Récemment, « Libération » et « Le Parisien » écrivaient que Nicolas Sarkozy était intervenu pour la nomination de Laurence Ferrari aux commandes du JT de TF1. Une belle promo pour l’ex-présentatrice de Dimanche + sur Canal. Pour le dernier épisode de sa saga Médias, « Bakchich » a voulu se rappeler au bon souvenir du cabinet d’Edouard Balladur qui décidait de la destinée professionnelle de certains journalistes.
Article publié le 31 mars 2007
En 1993, le cabinet d’Edouard Balladur, alors Premier ministre, s’est employé à réorganiser la rédaction de France Télévisions. Avec des noms de journalistes à virer ou à promouvoir. « Bakchich » a enquêté sur une note secrète de Matignon, qui a eu quelques effets.
C’est l’histoire d’une note. Quelques mots couchés sur un bristol un beau jour de décembre 1993 qui auraient dû rester confidentiels. Mais comme l’avait raconté Bakchich, Jean-Pierre Bédéï, journaliste, l’a exhumée et publiée dans un livre fort instructif : L’info-pouvoir, manipulation de l’information sous la Ve République. Cette note, une fois révélée, a vécu sa petite vie, comme ça, de façon autonome. Et Bakchich était là pour suivre ses pérégrinations médiatiques…
Rappelons qu’elle était formulée ainsi :
« En politique, à aucun prix : Jean-Luc Mano, Rachid Arab [sic], Olivier Lerner.
À l’intérieur, Arlette Chabot est très bien [chef du service politique], ne surtout pas la mettre dans un placard car elle retournerai [sic] à TF1.
Éventuellement à engager : Philippe Reinhart, le PM lui a promis. Philippe Séguillon.
En économie, le chef du service éco Véronique Auger est nulle ».
C’est signé Valérie Bernis. Aujourd’hui directrice générale adjointe du groupe Suez, elle est alors chargée de mission pour la communication et la presse à Matignon où Edouard Balladur a posé ses valises en mars 1993. Sa note est adressée à Pierre Louette, conseiller pour l’audiovisuel auprès du Premier ministre (devenu, en 2005, président de l’Agence France Presse). Elle a été retrouvée au milieu des archives de Matignon, dans une chemise titrée « Jean-Pierre Elkabbach », qui venait juste de se faire nommer président de France Télévisions. Le contenu de la note lui était donc destinée finalement, et elle avait pour but de l’informer du nom des journalistes qui devaient être promus ou écartés de l’antenne, selon les bons vouloir de sa majesté Balladur.
Comme Olivier Lerner, Rachid Arhab est écarté de l’antenne quand Arlette Chabot prend la tête du service politique en 1992. Il restera au placard pendant deux ans, conformément aux directives de la note. Depuis, le placardisé de Balladur a fait du chemin. Il occupe aujourd’hui l’un des neufs sièges réservés aux conseillers du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Une position d’arbitre qui, comme il l’avoue à Bakchich, ne facilite pas la liberté de parole sur des sujets comme celui-là ! Pour sa petite colère, on attendra. Dommage.
Patronne de l’éco, Véronique Auger est tellement « nulle » que sa direction lui indique fermement qu’elle doit quitter la tête du service économique de France 2. Ce qu’elle fait en février 1994 pour rejoindre France 3. « J’étais au courant des vraies raisons de ce transfert » assure à Bakchich l’intéressée. « La note retrouvée par Jean-Pierre Bédéi ne vient que confirmer ce que je savais déjà. Mais, pour moi, tout ça fait partie du passé ».
Les vraies raisons de sa mise à l’écart ? Selon nos sources, un sujet sur la baisse des impôts qui aurait fortement déplu au ministre du Budget de l’époque, un certain Nicolas Sarkozy, au moment où il présentait le nouveau projet de loi de finances. Quelques coups de fil sarkoziens et une note balladurienne plus tard, la tête de Véronique Auger tombe. Après son petit placard, elle aussi a mené sa barque. Elle vient d’être nommée, en janvier 2008, chevalier de l’Ordre national du mérite par le ministère délégué aux Affaires européennes. Alors, messieurs, si « nulle » que ça, la Auger ?
Au service politique, Arlette brille de mille feux. Elle est même « très bien ». Il serait donc dommage qu’elle retourne à TF1. Donc, dès l’année 1994, on lui donne la direction adjointe de France 2. En revanche, Jean-Luc Mano, que Balladur avait blacklisté, est promu patron de l’information. Une décision personnelle d’Elkabbach, qui entendait, en cela, affirmer son indépendance.
Contacté par Bakchich, Philippe Reinhard, aujourd’hui éditorialiste à Éclair Pyrénées, est amusé de la nouvelle. « Je ne connaissais pas cette note, mais ça ne m’étonne pas de Valérie ! J’étais très pote avec elle, et je m’entendais très bien avec Balladur et Louette, son conseiller pour l’audiovisuel. Mais je vous affirme que Balladur ne m’avait rien promis ! » Et d’ailleurs, malgré l’exigence de Balladur, Philippe Reinhard ne rejoindra jamais France Télévisions. Pas toujours facile de se faire obéir !
Jean-Pierre Elkabbach et Arlette Chabot affirment à Bakchich qu’ils n’ont jamais eu connaissance de cette note interne de Matignon. Et que, par conséquent, elle n’a pu avoir aucune influence sur les décisions qu’ils ont prises. L’un et l’autre reconnaissent, toutefois, que les pressions politiques sur les nominations des journalistes sont monnaie courante, et qu’il appartient aux décideurs de « savoir résister ». D’ailleurs, Arlette Chabot nous confie que lorsqu’elle travaillait à TF1, Edouard Balladur, alors ministre de l’Économie, avait cherché à l’écarter, mais sans succès ! Et Arlette d’ajouter :« cette note n’a donc aucun intérêt ! ». Comme le dit le titre de l’émission qu’elle anime aujourd’hui sur France 2, « À vous de juger ! »
Hélas, malgré les demandes de Bakchich, Edouard Balladur n’a pas pu nous répondre. Quant à Pierre Louette (aujourd’hui président de l’AFP) et Valérie Bernis (Directrice générale adjointe de Suez), leur secrétariat nous a fait savoir qu’ils étaient « très occupés ». Probablement retenus par les hautes responsabilités qu’ils occupent aujourd’hui… Ils n’ont visiblement pas le temps de commenter une vieille note semée d’injonctions. Symbole d’une pratique courante au sommet de l’État…
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