L’œuf mimosa, toujours accompagné de sa mayonnaise maison, a quitté les assiettes et les cartes des bistrots. Il a disparu en même temps que la « la ménagère », si chère au général De Gaulle.
Pendant longtemps, l’œuf mimosa fut le soleil des hors d’œuvres populaires. Sur la table du dimanche, il escortait en nombre toujours pair (deux demi-œufs faisant un œuf) la reine joufflue de nos étés, la bonne grosse tomate crue bourrée de macédoine de légumes liée à la mayonnaise. De la sorte, la mayonnaise servait deux fois, on ne l’avait pas montée pour rien. Pour l’œuf mimosa, on y mêlait le jaune des œufs durs, passé à la moulinette à persil, semoule fragile et dorée dont on conservait quelques pincées, pour ce saupoudrage final qui, sur l’œuf, simulait le mimosa. Tout le mystère de la tomate tenait à une boîte de cette macédoine de légumes que j’aperçois encore sur les rayons « conserves » de la supérette sans jamais en rencontrer au restaurant : je ne sais qui en mange encore, ni avec quel assaisonnement (ce mélange est on ne peut plus fade) ; il en existe des boites minuscules, pour veufs, et d’autres énormes, pour scouts. En tout cas, j’ai peine à imaginer que l’on puisse s’en régaler.
L’œuf mimosa ne figure plus guère, non plus, sur les menus de bistrots. L’œuf dur-mayonnaise, qui, faute d’une langue régionale, fait en quelque sorte, comme le hareng-pommes-à l’huile, partie du patrimoine parisien, semble avoir imposé sa banalité simpliste. Car l’œuf mimosa impliquait un travail délicat : c’était un artéfact, et non pas un cocon bouilli, écalé et coupé en tranches sur une feuille de salade décorative. Il pouvait être meilleur, certains dimanches, que le dimanche précédent, parce que la mayonnaise avait été plus justement mesurée dans son mélange avec le jaune (l’équilibre se traduisait par une relative légèreté). Nous étions alors à l’âge de cet être raisonnable et doux que De Gaulle, dans ses discours apaisants comme la camomille et lexicalement désuets, appelait : « la ménagère ». Le vrai pilier de la société française, qui maintenait les valeurs morales en confectionnant de la chapelure avec le pain rassis et en farcissant des paupiettes. L’œuf mimosa, la tomate–macédoine étaient la preuve que la ménagère avait médité une « entrée » pour sa tribu, au lieu de lui présenter banalement le contenu d’une boite de sardines à l’huile, ou une tranche de pâté de foie. En semaine, à midi, c’était charcuterie-bidoche, et le soir, soupe de légumes-frometon.
Les hors-d’œuvre étaient parfois des chefs-d’œuvre, car les repas de famille appelaient des plateaux compliqués où l’œil prenait son plaisir : des rosaces d’œufs mimosa, des guirlandes de tomates-macédoine, quelques aspics au jambon moulés dans des godets ovales, un semis des cornichons et parfois, pour Noël, une terrine maison emmaillotée de barde, la tablée applaudissait et engloutissait ces humbles merveilles dont l’arrangement harmonieux avait occupé longuement plusieurs cuisinières fébriles pendant que les hommes buvaient des apéritifs anisés pour faire passer la messe. Des appareils plus ou moins compliqués, avec des récipients en plastique, de becs verseurs, des doigts articulés, des roues dentées et des manivelles prétendaient garantir contre tout risque de rater la mayonnaise, suscitant, de la sorte, une inquiétude immotivée chez des ménagères qui ne les rataient jamais. Le salon des Arts Ménagers, fondé en 1923, en proposa bien vingt types à son apogée, et en 1955, Boris Vian, dans une chansonnette sulfureuse intitulée par la suite : « La Complainte du Progrès », épinglait une idéologie moderniste qui faisait de la moulinette l’instrument du bonheur ; en 1961, le salon, après avoir colonisé annuellement le Grand Palais, avait pris une telle importance qu’il occupait tout le palais du CNIT, à la Défense ; puis le Salon mourut, en 1983 : fini le temps des ménagères, il n’y a plus, désormais, que des consommateurs.
Entre-temps, bien des choses avaient changé. Les œufs, me semblent-il, ne sont plus aujourd’hui aussi gros qu’ils l’étaient. Les poules, abruties sous la tôle d’un hangar surchauffé, n’ont plus la tête à ce qu’elles font. Et on achète de la « mayo » en pot, voire en tube, momifiée par divers conservateurs. Naguère, on ne disait jamais « mayo » : cette ivresse des abréviations prit son vol sous Giscard, comme quelques autres dandysmes, dont l’exemple caractéristique est le cœur de palmier, qui fit fureur et constitua pendant quelques années un signe de distinction sur le plateau des hors-d’œuvres, alors que l’œuf mimosa, non, merci. L’avocat, qui avait mis trois siècles à traverser l’Atlantique depuis le Mexique (où son nom tribal est : « testicule », ce qui ne manque pas d’élégance), fut vers la même époque d’un raffinement exquis, et continue d’avoir ses amateurs, souvent au régime, hélas. Mais le cœur de palmier ? Que fait-on désormais de ces palmiers et de ces cœurs ? Comme la macédoine, ils subsistent sur les rayons – mais leur gloire est derrière eux.
Ainsi va la vie. Le topinambour renaît, on offre du saumon au chat, il y a du foie gras à la cantine. L’œuf mimosa ne fait plus que le bonheur des petits enfants : c’est la première leçon de cuisine, paraît-il, dans les maternelles bien équipées.
j’éléve mes poules moi méme avec du bon grain direct de petites fermes
je suis un homme et j’aime cuisiné les oeufs mimosa sont délicieux méme mes enfants en font
j’ai revu cette recette par hazard merçi
nous dans la picardie on en fait encore méme en famille
Votre chronique est un véritable régal.
Vous m’avez fait retrouver, le temps d’une lecture et un peu au-delà, le goût de mon enfance en même temps que celui des oeufs mimosa.
J’espère avoir bientôt l’occasion de découvrir les nouveaux fruits de votre grand talent littéraire.
Bien cordialement,
F.