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Ecoliers / dimanche 30 novembre 2008 par Jacques Gaillard
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L’école communale fut longtemps un lieu pur où n’entraient ni Dieu, ni Satan, ni les cierges, ni l’argent….

L’école communale fut longtemps un lieu pur où n’entraient ni Dieu ni Satan, ni les cierges, ni l’argent… On y portait des blouses grisement égalitaires (mais, paraît-il, on y revient !), et tout était fourni par une généreuse République, cahiers, plumes, bouquins usés jusqu’à la trame, remplis de rois de France paresseux, de baignoires qui fuient et de trains qui se croisent, et de lectures édifiantes auxquelles Hector Malot apportait une contribution disproportionnée à sa gloire. L’encre violette, obtenue par dissolution d’une poudre ad hoc dans une bouteille d’apéritif, avec un bec verseur comme pour servir l’anisette, et instillée chaque lundi dans les encriers de porcelaine blanche, les plumes dures, inoxydables et imputables à un sergent-major d’on ne sait quel régiment, les porte-plumes en bois modeste et rectiligne, tous ces outils étaient donnés, donc imposés : à peine tolérait-on la fantaisie d’un manche contourné, façon faux ivoire, qui laissait voir, en son centre, si l’on collait son oeil à un trou minuscule, la Tour Eiffel ou une starlette très peu dénudée. Mais pour boire l’encre de la Nation, il fallait des buvards. Ils étaient nécessaires à la bonne tenue des cahiers : une page cochonnée par des taches ou des coulures d’encre dénotait une âme basse. A coups de taloches s’il le fallait, le maître veillait à ce qu’on ne fermât pas le cahier sans avoir pompé l’encre avec un buvard, faute irrémédiablement dénoncée par la reproduction, inversée, de la dernière ligne écrite sur la page opposée.

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C’est par cette brèche que le monde capitaliste entra dans la classe. L’institution, si tatillonne sur le sacré de sa mission, ferma les yeux sur l’invasion païenne des buvards célébrant de la brillantine, du chocolat ou une tisane laxative. Certes, il se vendait des buvards vierges de toute réclame, en pochettes, à la papeterie du coin, lieu magique où s’étalait l’opulence exorbitante des protège-cahiers en plastique, des carnets à spirale, des gommes de toute substance et du fabuleux bloc-calendrier dont chaque page offrait une vignette humoristique du genre : « Vous ici ? Je vous croyais au zoo… », légende dont je n’ai jamais compris le sel. Ces buvards pondéreux, d’une texture parfaite, déclinés en teintes profondes, on en achetait une pochette pour la rentrée scolaire, avec consigne de les économiser. C’est à peine si on osait les souiller ou en mâchonner un coin fadasse à temps perdu. Les buvards de réclame, trop fins, mais gratuits, se prétendaient tous « de qualité », ou, carrément, « extra » ; mais certains étaient si mauvais qu’au lieu d’aspirer l’encre, ils l’étalaient ; comme une des fonctions masquées de l’école publique était de nous mettre en garde contre la malhonnêteté foncière du capitalisme, nous n’étions pas surpris par cette tromperie. Pour vendre, ces gens-là feraient n’importe quoi, et les mêmes qui versaient, paraît-il, de l’eau dans le lait après avoir chéri Pétain n’avaient pas davantage de scrupules à nous refiler des buvards salissants, pourvu que leur réclame y figure en grosses lettres.

Mais les buvards imprimés de réclames étaient beaux ; ils nous amusaient. Certains proposaient une devinette, un dessin compliqué dans lequel il fallait retrouver la pipe de l’explorateur ou le chien du paysan. D’autres se paraient d’un dos en papier glacé, avec des slogans en trois couleurs. Des guerres commerciales couvaient dans nos cahiers : par buvards interposés, la Vache qui rit subissait les assauts de la Vache sérieuse, l’une exhibant son insolente hilarité grâce au génie (trop méconnu) d’un dessinateur capable de faire sourire une vache, l’autre proclamant que « Le rire est le propre de l’homme ! Le sérieux est celui de la vache ! », avant de sommer le consommateur sérieux de choisir une « maison sérieuse » pour acquérir ce produit « fabriqué exclusivement avec du gruyère et du beurre ». Le Petit Gervais rivalisait avec le yaourt Danone, car le capitalisme laitier était encore en construction. Les cirages puisaient largement dans la faune pour trouver des totems, lions, cygnes, girafes, kiwis, que sais-je ?, et l’on vantait sans vergogne aux écoliers la saveur de diverses liqueurs basques ou monastiques. Des croquis explicites démontraient comme une « vérité à méditer » (sic) que deux litres d’ « huile des Chartreux », « supérieure à l’huile d’olives dont elle n’a pas le goût fruité » (ces Chartreux faisaient de l’insipidité vertu…), équivalaient à « trois litres de toute autre huile ». Beautés de l’assertion publicitaire !

Des séries déclinaient des châteaux, des chansons, des bovins de toutes races voués à se dissoudre dans un bol fumant de bouillon Potox. « A conserver », lisait-on sur ces buvards : on nous voulait papibévérophiles, ou papyrencosbibéphiles. Voire même potorchartophiles ou pictopublicéphiles. Les collectionneurs de buvards collectionnent les dénominations. Aucune passion n’a été autant stimulée par internet, où pullulent les sites pleins de buvards disparus. Car à la différence des sous-bocks et des étiquettes de camembert, le buvard s’est effacé, emportant, tatouée sur son ventre, l’empreinte inversée d’une ultime addition, d’une suprême dictée, de notre dernier mot d’enfant. Chassé, vers 1965, par le stylo à bille. Finit alors le temps des pleins et des déliés. On cessa de remplir les encriers. De toute façon, l’encre de l’Histoire n’avait, déjà, plus le temps de sécher.

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13 MESSAGES
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Forum

  • BUVARDS
    le dimanche 28 décembre 2008 à 10:08, Alain a dit :
    Un moment savoureux que la lecture de cet article. Le buvard devient notre madeleine à nous .Les effluves parfumées de l’encre bleue ou violette chatouillent à nouveau nos narines.
  • BUVARDS
    le dimanche 30 novembre 2008 à 21:45, papalerebelle a dit :

    Chronique très bien écrite avec ce qu’il faut de nostalgie,ceux qui ne l’ont pas connue, comme disait Talleyrand, ne savent pas ce qu’était la douceur de vivre de cette époque. (malgré les difficultés) Jacques Gaillard levez-vous et venez au tableau, vous allez nous faire :

    la cigarette P4 le lance -pierre le Teppaz avec la Guilde du disque la Frégate de Renault les figurines en plastique doré du café Mokarex le procès Dominici avec les chroniques de F Pottecher

    Pour les filles je ne sais pas ! Désolé.

  • Avant les BUVARDS , l’écriture.
    le dimanche 30 novembre 2008 à 18:08, Jacques Terzibachian a dit :

    De mon père,je me souviens du culte de l’écriture caligraphiée avec des pleins et des déliés grace aux plumes acier Sergent-Major.

    Et puis c’était quasiment du zéro faute !

    Adieu Papa. Mon papa.

  • BUVARDS
    le dimanche 30 novembre 2008 à 15:39, Caballero a dit :
    1965, la fin des buvards.. Perso j’étais à l’école primaire près de Paris jusqu’en juin 1968 (enfin, mai pour être sincère…) et il n’y avait toujours ni le moindre stylo bille … ni la moindre fille ! Tout n’était pas uniquement paradisiaque !
  • BUVARDS
    le dimanche 30 novembre 2008 à 11:26
    Merci pour le voyage dans le temp.
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