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La petite Calor

Lessive / samedi 6 septembre 2008 par Jacques Gaillard
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Elle a lavé le linge sale des enfants du baby-boom, à l’âge où s’amuser tout seul ne suffit plus, comme dit la chanson. Son achat constituait le signe par excellence d’une entrée en cohabitation durable, dans un appartement vieillot aux murs hâtivement repeints en orange vif (la couleur à la mode, alors) pour « être dans le vent ».

Quant à elle, la petite Calor, était d’un bleu qui laissait espérer de futures layettes, et sa matière était un robuste plastique : en bref, c’était une cuvette, mais irriguée par un tuyau branché directement sur le robinet d’eau chaude de la salle de bains, et animée par une sorte de turbine grâce à un moteur électrique placé dans le couvercle, et quelques engrenages, eux aussi, en plastique. Une minuterie permettait de « lancer » la lessive, en définissant non des programmes, mais des durées.

Cette machine à laver rudimentaire avait l’avantage considérable de ne pas coûter bien cher, et de se laisser transporter aisément : on pouvait la prendre sous le bras en cas de rupture, et claquer la porte. Elle permettait d’éviter à la fois les interminables stations dans les laveries automatiques (encore rares à la fin des années soixante, mais déjà remarquables par leur climat tropical), et le désolant spectacle des chaussettes (lui) et des petites culottes (elle) marinant dans le lavabo pendant des heures, voire des jours. La modernisation des moeurs plaçait le mâle et la femelle sur une même ligne face à l’obligation de faire la lessive, et cette machine, par la simplicité de son fonctionnement, écartait d’emblée l’alibi d’une spécialisation féminine fondée sur le savoir-faire ancestral des lavandières. Certes, les publicités lamentables de l’époque vantaient l’énergie stupéfiante des poudres à laver enrichies d’enzymes gloutons en proposant des dialogues stupéfiants entre ménagères rivalisant de zèle pour blanchir le marcel de leur homme – le regretté Coluche, en commentant le « plus blanc que blanc », leur a fait un sort. Mais dans les couples urbains façonnés par l’université, en tout cas, la parité commença souvent par la petite Calor. Parfois, elle alla jusqu’à la cuisine. Mais elle parvint rarement à la planche à repasser…

Oups, le slip d’André a viré au rose cyclamen !

J’entends encore le ronronnement caractéristique de cette lessiveuse. Bruit de fond contemporain de l’essor du Pink Floyd, des orages de Woodstock, des pantalons à pattes d’éléphant et des chemises à col pelle-à-tarte. Les deux pieds sur la table basse (élément indispensable de la nouveauté, contondant à souhait, croûlant sous les cendriers), le couple lisait Fluide glacial pendant que son petit linge s’entortillait dans la lessive mouvante – il était commun d’abuser de poudre lavante, par inexpérience et souci de bien faire, et la petite Calor devenait alors un Stromboli débordant de mousse irrépressible : vingt minutes de lavage, deux heures de rinçage dans des hectolitres d’eau. Les autres catastrophes prévisibles, mais fréquentes étaient le retrécissement radical du petit pull shetland bleu Nattier de Nathalie ou le virage au rose cyclamen du slip d’André (eh oui : à cette époque, personne, ou quasiment personne, ne s’appelait Mathis ou Léa). L’eau trop chaude, le mélange des couleurs ont défait bien des couples sans doute mal assortis, car, normalement, la conjugalité survit aux rinçages défectueux.

La petite Calor contre le confort bourgeois

D’autres, en revanche, se sentaient suffisamment assurés, désormais, pour se reproduire. La petite Calor chantait alors quotidiennement sa ronronnante romance sur fond de braillements, et tentait (avec un succès très relatif) d’effacer les traces des diarrhées sur les ultimes langes en coton que connu notre civilisation de riches. Car les Pampers sont de merveilleuses choses jetables qui remplirent nos poubelles et vidèrent nos porte-monnaie, mais garantirent aux fesses de nos lardons une hygiène acceptable, alors que les couches antiques de tissu triangulaire mal rincées dans la baignoire après les turbulences savonneuses de la Calor, leurs procuraient des irritations intolérables cautérisées par des couches abondantes d’une pommade au zinc qui ressemblait à de la moutarde. Ils hurlaient, on s’engueulait, la machine à laver faisait ce qu’elle pouvait, mais l’élévation du standing des jeunes parents (avec l’aide de Papy et Mamie) permettait un déménagement, puis l’installation d’une vraie machine à laver, avec des curseurs, des programmes, une essoreuse, en un mot, un confort bourgeois. Oubliée instantanément, la petite Calor était remisée en province, offerte à plus pauvre ou balancée à la décharge. Les survivantes ont fait (et font encore, me dit-on) le bonheur des fanatiques du camping.

A propos de survie, n’oublions pas ce point : en équilibre précaire sur une planche jetée en travers de la baignoire, alimentée en électricité par une ou deux rallonges qui allaient intrépidement de la lampe du lavabo au moteur de la machine en passant parfois par le sol, pleine d’eau, évidemment, et vidangée par gravité dans l’écoulement de la douche, la petite Calor était un exemple de ce que les normes de la sécurité électrique de nos salles de bains ont, de tout temps, abominé. Un danger public et permanent, à la moindre chute, en cas d’inondation, surtout sur des carreaux de grès… Eh bien, croyez-moi si vous le voulez, à ma connaissance, seul Claude François en est mort.

Lire ou relire les dernières Chroniques nostalgiques de Jacques Gaillard :

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3 MESSAGES

Forum

  • La petite Calor
    le dimanche 5 octobre 2008 à 15:45, L273 a dit :
    J’en ai eu une en 75 ! Zavez pas une photo ou ne dessin ?
  • La petite Calor
    le mercredi 24 septembre 2008 à 22:55
    Un vrai bonheur que vos chroniques.Je les ai découvertes ce soir et lues avec gourmandise. Merci
  • La petite Calor
    le lundi 8 septembre 2008 à 11:30

    Pince moi Jacques, je rêve ou je viens de rajeunir.

    PS.Était telle là dans les années 50 ? Moi mon achat a été milieu années 60. Dur boulot, petit salaire, et 68 pas encore arrivé

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