Jacques Gaillard fait revivre le grand bazar de son enfance, du berlingot Dop au slip Kangourou.
Ah l’oeuf mimosa, « ce soleil des hors d’oeuvre populaires » ! Personne, mieux que Jacques Gaillard, n’a magnifié ce héros perdu des tables du dimanche, qui ne figure plus sur les menus de bistrot, détroné par l’oeuf mayonnaise. Toujours accompagné par une bonne grosse tomate crue, bourrée de macédoine de légumes, l’oeuf mimosa symbolisait, selon Gaillard, « le règne de cet être raisonnable et doux que De Gaulle… appelait la ménagère : le vrai pilier de la société française. »
Le « chosier » de l’ami Gaillard – l’expression est de Vialatte – est réjouissant, truculent. L’éternité est à notre portée et les trésors, rustiques, de son bric à brac cosmique élevés à la hauteur de mythes.
Dans « qu’il était beau mon Meccano », vingt et un croquis se succèdent : la petite Calor, l’ancêtre bleue, forcément bleue, de la machine à laver ; mais la conjugalité, note Gaillard, survivra aux rinçages défectueux ; la « Nénette », de son vrai nom, « la véritable lustreuse imprégnée », une brosse à reluire pour les automobilistes amoureux de leurs voitures ; l’anti-monte-lait, un des rares noms français composés de trois bouts et donc ignorés du petit Robert. Et aussi, et encore, le Meccano, les beaux buvards, les dixièmes de Loterie Nationale, Rintintin, l’Adagio d’Albinoni ou encore le slip Kangourou, qui, note l’auteur, peut se révéler « extrêmement casse couilles ».
« L’odeur du temps », disait Apollinaire cité par Gaillard. Pas simple de ne pas jouer au Marcel Proust de la vieillerie. Fine guêpe, Jacques Gaillard voit bien le danger de son excursion dans le passé : se laisser aller à la nostalgie, cultiver un vague devoir de mémoire. Ou, pire, se voir ramené au rang d’adepte du vide grenier, de chasseur de brocantes. Gaillard évite ces périls dans ses hymnes enjoués au quotidien, dans cette recherche de l’objet perdu.
Passéiste ? Jamais, ou presque. Parfois, notre conteur se fait gentiment moqueur face à l’obsession du Progrès ou face au culte de la Révolution. « Cette génération demandait la Lune : elle l’a eue. Moi même, je n’en reviens pas. Ou plutôt j’ai peine à concevoir comment cet événement absolument extraordinaire a pu se dissoudre dans la banalité d’une mémoire confuse, à peine ranimée, l’espace d’un jour, par la célébration d’un vingt ans ceci, d’un trente ans cela ».
Mais les coups de griffe d’un rêveur ne font jamais mal, l’essentiel est ailleurs : « Pour tuer le temps, disait Aragon, il n’y a rien de mieux que la mémoire ». A cette altitude là, on va à l’essentiel. Et on revient forcément, en guise d’épilogue, à l’année 1964, lorsque en France, « on était conservateurs, mais modernes ». Et savez-vous que cette année là, une femme russe aura été la première cosmonaute de l’Histoire ? Une autre femme, Nicole Questiaux, est nommée pour la première fois commissaire du gouvernement au Conseil d’Etat ? Et, Bernard Pivot, cette année là, aura eu le sentiment, en changeant de voiture, de répudier sa femme ?
« C’était un demi siècle, conclut Gaillard, et les pendules avançaient ». Des pendules en formica jaune, voilà tout !
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