Bandar Ben Sultan, prince saoudien de son Etat, cherche à constituer un front sunnite autour du Soudan. Une noble tâche, qui implique d’abreuver en pétrodollars des partis, groupes et associations plus sympathiques les uns que les autres…
Le chef de la sécurité nationale d’Arabie saoudite, le prince Bandar ben Sultan, ancien ambassadeur de la monarchie pétrolière à Washington, vient de se rendre dans la capitale du Soudan. Il y a rencontré son vieil ami le général Mahamat Nouri, le chef de l’UFDD (l’Union des forces pour la démocratie et le développement), la principale organisation tchadienne opposée au président Idriss Déby, ainsi que d’autres chefs de factions armées engagées au Darfour.
« Le prince saoudien cherche à constituer un « front arabe uni », un front sunnite, dans cette partie de l’Afrique », explique un diplomate égyptien en poste à Khartoum. Attendu comme le père Noël, Bandar a livré quelque 80 véhicules tous terrains au chef de l’UFDD et quatre petites valises remplies de billets verts pour un montant estimé à plusieurs millions de dollars.
Effectuées de la main à la main, ces petites transactions entre amis ont été facilitées par la filiale d’une grande banque saoudienne ayant pignon sur rue à Khartoum. Fort de sa longue expérience « diplomatique » à Washington et Wall Street, Bandar est parfaitement rompu aux donations financières les plus élaborées, mettant à contribution les grandes banques islamiques du royaume avec lesquelles il entretient les meilleurs rapports depuis très longtemps et des ONG sous-traitantes qu’il a contribué à mettre sur pied. Et s’est désormais s’est désormais spécialisé dans l’aide « humanitaire islamique », sunnite s’entend… Ainsi les ONG saoudiennes viennent de créer deux importantes filiales à Khartoum. Celles-ci sont officiellement chargées d’ouvrir des écoles coraniques, de construire des mosquées et des dispensaires dans les zones frontalières de l’ouest du Soudan… autant de faux nez d’une assistance militaire aux différentes organisations armées du Darfour.
Tandis que la grande presse internationale et les belles âmes de Saint-Germain-des-Près se focalisent exclusivement sur les aides chinoises aux génocidaires du Darfour, Riyad renoue ainsi avec sa traditionnelle diplomatie religieuse du chéquier et ses coups foireux consistant à soutenir les organisations sunnites des plus modérées aux plus radicales. Mahamat Nouri qui lui aussi fut ambassadeur… du Tchad… à Riyad où il a conservé de solides amitiés, s’efforce de consolider cette alliance saoudienne qui, pense-t-il, lui permettra de tenir la dragée haute aux zaghawas, l’ethnie du président Idriss Déby.
Gorane de Faya Largo, issu des parentèles et des clans tribaux d’Hissène Habré, le chef de l’UFDD espère aussi apurer de vieux comptes avec ses puissants voisins libyens qui, eux-aussi de leur côté, veulent essayer de réunir les factions arabes de la région, la semaine prochaine à Tripoli, afin de contrebalancer cette puissante intervention saoudienne à leurs frontières. En effet, le prince Bandar a, semble-t-il et toujours selon plusieurs sources égyptiennes, distribué d’autres petites mallettes de billets verts aux islamistes du GIC libyen (le Groupe islamique combattant), engagés dans la déstabilisation de la république du colonel Kadhafi. Ambiance…
La politique des petites mallettes de Bandar ne se limite pas à l’imbroglio Darfour/Tchad. En effet, le bon prince saoudien vient aussi de sévir au Liban où il vient de mettre sur pied un système d’« aides » aux activistes salafistes qui contrôlent désormais la plupart des camps palestiniens des régions de Tripoli et de Saïda. Les tribulations princières sont confirmées au plus haut niveau des autorités jordaniennes, dans une interview accordée par le prince Hassan, l’oncle du roi Adballah au correspondant de la chaîne de télévision qatariote Al Jazeera.
L’entretien portait sur la stratégie conjointe du vice-président américain Dick Cheney et du prince Bandar d’Arabie travaillant à instrumentaliser les groupes sunnites installés dans les camps palestiniens du Liban, en les incitant à monter des opérations kamikazes contre des dignitaires de la communauté chi’ite du Pays du cèdre. Et le prince Hassan accusait formellement le prince Bandar de financer les extrémistes salafistes et de les encourager à attaquer les cadres et les représentants du Hezbollah. Malheureusement, la cassette de l’interview a été confisquée par la police locale avant que le journaliste ne quitte le territoire jordanien.
Ces informations recoupent celles d’Issam Naam, l’ancien ministre des télécommunications du Liban, qui a publié dans le quotidien arabe Al-Quds al-Arabi, une tribune dans laquelle il fait état de conversations qui se sont déroulées lors de la visite de Nancy Pelosi – la présidente démocrate de la Chambre des représentants américains - au Proche-Orient, confirmant cette stratégie américano-saoudienne de la tension : « On a appris de la délégation américaine que des services de renseignements de Washington avaient commencé à rassembler, armer et entraîner des groupes islamistes extrémistes pour effectuer des attaques contre le Hezbollah, conformément au plan de l’administration Bush consistant à opposer les populations sunnites et chi’ites, dans les régions où elles cohabitent habituellement. Et cela sera organisé en camouflant les vrais commanditaires et exécutants de ces opérations qui pourront être facilement attribuées à Al-Qaïda » (sic).
Parallèlement aux coups foireux de Bandar, Riyad vient d’annoncer très officiellement l’arrestation de 172 jihadistes sur son territoire, grâce à la merveilleuse coopération de l’ensemble de ses services de sécurité. La dictature pétrolière peut, ainsi afficher sa détermination à lutter contre le terrorisme, tout en continuant à actionner sa diplomatie traditionnelle de financement et d’encadrements des extrémistes sunnites… et ce grâce à la bienveillante compréhension d’une bonne partie de l’administration américaine.
À ce double jeu saoudien et à cette schizophrénie américaine, ajoutons l’affairisme Hariro-chiraquien, post-chiraquien et sarkozyste pour que le tableau soit complet, parce qu’ensemble, tout devient vraiment possible.