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MODES DE VIE / CHRONIQUE NOSTALGIQUE

L’anti-monte-lait

dimanche 27 avril 2008 par Jacques Gaillard
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L’anti-monte-lait étonne d’abord en tant que mot : c’est un nom composé, mais composé de trois bouts. Il n’y en a pas de masses, et on ne sait pas trop bien s’il faut des traits d’union, combien, et où.

C’est peut-être pour cette raison que l’anti-monte-lait est ignoré par le Petit Robert (qu’on n’envoyait, sans doute, jamais chercher le lait). Pour ma part, j’aime bien lui donner deux traits d’union, comme va-et-vient, autre superbe rareté.

Un anti-monte-lait pyrex - JPG - 37.3 ko
Un anti-monte-lait pyrex
© Jacques Colombat

L’anti-monte-lait avait pour fonction d’empêcher le lait de déborder de la casserole où on l’avait mis à bouillir. Comment y parvenait-il ? Patience : notons d’abord qu’à cette époque là, en hiver, il y avait toujours quelque récipient sur le coin du fourneau ou le sommet du poële. Une grande marmite d’eau diffusait une légère vapeur dans la cuisine, histoire d’affoler le baromètre en simulant les paramètres d’un climat tropical. Une vieille bouilloire s’entartrait méthodiquement, et gagnait en calcaire à chaque évaporation de son contenu. Je pense qu’on agissait ainsi par économie, pour avoir à tout moment de l’eau chaude sous la main sans devoir allumer le gaz. Bouillie aussi était la lessive, dans une lessiveuse de tôle décapée par les soupes de chaussettes et de draps qu’elle mijotait en vomissant par une sorte de fontaine centrale des flots brûlants d’eau savonneuse. Bouilli était le pot-au-feu, autre merveille à double tiret, consécration des dimanches soir, qui procurait aux hommes le bonheur de souffler dans l’os à moëlle pour en faire gicler cette substance réservée prioritairement aux travailleurs de force (comme le steack saignant, du moins en début de mois). Bouilli, donc était le lait, pour en éliminer les microbes : se laver dix fois les mains par jour, toujours faire bouillir le lait et se méfier des marchands de glaces ambulants, tels étaient les grands principes de l’hygiène maternelle. Ah ! pouvoir faire bouillir les pis, la mamelle, la vache entière !

On allait au coin de la rue chercher le lait dans des bidons de métal, avec un bouchon de métal et une poignée en bois. Au coin de la rue, l’épicerie-crêmerie, pour affirmer sa haute qualité à la face du monde, s’appelait justement « Au Bon Lait » (avec trois majuscules), et l’on y puisait le lait dans des bidons géants à l’aide d’une mesure d’un demi-litre. Ces énormes bidons étaient livrés tôt le matin par une charette urbaine équipée de pneumatiques, traînée par une haridelle d’une maigreur pathétique. A l’heure des premiers réfrigérateurs, ces équipements paléolithiques vivaient leurs derniers moments, mais le lait était bon et crémeux. A condition d’être bouilli, il était, de surcroît, excellent pour la santé et recommandé pour la croissance…

Donc, on mettait ce lait sauvage à bouillir, et l’anti-monte-lait empêchait qu’il déborde. C’était une sorte de soucoupe ourlée d’un rebord, avec, sur chaque face, une sorte d’encoche. Les plus anciens étaient en porcelaine, les modernes, en verre estampillé « Pyrex ». Comme on ne sait pas trop bien pourquoi le lait déborde si généreusement à ébullition (les protéines qui s’enroulent autour des bulles ? la tension de surface qui est perturbée par les lipides ?), il est vain d’imaginer que l’anti-monte-lait, dans sa grande simplicité, ait pu avoir des vertus physiques capables de conjurer cette éruption. Non, l’anti-monte-lait, secoué par les tourbillons du lait près de bouillir, s’agitait au fond de la casserole. Freinait-il le débordement ? D’aucuns l’affirment – sans preuve. En tout cas, il faisait cloc-cloc-cloc, et, alertée par ce bruit caractéristique, une main venait couper le gaz. On prête trop de pouvoir aux objets : en fin de compte, la solution vient plutôt des humains. A ce titre, le modeste anti-monte-lait mérite d’être cité au palmarès de l’humanisme. Et honte à ceux qui le confondent avec un sous-bock ou un cendrier plat.


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11 MESSAGES
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Forum

  • L’anti-monte-lait
    le dimanche 1er février 2009 à 11:46
    Félicitation pour votre rubrique chronique nostalgique, ce sont des émotions du temps passé que l’on retrouve à la lecture de vos articles. J’ai un site de brocante en ligne www.ma-petite-brocante.com et je propose à la vente un anti-monte-lait ancien en pyrex. Aussi, je vous demande l’autorisation de reprendre une partie de votre article, bien évidemment je citerai votre nom, la rubrique et le site internet pour que mes clients puissent venir lire la totalité de votre article. Je reviendrai lire les chroniques nostalgiques régulièrement. Cordialement
  • L’anti-monte-lait
    le dimanche 5 octobre 2008 à 16:04, L273 a dit :
    C’est ma tante qui utilisait cet objet que ma mère refusait de voir dans sa cuisine (elle trouvait cet objet ridicule et disait il suffisait de faire attention). Ce désaccord entre deux soeurs qui s’aimaient me troublait beaucoup.
  • L’anti-monte-lait
    le mardi 29 avril 2008 à 23:26, lacastaf a dit :
    Dans ma jeunesse, on avait donné un petit nom à cet objet : "la bavarde" (à noter, la pointe de machisme : point de bavard, non, une bavarde !). C’est quand même plus mignon que "anti-monte-lait", non ?
  • L’anti-monte-lait
    le mardi 29 avril 2008 à 21:51, 32janvier a dit :
    Ca existe toujours ! Tu peux en trouver au rayon cuisine du BHV.
  • L’anti-monte-lait
    le lundi 28 avril 2008 à 20:55, Chompitiarve a dit :
    Bon. Snif. OK. Mais la culture de ce modeste objet s’est un peu perdue dans la mémoire , il semble : en effet, la petite encoche qui lui donne son côté "air d’avoir l’air d’un cendrier" doit être unique. Il y’en avait bien deux mais l’autre était sur l’autre face, et à l’opposé (symétrie centralele, donc …) Et le fond n’était pas parallèle mais penché de quelques degrés par rapport au fond de la casserole… Et avant ceux en Pyrex, j’en ai aussi vu en tôle émaillé, mais mono-face donc moins pratiques car susceptibles de tomber à l’envers au fond de la casserole si on ne pensait à le mettre qu’après remplissage, ce qui était fréquent. Mais la pertinence et l’éfficacité de la trouvaille étaient remarquables, et l’alarme durait un large moment avant catastrophe (Ça cliquetait d’autant plus vite et fort que le gaz était à fond …) Mais bref, notez : une seule encoche (d’ailleurs essayez donc avec un cendrier, ça ne marche point) Et enfin pour la bonne bouche : cet objet était déjà une micro-arnaque bêbête, puisqu’une simple soucoupe (pourvu qu’elle ait une petite irrégularité en sa périphérie), peut remplir parfaitement le même office à l’office  ;-)
    • L’anti-monte-lait : vers la synthèse
      le mardi 29 avril 2008 à 18:25, jaqcues gaillard a dit :
      Mes oui, chers amis, vos remarques sont toutes plus justes les unes que les autres, et le petit effort pour se souvenir, très sympathique ! Les objets évoqués dans cette chronique nostalgique n’ont pas forcément disparu sans rémission de la planète ! Ils font, tout simplement, partie de notre mémoire, et celui (ou celle) qui use encore d’un anti-monte-lait sait bien qu’il est un oiseau rare, plein de piété pour une vieille chose qu’il préfère à la modernité du micro-ondes… cela dit, cela m’étonnerait que ce bidule soit en vente (où, du reste ? les drogueries ont disparu, les quincailleries sont désormais vouées au bricolage, bref, où ? J’en ai un sur mon bureau : c’est un souvenir de famille, un héritage, en quelque sorte. Moi, ce que j’aime dans l’anti-monte-lait, c’est son inutilité magique, puisqu’il peut être remplacé (c’est vrai !) par n’importe quel disque (de préférence ébréché). Et le mot appelle, oui, l’odeur du lait chaud !
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