milices manipulées par le régime du président Omar al-Bachir. « Les janjawids sont des hors-la-loi, ils n’ont aucun lien avec le gouvernement. Ce sont des gens qui pillent, qui volent les voitures de l’ONU », répond le gouverneur, embarrassé. Il doit nous quitter, son avion l’attend.
En juin 2007, lors d’un précédent reportage au Darfour, on croisait des hordes de janjawids, souvent juchées sur des camions, dans les rues d’El-Fasher. Aujourd’hui, ces miliciens arabes se font beaucoup plus discrets. Il est vrai que la Minuad, la mission conjointe de l’ONU et de l’Union africaine au Darfour, a installé ses quartiers dans la capitale du Darfour Nord.
Actuellement, elle ne dispose que de 9 200 casques bleus et policiers, sur les 26 000 attendus. Que peuvent-ils faire au Darfour, une région vaste comme la France ? « Nous n’avons même pas les moyens de poster un soldat tous les 20 kilomètres ? Comment voulez-vous sécuriser le désert ? », s’interroge le Nigérian Daniel Adekera, le responsable de l’information de la Minuad à El-Fasher.
La semaine dernière, un convoi de la Minuad a été attaqué, sept soldats ont été tués et 22 autres blessés. Une embuscade attribuée à des miliciens arabes. Khartoum nie sa responsabilité dans cette agression meurtrière.
Devenu vice-gouverneur, l’ancien rebelle Issa Barahidine Marmoud a conservé sa tenue kakie. « A l’origine, cette guerre était tribale. Elle est devenue politique. Chaque jour, il se crée de nouveaux groupes. Il doit y en avoir au moins 24 qui combattent le gouvernement », lâche-t-il visiblement peu optimiste.
Aux portes d’El-Fasher s’étend le camp Salam. Au moins 50 000 « déplacés », chassés de leurs villages, et qui survivent, parfois depuis cinq ans, dans de minuscules cases, attendant chaque jour l’aide du programme alimentaire mondial pour se nourrir.
Alors, combien de morts au Darfour ? Les autorités d’El-Fasher n’ont pas voulu citer de chiffres. A Khartoum, les ministères de la Justice et de l’information sont également restés muets. La presse locale préfère changer de conversation. Aux Affaires étrangères, après une bonne heure d’entretiens, un chef de service a enfin lâché que ce conflit avait peut-être tué 30 000 personnes. « Mais, il ne faut pas mettre ces morts sur le dos du gouvernement. Ce sont des tribus qui se battent entre elles ».
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