Depuis sa prison de Poissy, le terroriste Carlos dénonce les trois téléfilms sur sa vie, intitulés « Le Prix du Chacal », en diffusion sur Canal+ en 2010. Il devrait déposer une plainte pour ne pas avoir été consulté.
Il y a quelques jours, le terroriste le plus célèbre avant qu’Oussama Ben Laden ne lui vole la vedette, adresse un document d’une dizaine de pages à quelques contacts en dehors de sa prison. Dans ce texte, intitulé « Siège de l’OPEP, Vienne, le 21 décembre 1975 », Carlos se présente comme « le planificateur et le commandant militaire » de la prise d’otage dans la capitale autrichienne.
Il faut se souvenir que le 21 décembre 1975, Carlos, jusqu’alors inconnu du public, à la tête d’un commando de cinq jeunes extrémistes, prend en otage toute l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), 70 personnes dont 11 ministres. Il y aura trois morts et l’affaire se termine trois jours plus tard sur le tarmac de l’aéroport d’Alger.
Une photo immortalise l’événement : Carlos, de dos, grand, mince, une courte barbiche et un béret sur la tête, discute avec Abdelaziz Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères, et aujourd’hui président de la République algérienne. A cette époque, Carlos n’a que 26 ans. Il vient de fêter cette année ses soixante ans derrière les barreaux, condamné à vie pour le meurtre de trois personnes à Paris.
Pourquoi Ilich Ramirez Sanchez, alias Carlos, remet-il la pression sur un événement vieux de 34 ans ? Dans un courrier manuscrit, le Vénézuélien dénonce « les manipulations de cinéastes barbouzards qui mentent sur ordre ». Sans les citer, le prisonnier met en cause "la société de production Film en Stock, qui a réalisé trois téléfilms sur sa vie, et Canal », qui diffuse début 2010 « Le Prix du Chacal », comprenant trois épisodes.
« Carlos 3-DST 0 », évoque la tuerie à Paris qui a valu à Carlos sa condamnation en France. « Je m’appelle Carlos », revient sur la prise d’otages à Vienne, « Le mercenaire », relate la descente aux enfers de Carlos jusqu’à son arrestation par les services français au Soudan en 1994. Or, le principal intéressé n’a jamais été consulté.
Le 19 septembre 2008, Isabelle Coutant-Peyre, avocate et épouse de Carlos, écrit à Canal+ pour rappeler qu’il y a toujours « des procédures judiciaires en cours le concernant ». Et qu’il existe « des droits sur l’image et la personnalité ». Même si le personnage est considéré comme un dangereux terroriste.
Le 22 octobre 2008, la directrice juridique Edition de Canal + répond qu’elle n’a « aucune information utile à communiquer sur le projet du film ». Et que la chaîne « s’oppose fermement à toute ingérence extérieure dans le processus de création d’une œuvre de fiction, y compris lorsque celle-ci s’inspire de faits réels ».
Il ne s’agit surtout pas de cautionner Carlos, ni de prendre ses propos comme paroles d’Evangile. Mais il semble pour le moins curieux de ne pas souhaiter prendre contact avec le principal intéressé quand on lui consacre des téléfilms de trois fois 90 minutes. Imagine-t-on de réaliser un téléfilm sur l’affaire Clearstream sans même rencontrer Dominique de Villepin, Imad Lahoud ou Denis Robert ?
Canal + et Film en Stock, contactés à plusieurs reprises, nous ont systématiquement répondu qu’il s’agissait d’une « œuvre de fiction ». Carlos, qui est bien décidé à entamer une procédure judiciaire contre la production, assure que « Le Prix du Chacal » cherche surtout à travestir la réalité. Selon lui, l’idée de la prise d’otages de l’OPEP aurait germé dans le cerveau du colonel Kadhafi en octobre 1975 à Tripoli.
Le maître de la Libye aurait offert armes, renseignements et financements à Kamal Kheir-Beik, co-fondateur de l’organisation Septembre Noir. Kadhafi voulait donner une leçon aux Saoudiens qui faisaient chuter les prix du pétrole. Kamal aurait alors répondu : « Impossible, il n’y a pas assez de temps. Seul Carlos pourrait éventuellement préparer une telle opération dans un délai si court ».
Simple vantardise de la part d’un prisonnier qui se morfond derrière les barreaux de sa prison de Poissy ? « Carlos dénonce une manipulation. Pour ne pas mettre en cause Kadhafi, le film prétend que c’est Saddam Hussein qui serait derrière cette prise d’otages. "Saddam Hussein, c’est pratique, il est mort », lâche Isabelle Coutant-Peyre. Contactée à ce sujet, la société Film en Stock n’a pas souhaité nous répondre.
Par ailleurs, l’acteur vénézuélien Edgar Ramirez, qui joue le rôle de Carlos dans les téléfilms, affirme dans le supplément du « Monde » du 12 septembre qu’il est entré en contact avec Lenin, le frère d’Ilich Ramirez Sanchez, et que ce dernier lui a répondu qu’il n’avait « rien à foutre » de Carlos.
Dans un courrier daté du 15 septembre et envoyé de Caracas, Lenin dément : il n’a pas rencontré l’acteur. Il ajoute qu’il « aime et admire » Carlos, « et pour qui je ne cesse de me battre pour faire respecter ses droits, alors qu’il a été kidnappé au Soudan par des fonctionnaires français dans l’illégalité totale ».
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