Un peu moins de 200 épisodes, il y a plus de 50 ans, ont créé un mythe : le chien Rintintin. Hommage canin.
En un seul mot en français, en trois mots en anglais, ce cabot surgit dans nos téléviseurs en 1960. Mais il aboyait déjà sur ceux des américains depuis 1954, et venait de rentrer à la niche définitivement outre-atlantique lorsqu’on nous refila cette illustre série, une des premières qui, chez nous, clouèrent des familles entières devant l’écran. En effet, à cette époque, les Etats-Unis assuraient déjà notre éducation télévisuelle en nous refilant leurs produits après usage. Les choses ont bien changé depuis, on n’a qu’une saison de retard.
Education ? Il le fallait bien. La télévision, luxe exorbitant, pénétrait dans les foyers au compte-goutte. Il fallait une antenne sur le toit et de la place dans le salon, vu que le téléviseur était un énorme cube de bois ciré, avec un écran verdâtre aux angles arrondis. Mais le salon lui-même n’existait pas vraiment en tant que living room, c’était une pièce pour petits-bourgeois, avec un tapis et des pompons aux rideaux, où l’on grignotait quelques madeleines avec un thé au lait pour recevoir le fiancé de Marie-Georgette en ayant l’air d’avoir l’air ; le mobilier, fauteuils, bergères, en bois ciré, velours et ressorts, était d’un inconfort britannique et provincial ; dans les familles ordinaires, on ignorait encore le canapé, et donc on ne savait pas comment s’asseoir pour regarder la télé. Oui, l’avènement du téléviseur a modifié l’espace familial, ses meubles et sa géométrie : le poste de radio se contentait de la cuisine, la télé exigea une pièce ad hoc où l’on se disposa sur un rang, comme à la messe.
C’est sans doute le derrière sur le bord d’une chaise Henri II que j’ai vu apparaître la première image télévisée de ma vie. Elle était fixe. C’était le carton d’ouverture d’un épisode de Rintintin. Un instant, j’ai cru que la télé, comme les « films » que nous projetait le curé (on y admirait des négrillons catéchisés par les Pères blancs au bord d’un fleuve africain), déclinait une succession de vues photographiques inertes. Et, bien sûr, en noir et blanc. Mais l’image s’anima sur des scènes irréelles : surgit alors un gamin joufflu en uniforme, avec des bretelles phénoménales et un chapeau de cow-boy. Que faisait-il là ? A cet âge ? Parmi tous ces militaires, à l’heure de l’école ? Et pourquoi parlait-il à son chien comme il eût fait à un homme ? Comment les américains s’y prenaient-ils pour rendre si finaud un berger allemand ? Et oser se promener bretelles à l’air dans une caserne ?
Rintintin était un feuilleton problématique. D’abord, parce que l’on ne savait pas vraiment ce qu’était un feuilleton. Il y avait bien, en page quatre du journal, un roman peuplé d’héroïnes pauvres et languissantes que le monde s’évertuait à séparer de leur jeune marquis, mais qui s’intéressait à ces vanités ? Là, en vingt cinq minutes, on avait toute une histoire. Et ça recommençait une semaine plus tard, à la même heure. Etrange vision de la cavalerie américaine, dont on savait seulement, par le cinéma, qu’elle arrivait in extremis pour sauver la diligence : là, elle hébergeait un cabot et une sorte d’orphelin constellé de taches de rousseurs nomme Rusty. Quand on ne sait pas que ça veut dire « rouillé », on se demande où les américains vont chercher leurs prénoms : celui-ci faisait penser à la réparation des chambres à air. Et Rintintin, pour le chien, c’était bien peu américain et plutôt ridicule, ça ressemblait à une marque d’apéritif. Dommage : une brave bête, qui sauvait des vies humaines sans se lasser de cet héroïsme répétitif. L’oeil vif, la langue pendante, Rintintin se faisait féliciter par son jeune maître et toute la hiérarchie militaire comme s’il venait de ramener un faisan. On ne sait pas où il dormait, ni qui préparait sa gamelle. Il avait l’air bien nourri.
Choc des cultures. Ces bêtes-là, ça vaut rien pour rien, disaient les chasseurs de lapins. Et ça perd ses poils, disaient leurs femmes. Rintintin n’était pas non plus un chien de garde : toute une brigade assurait la sécurité du Fort Apache. Car il y avait des Apaches, torse nu, plume en bataille, plutôt vicieux, à l’exception de quelques dissidents nommés éclaireurs qui lisaient les traces de sabots dans le sable du désert pour permettre à la cavalerie de châtier leurs frères de tribu. En fait, ceux-ci avaient massacré les parents de Rusty, et méritaient cent fois qu’on leur rende la pareille au lieu de danser avec les loups. Ces peaux-rouges rêvaient de liquider le Fort Apache et toute sa clique d’hommes blancs et démocrates avant d’être exterminés par leurs carabines de bien meilleure qualité que les leurs, car les balles de Indiens rataient la cible, tandis que celles des trouffions américains attrapaient au moins le cheval, qui roulait dans la poussière en éjectant son cavalier à plumes. On retrouvait la faune et la flore des westerns, mais sans profondeur de champ, en aplati, avec des saynettes d’une chaleureuse naïveté, une consternante banalisation de l’héroïsme, et un amour des bêtes absolument incompréhensible.
Au bout de ses cent soixante-quatre épisodes, Rintintin disparut sans aboyer gare. On espéra pendant plusieurs semaines son retour à l’heure habituelle, comme s’il était partir courir la chienne en chaleurs, à la manière banale des médors du quartier. Mais non. Envolé, et Rusty avec lui, sans doute renvoyé dans son collège après ces aventureuses vacances dans l’Ouest. On apprit alors, peu à peu, que la série avait usé trois bergers allemands. Des descendants du Rintintin d’origine, chien devenu acteur dans les années 30 grâce à son maître, Lee Duncan, qui ensuite réalisa la série. Pendant la première guerre mondiale, le caporal Duncan l’avait recueilli en Lorraine, tout petit. Donc, Rintintin n’est ni soldat américain ni berger allemand : il est français de souche. Cocorico, Rintintin !
Le sergent O’Hara, dans la V.O., s’exprime, comme son nom l’indique avec un accent américano-irlandais à couper au couteau (style : flic new-yorkais). En revanche, Rip Masters parlé un américain très chic (il a dû faire West Point, puis gaffer quelque part pour se retrouver dans ce trou perdu de l’Arizona …).On peut se procurer tout ça en DVD !
Merci aux souvenirs de La Flèche brisée, qui justement a succédé à Rintintin sur nos écrans….
Quelqu’un se souviendrait-il, puisqu’on en est là, d’un feuilleton à peu près contemporain mettant bêtement en scène une famille américaine, papa, maman, les deux gosses, qui devaient s’appeler Anderson ou qq ch de ce genre (non, pas Addams, c’est autre chose !) ? Pas moyen de retrouver ce machin, malgré des heures de surf sur le net !
… Il s’appelait Rin Tin Tin (en trois mots ; prononcer Rinn’ tinn’ tinn’ !), tout bêtement. Mais il aboyait en anglais.
Merci pour la complicité : et pourtant, relis le texte, il n’y a pas un mot de nostalgique explicite, du style "c’était mieux avant"… La nostalgie, c’est la tienne, c’est la mienne, c’est ce qu’on met sur ce texte !