Pour ceux que les James Bond ont toujours intrigué, voire fasciné, « Bakchich » raconte cet été la saga des services secrets français, la DGSE. Coups tordus, discrets succès, infiltrations et manipulations, plongez chaque jeudi avec « Bakchich » dans les eaux troubles de « La Piscine », comme on appelle le siège des services, situé à deux pas du bassin Georges-Vallerey, à Paris. Cette semaine, pour le deuxième épisode de notre série, notre émissaire en apnée raconte les coulisses du déjeuner rituel du lundi autour du patron de la DGSE.
Boulevard Mortier, derrière de hauts murs, ce 30 juin 2008. Les directeurs de la DGSE, la direction générale de la sécurité extérieure (les services secrets) sont tous là pour le déjeuner rituel du lundi. À l’arrivée du maître de la maison, ils s’inclinent. Comme Bakchich, la DSGE s’apprête à prendre ses quartiers d’été. Dans le regard des plus hauts gradés du Service on devine des rêves de plage et une inertie profonde. Comment accorder une quelconque crédibilité aux formules de l’ambassadeur de France, Pierre Brochand, qui dessine, à l’occasion de l’apéritif, les grandes orientations de la DGSE pour la rentrée de septembre ? On prête à Nicolas Sarkozy la volonté de nommer rapidement un nouveau patron à la DGSE. Alors les directeurs écoutent consciencieusement. La docilité n’est pas une nature, c’est un art. « Laissons-lui croire qu’il sera toujours là en septembre, après tout ça ne mange pas de pain et puis les nominations finales ne sont pas encore définitivement actées », estiment les chefs en leur for intérieur.
Le directeur du Renseignement, André Le Mer, essaye de lancer un petit ballon d’essai en parlant de la mise en œuvre de « sa » réforme, savamment concoctée par son brillant adjoint, Patrick Perrichon, homme de l’ombre et dont l’influence surtout s’exerce sur les caractères faibles. Il dispose d’un petit carnet noir dont il sait se servir, des fois qu’on se mettrait en travers de son chemin. Il y note toutes les petites défaillances ou toutes les oppositions à ses grands projets. Manière de les tenir ? Le Mer voudrait faire passer « sa réforme bien à lui », comme il l’affirme, et ce, avant les grands mouvements évoqués par le Canard Enchainé. Le directeur du Renseignement attend du directeur général un regard favorable, brouillé par des verres corrigeant une forte myopie et un léger strabisme. Silence. Cela vaut-il acceptation ou refus ?
Après tout, cette réorganisation, la cinquième au moins depuis l’an 2000, a déjà reçu l’approbation de Michel Lacarrière - un grand flic passé à la DST puis aux RGPP et, enfin, inébranlable directeur du Renseignement de la DGSE. Le Mer a été l’un de ses fiers adjoints pendant une bonne dizaine d’années. Mais maintenant Michel Lacarrière poursuit une autre carrière pour le compte d’une société de consultants en intelligence économique, Salamandre, composée d’anciens hauts responsables des Services. Lacarrière est un ami de Philippe Rondot, le fameux agent secret de l’affaire Clearstream, qui prenait des notes au kilomètre. Une amitié comme celle-là, ça compte.
Le petit couple Le Mer–Perrichon voudrait faire passer son « adaptation » de la direction du Renseignement avant l’été. Deux raisons les motivent : le personnel aura le temps de digérer la réforme pendant les vacances et, surtout, l’arrivée possible en septembre à la tête de la DGSE de Bruno Joubert - qui ne manque pas d’idées - risquerait de mettre le projet à mal s’il n’est pas adopté avant.
André Le Mer s’agite sur sa chaise. Le directeur général évoque l’Euro… de football et lui n’y connait rien. Ça ne fait pas bon effet. Il est de plus vaguement inquiet : son départ vers la Cour des comptes où son ancien adjoint, Philippe Hayez, sévit comme Clara, la femme de son ami Hervé Gaymard, éphémère ministre des Finances, est à envisager sérieusement. Cela dit, un grade de conseiller maître ne lui déplairait pas. C’est plus reposant. Quant à son adjoint, Patrick Perrichon, il retombera sur ses pattes, tel le chat. L’homme maîtrise parfaitement le double salto arrière.
Mais revenons à ce déjeuner. Le patron du Service, Pierre Brochand, d’un geste de la main, désigne la salle à manger, installée à côté d’une autre, un peu plus grande, permettant d’accueillir les réunions des autorités et décorée de guéridons riches de tous les alcools. Depuis le départ un peu précipité du général Champtiaux, l’ancien numéro 2 de la DGSE, prédécesseur de l’amiral Blairon et du général Ract-Madoux, le niveau de la bouteille de whisky est resté le même. Il n’est pas bon de montrer au maître des lieux qu’on peut aimer l’alcool (même sans en abuser) et apprécier un bon cigare. Il faut être dans l’air du temps. Les jus de tomate coulent à flot.
Ambiance de fin de règne. Pierre Brochand a l’œil plus vague que jamais. Bien sûr, il rêve toujours du Palais Farnèse… ambassadeur de France à Rome. Une belle fonction dont il ne devrait sûrement jamais hériter, son frère n’ayant pu lui obtenir, sous l’ère chiraquienne, que ce poste de patron de la DGSE. Il y a pire.
Le climat est pesant. Seul le directeur des Opérations semble joyeux. Il va bientôt faire son pot de départ avant de rejoindre la direction de la Protection et de la Sécurité de la Défense. Il espérait mieux, mais, après tout, ce n’est pas mal. Le directeur de la Stratégie a l’attitude toute diplomatique de celui qui se verrait bien, lui aussi, dans une ambassade. Le directeur de l’Administration, lui, se voit déjà dans son nouveau fauteuil de secrétaire général de la préfecture de région Ile de France. Il vient d’être nommé, et se dit qu’il n’aura plus à supporter l’indécision chronique de Brochand, ni les déclarations intempestives de son adjoint, en même temps directeur des ressources humaines, Frédéric Négrerie, débauché à prix d’or de France Telecom. Encore quelques jours Boulevard Mortier, puis départ vers les beaux quartiers parisiens. Soupir de satisfaction.
Pendant ce temps, Pierre Brochand « passe un poil » au directeur technique, Bernard Barbier. Une fois de plus, la télécommande ne lui avait pas permis de voir les premières minutes d’un match. C’est bien de la responsabilité de sa direction, non ?
La pendule affiche 14 h. Le café, vite avalé par le Directeur Général, annonce que cette gastronomique réunion de travail, qui se termine le plus souvent par un camembert plâtreux et une glace mystère, prend fin. Tous saluent le directeur de la DGSE en lui souhaitant de bonnes vacances, se disant en eux-mêmes que son successeur sera peut-être moins coincé. N’empêche, Bruno Joubert, s’il est nommé, sera aux ordres du coordonnateur du renseignement installé à l’Élysée, l’ambassadeur Bernard Bajolet. La barque sera difficile à conduire, chacun de son côté a déjà son petit réseau interne. D’un côté les africanistes et les fidèles du chef de la cellule Afrique, lorsque ce dernier était directeur de la Stratégie à la DGSE ; les « opérationnels » moyen-orientaux, d’autre part. Du sport en perspective.
Ce 30 juin, Pierre Brochand voit partir ses directeurs avec tristesse. Il regrette l’époque des déjeuners du lundi où l’on discutait longuement du potentiel de nuisance de tel ou tel, de ceux qu’on voulait virer. Chacun son tour…
À lire ou relire sur Bakchich :
Ben ! Excusez moi, mais ou sont donc les interêts de la France dans tout cela, que ce "Service" est supposé défendre ou protéger
Tous ces "messieurs" semblent plus préocuppés de leur avancement personnel, que du prestige français, voir de leur supposée fonction ? !
Comme partout, moi d’abord, les autres ensuite et pour le "boulot", on verra !
Serait-il possible de connaître le montant de leurs émoluments -au pluriel- et combien leur rêve va-t’il coûter au contribuable ? Est-ce que la réforme Sarkozy va également s’attaquer aux privilèges de tous ces galonnnnnnars ???????????????