Alors que l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) poursuit son opération transparence en publiant ses comptes 2007 et en détaillant l’indemnité de départ de son ancien président, Denis Gautier-Sauvagnac, « Bakchich » a voulu en savoir plus sur l’ancêtre du Medef et les pratiques qui avaient cours alors, notamment pour financer la classe politique. Mme Parisot, accrochez vous !
Au Medef, à entendre Laurence Parisot, sa présidente, on ne savait rien des pratiques étranges en vogue dans l’une de ses fédérations affiliées – l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), avec ses millions retirés en cash de ses comptes bancaires et distribués en secret par les patrons successifs de l’organisation.
Achetant sa puissance et son influence à coup de billets remis de la main à la main, sans signature ni reçu, la riche UIMM n’était pourtant pas la seule à fonctionner dans cette zone grise. Au CNPF (Conseil national du patronat français), l’ancêtre du Medef, on connaissait l’usage des valises. Ça finançait joyeusement au 31, avenue Pierre 1er de Serbie, l’adresse historique du patronat, aujourd’hui déménagé avenue Bosquet, près du Champ de Mars.
Dans cet édifice acquis en 1937, un bel escalier classé monument historique est resté dans toutes les mémoires, ainsi que la discrète entrée située à côté de la principale. Ah, cette porte dérobée… Un ancien patron départemental de l’organisation patronale s’en souvient encore. « Un huissier asiatique ouvrait la porte avec méfiance. Il fallait montrer patte blanche avant de monter à l’étage », murmure-t-il à Bakchich, tant ces détails restent brûlants des années après.
Et pour cause : dans ces bureaux, le CNPF organisait le financement, en argent liquide, des hommes et des partis politiques. Pour la plupart, confie notre ex-patron local du Medef, des structures et des hommes plutôt « de droite », dont plusieurs sont aujourd’hui au plus haut niveau de l’UMP. Dans des villes gérées par la gauche ou (pire !) le parti communiste, comme c’était souvent le cas dans les communes où étaient implantées des industries, le CNPF arrosait les élus d’opposition. Il fallait bien soutenir les intérêts des patrons, à l’usine comme à la mairie.
Que trouvait-on derrière la petite porte du CNPF ? Il y eut, pendant des années, celui à qui était dévolu le titre ronflant de « délégué du président du Conseil national du patronat français » : Aimé Aubert, surnommé le « Pharaon » dans les couloirs du siège du patronat. Officiellement, le trait d’union avec le monde politique. En réalité, spécialiste des questions électorales, il aidait les uns et les autres à se financer avec quelques belles valises. Et pas remplies de carton, s’il vous plaît.
Le journal du PS, L’Unité, publie ainsi en 1973, sous la plume de Nicolas Brimo (aujourd’hui l’un des boss du Canard enchaîné), une enquête sur les subsides du patronat. « En mars 1973, écrit le journaliste, tout candidat de la majorité qui passait dans son bureau repartait avec 300 000 anciens francs. (…) Les fonds que distribue Aimé Aubert proviennent du budget propre du C.n.p.f. Par ailleurs, les très grosses fédérations, celles qui ont les plus importantes ressources (entre 500 et 700 millions d’anciens francs) financent par elles-mêmes. En 1969, par exemple, Jacques Ferry, patron des ”métallurgistes”, a été le plus gros bailleur de fonds du candidat Pompidou ». Déjà les métallos faisaient parler d’eux…
Avant le Pharaon, il y avait eu, dans les couloirs du patronat, d’autres financiers de l’ombre, à la tête de divers départements à l’appellation plus ou moins fumeuse, tel le Centre d’études administratives et économiques. André Boutemy fut l’un d’entre eux. Il n’hésitait pas à raconter en public qu’il avait gardé le nom de tous ceux qu’il avait arrosés. C’était l’époque où un dirigeant du Parti communiste interceptait une lettre d’un député des Deux Sèvres, Clovis Macouin, adressée au CNPF, se plaignant de ne pas avoir suffisamment touché, et la brandit à la tribune de l’Assemblée nationale… On imagine l’ambiance à la Chambre.
Henri Weber, député européen PS, qui a effectué une plongée, dans les années 1980, au coeur des arcanes du patronat pour un livre de réfèrence, « Le Parti des patrons », revient sur cette époque où les scandales étaient bien plus retentissants que celui de l’UIMM. Il le dit face à la caméra de Bakchich TV. Guettez sa réaction à la question de savoir si le Medef, d’après lui, perpétue ces pratiques de financement occulte…
Après le Pharaon, un autre hiérarque du CNPF est resté dans les mémoires reconnaissantes de quelques élus. Michel de Mourgues, digne représentant de la droite conservatrice et catholique, aux dires des anciens du CNPF, a dirigé un service au nom, là aussi, très flou : le « Service des études législatives », que les initiés dénomment le SEL, rebaptisé pour lui donner un aspect encore plus lisse : « Direction générale des études législatives ». Une petite dizaine de personnes officiellement dédiées au lobbying.
Contacté pour les besoins de cette enquête, Michel de Mourgues, qui a quitté le Medef et reste aujourd’hui administrateur et vice-président de la banque Bred, n’a pas souhaité nous répondre. A son domicile du VIIème arrondissement, après la troisième tentative de le joindre, une dame fort aimable prend nos coordonnées au téléphone et assure que « cela ne sert à rien de rappeler », Michel de Mourgues « ne nous répondra pas ».
Pourtant, il en aurait des choses à raconter, Michel de Mourgues… Dans les années 1980, les représentants de fédérations lui apportaient des chèques représentant les cotisations rassemblées par la fédé. « Il me disait : revenez dans trois jours, se souvient l’un d’entre eux. Trois jours après, j’étais de retour dans son bureau, et il me remettait des billets à la place des chèques. Je repartais avec l’argent liquide ».
Une manière de décentraliser les financements : pour plus de sécurité et toujours plus de secret, le CNPF, qui n’était pas particulièrement riche, recevait des fonds de la part de ses principales fédérations, telle la métallurgie (UIMM), le bâtiment, la grande distribution, l’audiovisuel, et les reversait à ses filiales locales. A charge pour elles de distribuer sur le terrain…
Remarque d’un connaisseur du système : « Le financement des politiques par les centrales professionnelles permettait d’éviter le trafic d’influence et de déconnecter l’attribution de marchés publics de la remise d’argent ». Ah bon ? Il nuance néanmoins : « Enfin bon, il fallait quand même que celui qui recevait l’enveloppe sache qui le payait ». Ça pouvait toujours servir, en effet.
Avec l’arrivée de la gauche en 1981, le patronat se paie la frousse de sa vie. Les communistes sont au pouvoir, et voilà même que le CNPF élit à sa tête Yvon Gattaz, un patron de PME qui ne sera pas, aux yeux de certains patrons, suffisamment solide face au pouvoir socialiste, qui nationalise à tour de bras. Au sommet du patronat, on est divisé, et beaucoup refusent que l’idéologie « rouge » mette des bâtons dans les roues du fonctionnement des entreprises et étouffe les sirènes libérales qui charment leurs patrons.
« La nationalisation des grands groupes, auparavant gros pourvoyeurs de fonds, a cassé les filières du financement politique. Le CNPF, en échange de la neutralité de la gauche à l’égard du monde de l’entreprise, a pris l’engagement de stopper les financements des partis de droite », poursuit notre expert.
Sauf que certains, au sein des instances du CNPF, ne sont pas d’accord. Le fameux SEL, ainsi que plusieurs fédérations professionnelles, vont perpétuer l’arrosage des politiques de droite. Le SEL devient pendant quelques années un quasi-État dans l’État au sein du patronat.
Fin 1997, Ernest-Antoine Seillière prend au CNPF la succession de Jean Gandois, après la démission de ce dernier. C’est sous son ère que le syndicat des patrons change de nom. Adieu le CNPF, bonjour le Medef. Laurence Parisot succède au bon baron le 5 juillet 2005.
Sans avoir jamais su ce qui se passait au « Service des études législatives »… ?