Automatisation oblige, 4040 agents de station du métro parisien sont transformés, les uns après les autres, en pots de fleurs. Bloqués toute la journée dans une pièce, ils s’ennuient ferme et se vengent sur l’intranet.
« Je m’ennuie. Je suis là comme un gland dans mon comptoir, à buller. Je parle à mon reflet dans la glace. Je viens de faire cinq heures sans voir une seule personne à mon bureau d’infos. C’est cela mon métier. C’est le néant. Encore vingt ans à faire, je vais devenir fou. » Sous le pseudo Parlamamain, cet agent d’une station dite « morte » brosse à sa façon le blues qu’il partage avec nombre de ses collègues depuis que les ventes aux guichets ont cessé.
Comme lui, ils sont 4 040 agents RATP coincés dans un comptoir d’information (CI) durant leurs sept heures et quinze minutes de service. Un petit univers de quelques mètres carrés où l’agent se doit de rester bien en vue des voyageurs au cas où ceux-ci auraient besoin d’un renseignement ou d’un coup de main sur les machines.
Pas de Wifi ni de connexion Internet, le seul lien virtuel avec le monde hors cabine est un Intranet relié au site du comité régie entreprise. De quoi rêver sur le catalogue des séjours offerts par le CE et surtout discuter sur un forum réservé aux « B1 » (les agents de station) pour tromper l’ennui.
Sur ce forum, les agents se racontent et se soutiennent. Inégalités de traitement, pression de la hiérarchie, impolitesse des voyageurs, dépression, tentatives de suicide, non-reconnaissance du travail effectué, colère, démotivation, ennui… toutes leurs préoccupations sont là.
Force est de constater que leur moral tombe parfois très bas. Triste Sir résume le malaise : « J’en ai marre de me comparer à une vache qui regarde les trains passer. » Sur sept heures quinze de « travail acharné », PIT estime que « les quatre cent trente-cinq dernières minutes sont les plus difficiles ». Lorraine confirme : « Moi, à peine commencé que j’aimerais être en repos. »
Attendre le client est une chose ; se méfier de lui en est une autre car les voyageurs ne sont pas toujours aimables : « Il m’a inondée d’insultes, me disant que tous les agents RATP étaient des abrutis et qu’il fallait les exterminer », raconte Minou. Lorraine rétorque : « On a le droit de les prendre pour des cons, surtout quand ils le sont vraiment. » Caliméro confirme : « Le lâcher de cons commence à 5 h 20 et se termine en fin de service. » Plus raffinée, Ryo souligne l’incurie du voyageur : « Ça se prend pour un homme d’affaires et ça ne sait même pas se servir d’un appareil où tout est prémâché. »
Parfois tout de même, un brin d’humanité passe entre l’agent et son voyageur. Encore tout ému, Chris raconte avoir offert son « tickson » à une femme pressée de grimper dans la première rame : « Eh bien, ce matin, la belle est revenue avec un petit plateau dans la main. » Café, croissant, jus d’orange – sans oublier les 1,60 euro du ticket de la veille : « J’étais sur le cul », écrit-il.
Reste que les agents n’ont véritablement qu’un seul client en tête, le voyageur mystère. Embauché par un prestataire de la RATP, ce quasi-espion se fond dans la foule pour évaluer le travail des B1. Toujours poli et courtois, « pour tromper l’ennemi », les agents ne savent rien de lui si ce n’est qu’il ne travaille pas le dimanche. Le voyageur mystère demande un renseignement, achète un titre de transport et note mentalement chaque détail : « Ses petits yeux regardent partout », constate Carlabruti.
Les manquements au règlement sont décomptés d’un total de 20. Désordre du guichet ? Moins un. Tenue inappropriée ou incomplète ? Moins deux. L’agent est discourtois ? Moins cinq. Il a dépassé les 15 secondes requises pour venir servir le client ou au moins lui faire signe qu’il l’a vu ? Moins cinq. Toute note inférieure ou égale à 16 est considérée comme mauvaise : l’agent est alors convoqué par le cadre de station. Alligator vient de subir les remontrances de son supérieur pour un 16 sur 20 : « Vingt-quatre ans de service pour s’entendre dire des conneries pareilles, je crois rêver. Sans compter que 16 est une excellente note : même à l’école, je n’en avais pas d’aussi bonnes ». Caliméro réplique : « On m’a fait un caca nerveux pour un 19 sur 20. Un point perdu pour un fond de recette en désordre. C’est franchement navrant. »
Bonnes ou mauvaises, ces notes s’accumulent dans les dossiers et seront prises en compte pour les évolutions de carrière. Les promotions sont un autre facteur de mécontentement car les différences de traitement sont réelles. Embauché au niveau 5 (1 500 euros brut, sans les primes), un B1 évolue normalement d’un échelon tous les deux ans pour arriver au niveau 12 en fin de carrière (environ 2 000 euros). Chaque année, un budget est alloué aux avancements et nombreux sont les oublis : « Après vingt ans de Régie, je suis toujours niveau 6, mais c’est normal, je ne suis pas dans le moule », raconte Lolo.
Ne pas entrer dans le moule, c’est être trop malade, trop en retard ou trop gréviste. Mais pas seulement. Car certains évoluent plus vite que la cadence : « On zappe certains agents au profit de presque toujours les mêmes, considère Marie. Si vous avez le malheur d’être en froid avec l’un de vos responsables, vous n’avez rien. Le discours officiel de la direction est top mais, en dessous, il n’y a que copinage, intrigue et irrespect. »
Une petite grève pour changer tout ça ? Les agents mettent régulièrement le sujet sur le tapis, pour constater que cela ne sert à rien : « Quand on cesse le travail, cela passe totalement inaperçu car les machines, elles, ne débrayent jamais. » Alors, pour oublier le blues, Miss Normandie conseille d’« adopter la positive attitude » : « J’ai donné cinq ans dans le privé et la RATP, à côté, c’est du pipi de chat. Rigolez avec vos collègues, soyez agréables avec les voyageurs et vous verrez, Dieu vous le rendra. » Et si vraiment cela n’allait pas, Miss Normandie constate qu’« une petite vodka cul sec fait très bien l’affaire ». Milouz la rabroue : « T’as raison, en ce bas monde, il n’y a guère que les ravis de la crèche un tantinet alcoolisés pour trouver que ça ne va pas si mal ».
A lire sur Bakchich.info :
Le plus impressionnant dans tout ça c’est que ça ne choque personne que l’argent public et le prix payé par l’usager servent tout simplement à payer des gens à ne rien faire !
La question suivante n’est pas politiquement correcte : pourquoi ne pas employer ces peronnes à d’autres taches ?
J’ai déjà fait un boulot dans le genre… Ca peut paraître dingue pour des gens qui ont beaucoup de travail toute la journée, mais ne rien faire au boulot (un client en 7 heures ou même aucun)c’est extrêmement déprimant. Au moins j’avais le droit de prendre un bouquin, même si ma collègue se foutait de ma gueule ("Tu lis des poèmes ??? Mais ça sert à rien !).
Ca abrutit je vous dis ! Ca abrutit !