Après dix semaines de conflit, les étudiants craignent pour leur année. Chez les enseignants, généralement payés, le réveil est moins rude.
Après dix semaines de grève, la lutte des étudiants et des enseignants chercheurs contre la réforme Pécresse continue. Mais les examens de fin d’année approchent et le mouvement s’assouplit, au profit du stress et des excès de sébum. Comment maintenir la grève tout en appréhendant les exams et plus généralement l’année ? La question a été posée dans toutes les Assemblées Générales la semaine dernière, Jussieu, Nanterre, Tours, Rouen ou Rennes. Et encore longuement débattue lors d’une AG d’enseignants-chercheurs à la Sorbonne, mardi 7 avril. Une réunion à laquelle les étudiants n’étaient pas conviés.
Ce mardi, dans une salle tapissée au premier étage de la Sorbonne, une quarantaine d’enseignants, noeuds pap’ et jambes croisées, aimables et calmes, s’échangent des idées. « Si on menace le gouvernement de ne pas faire passer les examens, il faut l’appliquer ! ». La veille, un protocole définissant le contenu des épreuves – soit un tiers du programme – a été signé. C’est « au cas où les épreuves auraient lieu ». Et l’on insiste : « Seulement au cas où, aucune date de passage des examens n’a été fixée bien sûr ». « Sauf que, se réveille un enseignant un peu attentif, la suppression ou le report en septembre des exams n’arrange pas du tout les étudiants, certains travaillent l’été… ».
La discussion se poursuit. Tandis que certains profs proposent de mettre dix sur vingt à tous les étudiants, une mathématicienne suggère le dix-neuf sur vingt pour tout le monde. Un double avantage : « C’est positif pour les étudiants et pour notre budget, qui rappelons-le, dépend aussi du taux de réussite ! ». Après une heure quinze de débats, une enseignante interpelle ses collègues : « Mais comment peut-on rendre une décision sur cette question sans l’avis des premiers concernés, les étudiants ? »
Le vote à main levée se fera tout de même sans les élèves. Les profs votent « la suspension de la procédure de validation » (pas d’épreuves) au moins jusqu’à la fin des vacances de Pâques. Après on débattra de nouveau. Avec les juniors ?
La question des examens se pose pour tous les étudiants, y compris les plus militants anti-LRU [1]. Mais inquiète surtout les plus défavorisés : ceux qui s’apprêtent à faire une demande de carte de séjour et les boursiers sociaux.
Les boursiers ou futurs boursiers ont jusqu’au 30 avril prochain pour remplir leur dossier de demande. Nul besoin d’y inscrire les résultats scolaires. Donc pas de problème lié à la grève jusque-là. La situation se complique par contre pour les étudiants ayant raté les épreuves d’évaluation du premier semestre, si les épreuves du second semestre n’ont pas lieu. Car les boursiers n’ont pas le droit d’avoir plus d’un semestre de retard [2]. Auquel cas ils perdent leur bourse pour l’année suivante. Dur dur d’être gréviste longue durée dans ces conditions.
La situation des profs, elle, est plutôt moins précaire en temps de grève, sauf pour les grévistes qui se déclarent comme tels, et qui ne verront pas l’once du bout d’un salaire pour les jours déclarés. Difficile de savoir précisément combien de profs sont concernés. Pour le syndicat national de l’enseignement supérieur SNESUP, qui compte l’ensemble des grévistes, un enseignant chercheur sur six est en grève. Mais pour le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, qui ne compte que les grévistes déclarés, ils sont entre 300 et 1000, selon les jours. Entre 300 et 1000… sur 57 000 Professeurs et Maîtres de conférence en France ! Courageux mais pas téméraires…
Habitués à ces réactions de panique à l’approche des examens, étudiants et enseignants grévistes ont imaginé des formes de grève plus populaires que le boycott des épreuves. Des manifestation originales, comme la « ronde des obstinés » à l’Hôtel de Ville de Paris.
Enseignants, chercheurs, étudiants, personnels administratifs (et passants !) se relaient jour et nuit depuis plus de deux semaines pour maintenir la ronde active. Mardi 7 avril, un peu plus d’une dizaine de personnes tournaient, en rythme, autour d’un jeu de l’oie dessiné au sol. Certains en profitaient pour lire ou discuter, d’autres, en pause déjeuner, marchaient au pas tout en grignotant un sandwich. Étonnant manège qui attire autant les touristes que les étudiants.
Ce mouvement infini, sans queue ni tête, écarte par son principe même la présence de leaders et de suiveurs comme dans un cortège. Représentation pacifique de l’obstination des manifestants qui ont repris à leur compte la technique initiée en Argentine avec la « ronde des mères de la Place de Mai ». [3] Des rondes du même type se sont formées un peu partout en France. A Toulouse, Besançon, Montpellier ou encore Fort de France.
En parallèle, des cours « hors les murs » se déroulent dans les grandes villes de France et de Navarre. Au grand air, des badauds s’improvisent étudiants le temps d’une conférence. Mardi 7 avril, devant l’Hôtel de Ville, un enseignant de Paris VI dispensait par exemple un passionnant cours de biologie sur « La classification des espèces ». L’occasion d’apprendre que les classifications traditionnelles « poissons », « reptiles », « végétaux » n’existent plus. Et de faire un doigt d’honneur aux pourfendeurs de la grève ! Ces formes de mobilisation s’ajoutent à d’autres méthodes « soft » comme les flash-mobs (c’est-à-dire l’immobilisation, pendant quelques minutes de centaines de personnes) ou les lectures publiques.
La semaine passé, d’autres actions ont été tentées, plus « hard » celles-ci ! Lundi 6 et mardi 7 avril, à Orléans et Rennes, des groupes d’étudiants ont séquestré, des heures durant, leurs président et vice-présidents d’université.
Ces formes alternatives de grève, plus populaires que le boycott des épreuves, ne pallient pas au stress pré-exams. D’autant que la question du boycott n’est pour l’heure pas encore réglée. Partagés entre l’envie d’en découdre avec la réforme du gouvernement et celle d’avoir leur année, les étudiants en grève comptent bien sur leurs enseignants pour partager les risques de leur lutte commune.
La grève dans les facs, ou l’apanage de ceux qui en ont encore un peu les moyens. Profitons-en !
À lire ou à relire sur Bakchich.info :
Le 22 janvier, devant un parterre d’hommes politiques, de présidents d’universités et de chefs d’entreprise, M. Nicolas Sarkozy s’est longuement exprimé sur le thème de la recherche en France. La vidéo de son discours est disponible en ligne.
Entre (…)
[1] LRU ou Loi relative aux libertés et responsabilités des universités
[2] A l’Université, on ne parle pas de redoublement. Mais de semestres à valider. En cas de résultats insuffisants pour valider le semestre, il est possible de le rattraper à la session suivante.
[3] Depuis 30 ans, des mères tournent en rond pour demander au pouvoir politique de retrouver leurs enfants disparus pendant la dictature.
Vous avez aimé : "Quand passent les grévistes payés"drame
Vous adorerez : "touche pas à nos heures supplémentaires", comédie.
La quasi totalité des universitaires, après avoir perçu leur salaire pendant les mois de grève, vont toucher leurs heures supplémentaires comme s’il n’y avait pas eu de grève. Sont cocus : les étudiants et les contribuables
Sommes nous encore au moyen age ?
Les universités françaises sont, à quelques exceptions près, totalement dépassées par les universités européennes.
L’université n’est pas un foyer de débat d’extrème gauche ou de pseudo-philosophes, mais un lieu d’apprentissage. Il est donc normal que ceux qui font apprendre soient contrôlés.
Dans toute entreprise, il est normal de responsabiliser les gestionnaires puis de contrôler l’activité et la réalisation des objectifs des salariés. Pas dans l’administration ? pas dans ces pseudos-facs ?
Dommage que les plus élémentaires règles de bon sens ne s’appliquent plus en France.
Et tant pis pour les grèvistes. La démocratie permet la grève. La contrepartie est l’absence de paiement des jours de grève. Ici, ce sera l’absence de diplome. Sinon, nous ne sommes plus en démocratie.