Le projet de métro du Grand Paris et celui de la Région Ile-de-France sont lancés l’un contre l’autre dans une drôle de campagne électorale qui coûtera au moins 6 millions d’euros. A quoi bon ? Car le gagnant est déjà connu.
Quelle époque formidable ! On n’avait encore jamais vu deux métros faire la course l’un contre l’autre. Surtout quand aucun n’existe. Pourtant c’est bien le scénario ubuesque qui se déroule en Ile de France.
Depuis fin septembre et jusqu’au 31 janvier, deux projets de rocade de métro autour de Paris sont soumis à un vaste débat public. Une sorte de campagne électorale entre deux métros. Pour faire simple, il est demandé aux habitants d’Ile de France ( mais aussi aux élus, associations, organisation professionnelles etc) de mettre leur grain de sel sur ce qu’experts et politique leur ont concoctés.
Dans cet exercice de démocratie participative à la Ségolène Royal, ils ont le droit de donner leur avis sur à peu près tout et 10 000 contributions sont attendues. Que pensent-ils des tracés proposés ? Veulent-ils une gare dans leur bled ? Préfèrent-ils un métro omnibus qui s’arrête un peu partout ou bien une sorte de tapis volant pour relier le désertique plateau de Saclay à la Défense en cinq sec.
Sur scène, on trouve donc d’un côté le fameux “Grand 8 “ ou double boucle "métrophérique" : un réseau de 155 kilomètres imaginé par le mégalomaniaque Christian Blanc et défendue mordicus par Sarko. Montant du devis établi avant même toute étude sérieuse : 22 milliards d’euros à la louche, sûrement 20 à 30% de plus à l’arrivée. Mais rien n’est trop beau pour concrétiser le Grand Paris.
De l’autre côté de la scène figure Arc Express, une rocade plus modeste et pas tout à fait continue (60 km à 6 milliards d’euros environ ) voulue depuis des années par la Région et plusieurs départements d’Ile de France. Elle doit relier les terminus de lignes de métros actuels et améliorer le train-train quotidien des prisonniers du métro-boulot-dodo. Un vrai miracle qu’Arc Express bouge encore. Car au printemps, en plein vote de la loi sur le Grand Paris, le Sénat a voulu tout simplement torpiller le projet en le biffant d’un trait de plume.
Résultat : du jamais vu ! On se retrouve avec deux procédures de débat public séparées qui se déroulent en même temps. Deux commissions de débat public had hoc ont en effet été montées : celle du métro Grand Paris est présidée par le madré ex-préfet Leblond et celle d’Arc Express, cornaquée par un magistrat de la Cour des comptes, Jean-Luc Mathieu.
Fatalement, les deux commissions se tirent la bourre même si, le 30 septembre, elles ont tenu une réunion publique inaugurale commune Porte Maillot à Paris. Comme l’une est financée par l’Etat (Grand 8) , l’autre par l’Ile de France( Arc Express), chaque promoteur a intérêt à ce que son programme soit le plus visible, le mieux vendu. D’où une débauche de prospectus et de moyen de communication pour toucher le plus de chaland. Au total, 4,1 millions de brochures ont été envoyés au Franciliens au sujet de l’un ou l’autre projet de métro ; 2,5 millions de synthèse, 20 000 pesant dossiers détaillés et 5000 affiches ont été éditées ! Tout cela financé par chaque commission, toutes deux lancées dans une course à l’échalote des plus extravagantes en période de rigueur budgétaire.
« Au départ, on avait prévu de ne tenir qu’une douzaine de réunions en quatre mois, finalement on en fera une vingtaine » explique le patron de la commission Arc Express. « Le budget dont nous disposons devait tourner au départ entre 850 000 et 1 million d’euros. Au bout du compte il atteindra environ 2 millions d’euros ». C’est que l’Ile de France a dû suivre l’Etat qui a mis le paquet pour vanter son “grand 8“ avec une cinquantaine de réunions en banlieue. En effet le budget alloué à la Commission chargée du métro de Sarko a bondi de 2 millions à 4 millions d’euros. Et des mauvaises langues prédisent que ce n’est pas fini. « C’est normal que nous ayons plus de moyens, nous nous occupons d’un projet de ligne de 155 kilomètres » justifie François Leblond.
C’est ça la démocratie participative, ça coûte cher. Et ça coûte d’autant plus cher quand les dès sont pipés. « J’entends qu’on veut opposer ces deux projets. C’est absurde. Il ne s’agit pas d’un duel entre deux métros » a rassuré André Santini, président du conseil de surveillance de la Société du Grand Paris, bras armé de l’Etat pour contrer la région. En réalité, l’exquis Dédé n’a pas tort. Car le match est complètement déséquilibré.
La loi spéciale Grand Paris votée en juin réserve en effet un sort aux petits oignons pour le super métro de Blanc. Quelles que soient les conclusions du débat public dans quatre mois, l’existence de cette ligne ne peut pas être remise en cause. « La décision de la réaliser est dans la loi » a souligné un peu embarrassé Philippe Deslandes, le président de la commission nationale du débat public qui chapeaute les deux commission spécifiques. Et qui n’a jamais eu à gérer une telle couillonnerie.
En face, l’avenir d’Arc Express n’est en revanche pas du tout assuré. Il peut être décidé, à l’issue du débat, de le laisser tomber. Comme de toute façon, il est impossible de construire les deux métros en même temps, de bons esprits recommandent au final une synthèse entre les deux projets.
Avis en tous cas aux Franciliens qui vont se passionner pour la campagne électorale des deux métros. L’un des deux candidats est de toute façon élu d’office !
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