La nostalgie du Meccano, ou comment l’ère du plastique détrôna le roi des jeux manuels intelligents, renvoyant aux oubliettes boulons, vis, et écrous de métal.
Mieux que la toise, le Meccano nous voyait grandir : de boîte en boîte, de Noël en Noël, il affirmait le mûrissement des enfants en proposant toujours plus de pièces, et des modèles de plus en plus complexes. Du métal, rien que du métal (sauf les élastiques servant de courroies de transmission, et les pneus dont on cerclait les poulies pour en faire des roues), décliné en trois couleurs : des plaques bleues, des longerons dorés, des roues rouges. Des trous, rien que des trous, en bordure de chaque pièce, toujours le même diamètre fait pour les mêmes vis de laiton. Chaque boîte était numérotée, et des « bis » permettaient de compléter la précédente à moindre frais pour passer à la suivante, et, donc, commencer dès l’aurore du 25 décembre, au pied même du sapin, le montage d’un pont roulant.
Jouet utile par excellence, le Meccano voulait initier à la mécanique, mais je crois qu’il faisait beaucoup plus. Certes, il permettait de comprendre comment marchait une poulie, et pourquoi, mal proportionnée, une grue piquait du nez, et montrait que le complexe n’est souvent que l’assemblage de pièces simples et familières. Mais surtout, il enseignait le travail, parce qu’il réclamait du temps, de la patience, de l’ordre, de l’espace, de l’intelligence, de la persévérance et un tournevis. Sans le tournevis (en forme de boucle ovale d’acier inoxydable), rien n’était possible ; de même, la vis n’était rien sans l’écrou, lequel ne résistait pas aux mouvements sans rondelle. Et il fallait réfléchir, pour comprendre les schémas du manuel. On en tirerait encore, aujourd’hui, d’impeccables leçons.
Fabriquer. Le mot a perdu de sa grandeur. Au mieux, on bricole ; confectionner fait petite couture, et construire se dit d’une maison ou d’un parti politique. Avec le Meccano, un coin de tapis devenait une usine, un atelier, un chantier. C’est peut-être là que, définitivement, les enfants du XXe siècle, dans leur rêve de progrès, ont laissé le bois aux chalets suisses, la poésie à l’artisan, le « sur mesure » aux nantis : l’avenir serait fait de ferrailles pragmatiques et bien vissées. Car le Meccano naît à Liverpool en 1907 ; après la première guerre, il a conquis les pays qui ont éprouvé l’efficacité de l’acier militaire ; aux États-Unis, où La Naissance d’une nation, de Griffith, se terminait sur le slogan : « Let’s make steel ! », il proposa ses poutrelles métalliques sous le nom d’ « Erector » ; en France, où ce nom latin et viril eût prêté à de pénibles confusions, le Meccano mérita une usine à Belleville, puis à Bobigny. Bref, c’est l’enfant de la civilisation industrielle. La clé à molette de Charlot, dans Les Temps modernes, c’est le Meccano qui, en réduction (je l’ai connue bleue), l’a mise dans les mains des fils de cols blancs, pour qu’ils deviennent ingénieurs : hier encore vagabond et un peu poète, le prolétaire automatisé se laissait aspirer par le jeu de ces engrenages qui, dès la troisième boîte, animaient la mécanique. On commençait par tourner les manivelles à la main ; venait alors le moteur, à clé, puis électrique – l’Histoire n’a fait ni mieux, ni autrement.
C’était un jeu pour enfants sages, pour petits garçons soigneux, bien coiffés, avec des gilets de laine grise, des pantalons courts, des chaussettes assorties et des chaussures en cuir cirées à la perfection, comme le montre la gravure qui décore le couvercle de chaque boîte. Cela sent la ville, l’instruction, la bourgeoisie, l’encaustique du plancher, le silence de l’appartement à peine troublé par la mécanique d’une pendule ou le ronronnement du chat. Le balai de la bonne restituait les vis et les écrous qui avaient roulé sous la commode. L’idéal était de ne rien perdre, de tout ranger, de ne jamais plier les tôles ou les longerons – ou alors, à contre-coeur, pour figurer la chaudière d’une locomotive.
Las ! Vint le plastique, et la vulgarité : le Meccano perdit son âme, puis son être même, et sombra sans rémission. L’esprit du temps était passé de l’imitation laborieuse du réel à l’emboîtement simpliste de dominos scandinaves : pour faire des machines, il faut de l’intelligence, pour empiler des briques en prétendant bâtir un château médiéval, deux neurones suffisent largement. De toute façon, un psychologue observateur aurait fini par découvrir que les enfants pouvaient avaler les vis ou se les coller dans les narines : impossible de survivre dans ces conditions. Aujourd’hui, ces boîtes mortifères de tôles possiblement coupantes seraient vraisemblablement interdites aux mineurs : enfants nietzschéens du baby-boom, vous avez vécu dangereusement !
Le manuel proposait des grues en grand nombre : portuaires, roulantes, à flèche et à poulies multiples. On pouvait faire aussi des tanks, des biplans, des ponts tournants, et autres merveilles mécaniques : c’est là que j’ai appris les mots « barge », « laminoir » et surtout « excavatrice », lequel m’enchanta d’autant plus que j’avais peu d’occasions de l’utiliser. Jamais je ne l’oublierai.
J’ai 63 ans - Ce texte sensible et pertinent m’a beaucoup touché tant il est juste.
1/Le meccano est un jeu "intelligent" :
il développe et valorise les capacités manuelles - qui hélas nous font tant défaut en France notamment - avec un résultat concret à la fin
il développe aussi les capacités intellectuelles : savoir lire un plan, comprendre la complexité, voir dans l’espace, évaluer les efforts etc..
il ouvre vers l’initiative, l’imagination, l’invention.
enfin il est adaptatif : la complexité étant croissante avec les N° de boites
2/Peut-être à l’origine de ma formation d’ingénieur ? Ce texte m’a immédiatement replongé dans les années 50/60 - J’avais toutes les boites jusqu’au n°8 - y c la boite d’engrenages et le moteur électrique ! Ont défilé les merveilleux week-ends passés à construire inlassablement grues, véhicules, machines, d’abord en prenant modèle sur les manuels, puis ensuite en m’inspirant des engins familiers : tracteurs, mécaniques agricoles ou de travaux publics… J’y ai passé le plus clair de mon temps libre jusqu’au lycée. J’y ai appris beaucoup et peut-être est-ce là le point de départ de l’ingénieur que je suis devenu ?
Je l’ai ressorti de ses boites dans les années 80 à la grande joie de mon premier fils - et pourtant ce n’était plus la mode - et qui lui aussi est devenu ingénieur ! décidément…
3/ Hélas le Meccano n’est plus à la mode Il a été détroné effectivement par Lego notamment - lui même en passe de sombrer devant les jeux video…. On ne peut pas lutter contre les tendances du moment (télé, PC, monde virtuel etc…) mais cela est révélateur du manque d’intéret croissant de notre société pour les choses pratiques, techniques, appliquées au profit de ce qui semble plus intellectuel ou théorique - en oubliant que beaucoup n’y comprendront rien ou en tous cas n’en auront pas la maitrise !! - pour ma part je me suis toujours méfié de ces diplômés qui ne savent rien faire de leurs dix doigts !
4/ mais il reste le Club des Amis du Meccano ! Pour dépasser ces moments de réelle nostalgie,je conseille à ceux qui comme moi veulent renouer avec le Meccano, le temps d’une journée, de se rendre à l’expo annuelle qui se tiendra cette année le w-e de l’ascension au Puy en Velay. On y voit toujours de très belles pièces (voir le site Internet)
Jean
Oui qu’il était beau mon Méccano. Mon histoire d’amour avec lui en est à sa 42 ième année et ce beau Méccano est venu à ma rescousse quand j’ai eu besoin de lui. En effet, un état de grande fatigue cérébrale en raison du stress et d’un surmenage lié à des études universitaires et fallait-il que le décès de ma mère fasse exploser la marmite. La dépression majeure pour un schizophrène c’est pas évident. Mon nouveau statut social ; Épave humaine. Laissez-moi SVP !!! je me suis enfermé dans ma chambre tout l’hiver et je n’avais que pour seul compagnon, mon Méccano. Ha qu’il fasait bon de retrouver cette grue , ce moulin à vent et ce camion. J’ai vu le printemps refleurir, mais je ne pouvais pas apprécier la beauté des lilas . Comme un prisonnier des camps Nazi, je voyais les tulipes s’épanouir, mais entre elles et moi il y avait une barbelé, c’était la maladie.
Rien ne pouvait y faire pas même une tentative d’évasion par l’intermédiaire de la lecture d’un roman d’Arsène Lupin. Cette grande voleuse qu’est la vie m’avait pris mon bien le plus précieux , cela dit l’amour de la lecture . Quoi conclure autre que ma vie est finie ,jai mal au coeur de ce que je suis devenu et comme Nelly je sais que mon temps est compté. Le Méccano aura été somme toute , joie dans mon enfance et superbe alié dans mes derniers instants de vies .