Pourfendeur de l’équipée Julia, Barnier, tête de liste UMP, est un Européen convaincu. En 2004, il avait favorisé une équipée de "diplomates-mercenaires" pour faire libérer des otages italiens en Irak…
Le 30 avril 2009, l’ordonnance de non-lieu est tombé. Le député UMP Didier Julia n’est plus poursuivi pour « intelligence avec une puissance étrangère ». Les juges d’instruction Marie-Antoinette Houyvet et Marc Trévidic sont formels : « Les autorités françaises ont été tenues informées » de l’opération parallèle menée par le député Didier Julia, l’ex-nageur de combat Philippe Brett, et l’ancien membre des « réseaux Foccart » Philippe Evanno.
Cette opération, dont le but était de parvenir à la libération des journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot, enlevés en Irak en 2004, ne peut donc pas être considérée comme une « initiative personnelle » ayant perturbé les tractations officielles pour la libération des journalistes.
De quoi faire bien vaciller les propos lapidaires du ministre des Affaires Étrangères à l’époque des faits. « On a le droit de savoir pourquoi des équipes parallèles s’imaginent pouvoir doubler les services de l’État », affirmait Michel Barnier avec aplomb.
Pourtant, à la même période, un autre groupe de « diplomates mercenaires » français nous avait affirmé avoir été introduit, justement par Michel Barnier, auprès de l’alors président de la Commission européenne Romano Prodi,… afin de tenter de libérer trois otages italiens détenus en Irak !
C’etait en mai 2004 et, décidément, la France était très active dans la pénombre du bourbier irakien. Et pas uniquement pour libérer ses propres ressortissants !
Le 7 mai 2004, un Falcon 900, mis à disposition par Stefano Manservisi, chef de cabinet du président de la Commission européenne Romano Prodi, décollait de Bruxelles pour Amman, avec le numéro de vol DGCEC/0469.
A bord se trouvaient trois « diplomates privés » : Philippe Legorjus, ancien patron des super-gendarmes du GIGN, Daniel Wajcberg, expert en informatique, et Egon Ellenberg, ancien attaché militaire auprès de l’ambassade israélienne à Paris. Ils étaient accompagnés par Marco Vignudelli, officiellement porte-parole du président de la Commission, Romano Prodi. Vignudelli était un ancien du ministère de l’Intérieur italien, où il avait servi en 1999-2000. Leur mission ? Œuvrer pour la libération de trois otages italiens, Salvatore Stefio, Umberto Cupertino et Maurizio Agliana, agents de sécurité privés de leur état.
Les négociateurs français clament « avoir été recommandés auprès de Romano Prodi par Michel Barnier ». Ils affirment en outre avoir demandé une rémunération pour leurs services. Ils témoignent encore que Stefano Manservisi leur aurait répondu : « Jusqu’à 800.000 dollars, il n’y a aucun problème. Le règlement sera effectué via [la république de] Saint-Marin ».
Le 9 mai, le Falcon 900 avec « l’équipe » à son bord rentre en Europe. Ce premier voyage n’a pas été concluant. Pourtant la mission continue. Les « diplomates mercenaires » ont en effet à leur tête, Thierry Lefébure, un ancien conseiller d’Edouard Balladur. Reconverti dans le lobbying, Monsieur Lefébure a des multiples relations. Il fait même intervenir l’Ordre de Malte…et le 19 mai 2004, le président Romano Prodi reçoit la visite de Philippe Schoutheete de Tervarent, l’ambassadeur de l’Ordre à Bruxelles. Mais ce n’est pas tout, le lobby man Lefébure prend contact via Yako Elish, un émissaire mandaté par l’Eglise chaldéenne, avec Abdel Amir Al-Rekaby, un représentant de l’opposition irakienne qui partage sa vie entre Montparnasse et le Moyen Orient…Il en va de soit qu’un tel personnage n’était pas un inconnu pour les différents services secrets hexagonaux. « La DST suivait avec une parfaite conscience tout ce que faisait Al-Rekaby », nous avait souligné, avec nonchalance, Thierry Lefébure qui ne cachait pas d’avoir commencé cette mission « en liaison avec le Gouvernement français ».
Début juin, les choses s’accélèrent. Abdel Amir Al-Rekaby, affirme pouvoir entrer en rapport avec les ravisseurs, via des intermédiaires en Jordanie et en Irak.
Dimanche 6 juin, un drôle d’attelage composé de l’Irakien Al-Rekaby et Egon Ellenberg se rendent à Amman, et le soir du lundi 7 juin, le franco-israélien prévient ses correspondants à Paris que la libération est imminente.
Le lendemain, 8 juin, les otages sont « libérés »… officiellement par une opération des forces spéciales américaines. En réalité, il s’agit d’une mise en scène des services de communication de l’Oncle Sam, car les otages avaient été tout simplement abandonnés par leurs ravisseurs, dans un bâtiment inhabité.
À Amman, dans le hall de l’hôtel Royal, Al-Rekaby donne une conférence de presse.« L’histoire selon laquelle des Américains ont mené une opération armée est mensongère. C’est grâce à des pressions politiques faites auprès du Comité des Oulémas et d’autres groupes, à la demande du président de la Commission européenne Romano Prodi que les otages ont été libérés » devait-il expliquer. Avant que le très puissant président du Comité des Oulémas, Hareth Al Dari, n’abonde en son sens : « Les troupes américaines ne sont pas arrivées aux otages par leurs propres moyens mais grâce à des personnes qui leur ont indiqué où ils étaient. Elles ont récupéré les otages sans la moindre résistance car il n’y avait aucune surveillance ».
Le 14 juin, Thierry Lefébure, Egon Ellenberg et Daniel Wajcberg se rendent à Bruxelles, où ils ont rendez-vous à 10 heures du matin avec le chef de cabinet de Prodi, Manservisi et son porte-parole Marco Vignudelli. Philippe Legorjus, qui s’était éloigné de « l’équipe » ne les accompagne pas. Leur objectif, être dûment rétribué pour leur rôle dans la libération des otages, qu’ils chiffrent à 600.000 euros. Las leur requête est refusée.
Autant d’intermédiaires, qui auraient du demander conseil à Jean-Charles Marchiani, le roi de la libération tarifée.
Le 3 mars 2005, Ricardo Franco Levi, conseiller politique et porte-parole de Romano Prodi répond, par fax, à ma question « relative au rôle du président Prodi dans les vicissitudes des otages italiens », textuellement : « Le Président Prodi a été sensibilisé par une source de grande autorité. À chaque pas, le président Prodi a informé le ministre de l’Intérieur de la République italienne ».
Une source de grande autorité ? « C’était Michel Barnier », nous ont affirmé les « négociateurs de l’ombre » [1]. L’ancien commissaire européen, l’ancien ministre des Affaires Étrangères et aujourd’hui ministre de l’Agriculture et de la Pêche, mais aussi tête de liste UMP aux Européennes… le même Michel Barnier qui affirmait autrefois : « On a le droit de savoir pourquoi des équipes parallèles s’imaginent pouvoir doubler les services de l’État » - et même de l’Europe toute entière !
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[1] Contacté ,Monsieur Michel Barnier, alors ministre des Affaires étrangères de la République française, n’avait pas donné suite à nos demandes d’interview