« Souriez, montrez toutes vos dents. Applaudissez en levant les bras, c’est important. Évitez les gratouilles dans le dos ». Le public des émissions de télévision est bien mal traité. Reportage.
Le public de la semaine dernière était sen-sa-tionnel ! J’ espère que vous ferez au moins aussi bien qu’eux. » Il est 21h50 et le chauffeur de salle de l’émission La Ferme célébrités, diffusée sur TF1, entame sa demi-heure de conditionnement par un mélange d’humour, d’injonctions et de brimades : « Souriez, montrez toutes vos dents. Applaudissez en levant les bras, c’est important. Évitez les grands signes à la famille et les gratouilles dans le dos. Les filles, on ne se recoiffe pas sans arrêt. Les garçons, on ne se met pas les doigts dans le nez ». Le début du direct est à 22h15. « Benji » (Castaldi) et « Jean-Pierre » (Foucault) sont annoncés. Les cris de joie sont trop rares. La tension monte. Et le chauffeur de supplier : « Soyez sympas… si l’ambiance n’est pas à la hauteur, c’est moi qui pointe lundi aux Assedic ».
La Ferme célébrités en Afrique (La Ferme, pour les connaisseurs), lieu magique où il fait froid dehors (trente minutes d’attente par – 2 °C) et chaud dedans (3 h 30 sous les projecteurs à 35 °C) bat son plein. Le public de La Ferme, c’est 330 personnes à dépister chaque semaine pour assurer l’ambiance d’un plateau qui se veut survolté. Or le concept lasse et l’émission peine à trouver son audience. En plateau, c’est pire : « Il reste effectivement des places sur les banquettes », glisse un concurrent. La faute aux studios de La Plaine Saint-Denis (93), excentrés et mal desservis ? Et si la production a jugé utile d’embaucher un impressionnant service de sécurité (renforcé à l’entrée par un véhicule de police avec vérification des identités et palpation très poussée) pour accueillir un auditoire dit de « banlieues sensibles », elle n’a pas cru nécessaire de proposer une navette aller, ni même retour. D’où l’obligation de parcourir, à pied et de nuit, le long du périphérique, le bon kilomètre et demi jusqu’à la première station de métro.
Mais peu importe. Ici comme partout, on applaudit sur mesure, on crie à la demande, on se désaltère pendant les rares pauses pub. Et l’on est prié d’être heureux. Partout, ce sont les « responsables public » qui accueillent : « Notre rôle , c’est principalement d’éviter que les gens soient traités comme du bétail – écueil qu’il est parfois difficile d’empêcher, avoue l’un d’eux. Il arrive que les gens se plaignent de l’attitude du service de sécurité ou des membres de la production. On s’adresse parfois à eux comme à des chiens et les filles sont reluquées de la tête aux pieds. On essaye de faire passer le message : parlez correctement, comportez-vous bien, car ce public, on a besoin qu’il revienne. »
La télé ne saurait donc pas recevoir ? Toute une Histoire, quotidienne de France2 présentée par Jean-Luc Delarue, laisse sur sa faim, tout heureux qu’on était de participer à de fabuleux débats de société tels que « Elles sont devenues la maîtresse de leur ex mari » ou « Je suis un ours, mais je me soigne ». Car, chez Delarue, on pratique la méthode du bouche- trou. Et Bakchich, comme vingt-cinq autres personnes ce soir-là, est recalé : « Nous vous invitons à regarder l’émission depuis les écrans de contrôle situés dans le couloir, près des vestiaires », lance une hôtesse sur l’air de celle qui propose à des enfants un jeu fondamentalement excitant. « Nous avions pourtant réservé », tente-t- on. L’hôtesse, sans pour autant s’excuser, rétorque : « On a toujours un quota de personnes qui ne viennent pas, alors on prévoit large ».
Serrés sur les banquettes, les pieds bien rangés pour ne pas gêner le passage, on assiste donc au tournage du studio d’à côté depuis un écran télé. Géralde et Marcel font partie des déçus. Réquisitionnés la veille au soir par un coup de téléphone, ils s’étaient pourtant volontiers rendu disponibles : « On paye une baby-sitter pour nos trois enfants et l’on a parcouru plus d’une heure de route depuis les Yvelines. Tout ça pour voir l’émission sur une télé, on doit être un peu maso ! » lance Géralde, ravie malgré tout d’avoir eu la chance d’apercevoir « Jean- Luc » passer en trombe. Le public se doit de rester docile.
Au Grand Journal de Canal+ présenté par Michel Denisot, les demandes pour assister au direct sont nombreuses : 2 000 par jour en moyenne pour 150 places. Chacun a été appelé et relancé par téléphone. Par e-mail, on vous a dit et redit que l’on comptait sur « votre présence et votre sérieux » pour ne pas annuler à la dernière minute. Tout le monde est donc, a priori, assuré de trouver son coin de banquette.
Le 8 mars, journée internationale des Femmes, la production met le point final à une soirée Girl Power, slogan fièrement affiché sur l’écran géant du plateau. Au programme : les inégalités hommes- femmes et les violences subies par ces dernières. Un public exclusivement féminin, accueilli par un service de sécurité 100 % masculin et par Bruno, le chauffeur de salle maison. « Allez les filles ! Ça se dépêche ! » Bruno échauffe donc « les filles » en saisissant son micro : « Je veux des cris de filles, hein, bien hystériques. À un moment donné, une chroniqueuse va dire [il jette un oeil sur ses notes] : “Les Oscar, nous les filles, on s’en fout. Nous, ce qu’on aime, c’est…” Et là, les filles, vous hurlez : “Les frin-gues !” Parce que c’est fashion week, vous comprenez, et les fringues, vous adorez. Donc vous criez “les frin-gues !” Et, après, je veux encore des cris hystériques. Vous me suivez ? » Les filles suivent et s’exécutent, poupées dociles de ces messieurs. Vive le Girl Power.
Lire ou relire dans Bakchich :
"on se désaltère pendant les rares pauses pub." ⇒ Pas si rares, surtout sur TF1, m’enfin, je comprends ce que la journaliste veut dire. Je ne pinaillerai donc pas.
Pour avoir assisté au talkshow "On n’est pas couché" sur France 2, je peux confirmer ce qui est dit ici. Dans le public, on a soif, faim, la fatigue et la lassitude se font vite sentir… Et si par malheur on a besoin de quitter le plateau pour aller aux toilettes à un moment donné, on se fait disputer par l’équipe.
Bref, le public fait vraiment partie du décor, comme une plante, qui, justement, se dessèche… Attention, donc.
La télévision n’est qu’un tas d’immondices ou se pavanent tout un tas d’incompétents.
Balancez vos postes et faites autre chose que de regarder des hurluberlus gesticuler.
La vraie vie ce n’est pas se gaver de présentateurs ou d’émissions plus ou moins ringuards