Pour ceux que les James Bond ont toujours intrigués, voire fascinés, « Bakchich » raconte la saga des services secrets français, la DGSE. Coups tordus, discrets succès, infiltrations et manipulations, plongez chaque jeudi avec « Bakchich » dans les eaux troubles de « La Piscine », comme on appelle le siège des services, situé à deux pas du bassin Georges-Vallerey, à Paris. Cette semaine, après la libération de deux otages français en Afghanistan le week-end dernier, « Bakchich » poursuit l’enquête sur ces opérations à hauts risques menées par la DGSE.
Ne gâchons pas notre joie. Les deux otages français, enlevés en Afghanistan le 18 juillet dernier, ont été libérés le 2 août 2008. Félicitons-nous de cet heureux dénouement. Une affaire réglée en 15 jours.
Ne soyons pas chafouin - comme disent les « forcenés de la Creuse » (allusion aux origines creusoises de l’auteur de cet article et signalées sur le site du Point, fleurant bon le règlement de comptes). La DGSE, les services secrets français, ont joué leur rôle et l’ont bien joué. Même si l’ensemble de la presse est resté bien discret. Il n’y a pas que les humanitaires qui sont pris en otage, comme le prouve l’enlèvement ce week-end de deux Français au Nigeria.
Il est important de dire que toutes les crises, qu’elles soient politiques, terroristes ou criminelles, conduisent à l’établissement de cellules qui se réunissent très régulièrement au sein du Centre de Situation de la Piscine. Le renseignement est puisé dans les messages des postes à l’étranger de la direction du renseignement (DR), dans les interceptions réalisées par les centres de la direction technique (DT) ou dans les comptes-rendus des missions de la direction des opérations (DO). La presse n’est pas négligée non plus. Certains fonctionnaires affectés au Centre ou détachés au sein d’une cellule de crise dorment sur place et disposent d’un confort relatif, mais réel. Quant aux autres, ils rentrent chez eux, souvent à des heures indues. C’est ça, croire au métier et ils y croient.
À la différence du directeur général ou des directeurs, les agents de la DGSE affectés à la cellule de crise, dénommée Centre de Situation, ne disposent pas de voiture avec chauffeur. Après le labeur, ils attendent sagement, mais fatigués, sur le quai du métro. Et rentrent épuisés au domicile familial pour retrouver une épouse souvent courroucée de voir leur mari arriver si tard, un mari qui n’ose pas dire ce qu’il a fait et ce qu’il fait, un mari qui n’a pas l’honneur de la presse, un mari qui, lui, ne sera jamais véritablement remercié si ce n’est par un article flatteur qu’ils trouveront occasionnellement dans une publication qu’ils devront acheter sur leurs deniers propres. Ils pourront dire à leurs petits-enfants, « j’y étais ».
Le Centre de Situation, le CS, mérite une attention particulière par le fait qu’il s’agit d’une entité à part entière assurant la veille 24 heures sur 24. Créé par la volonté du prédécesseur de Pierre Brochand, Jean-Claude Cousseran, ce dernier voulant notablement augmenter la réactivité de la DGSE. Il en a donné la direction à Philippe Hayez qui transmettra le flambeau deux ans plus tard au général Gérard Martinez. En fait, un tour de passe-passe, ce dernier a cédé sa place d’adjoint au directeur du renseignement à… Philippe Hayez. La description faite dans Le Point, grâce à notre confrère Jean Guisnel, est assez conforme, même si elle ne précise pas que le directeur général n’a qu’un étage à descendre pour rejoindre les salles de réunion du CS, à côté de sa salle à manger personnelle. Rien de plus normal finalement.
Plus délicates sont les personnalités qui l’ont dirigé. Nous ne reviendrons pas cette fois-ci sur celle de Philippe Hayez, nous en avons déjà parlé dans Bakchich et aurons l’occasion de revenir sur la psychologie de ce Jack Ryan français, digne des meilleurs livres de Tom Clancy. Nous nous intéresserons seulement et sommairement à celle de Gérard Martinez, qui deviendra en 2006 le chef de la Division des opérations régionales du Département sûreté et sécurité des Nations Unies à New York. Sa carrière et notamment ses étoiles sont liées à deux hommes, deux généraux, Dominique Champtiaux et Philippe Rondot, le scribe des fameux carnets de l’affaire Clearstream.
La rumeur dans les couloirs de la DGSE a laissé entendre que Gérard Martinez, alors colonel et responsable des relations avec les services étrangers, se serait livré à quelques acrobaties qui lui auraient valu les reproches de sa hiérarchie. A-t-il reçu une sanction disciplinaire ? À la « Piscine », le document en faisant état aurait, comme par enchantement, disparu de son dossier peu de temps avant l’établissement du tableau des généralisables. Peut-être que Philippe Rondot en a gardé le souvenir dans ses notes… Et puis, après tout, il s’agissait de tout mettre en œuvre pour glisser quelques peaux de bananes et écarter le supérieur de Martinez, le contrôleur général de la police nationale, Jean-Pierre Pochon, alors directeur du renseignement.
Pour en revenir à cette affaire d’otages, il reste bien des zones d’ombre sur les modalités de l’enlèvement, les conditions de détention et les accords conclus pour la libération. Seule une enquête menée sur place pourrait éclaircir ces différents points – ce que Bakchich ne peut malheureusement pas se permettre (pour le moment) -. Ce ne sont pas les quelques images diffusées sur LCI qui permettent de lever le voile. Les rares commentaires d’Action Contre la Faim (ACF, l’organisation humanitaire visée) ne sont guère plus convaincants. L’otage le plus âgé s’appelle Laurent Maurice, nous explique Jean Guisnel, dans Le Point. Bien. Il a un blog sur Rue89, l’un des sites chouchous de Bakchich : encore mieux. Mais comment s’appelle l’autre otage ? Ce n’est quand même pas un secret d’État, pas plus que la couleur des sièges en cuir – bleu, raconte le Point - du Centre de Situation. Aurait-il demandé l’anonymat ? N’aurait-il qu’un prénom ? Si tel est le cas, l’affaire devient étrange. Cet anonymat cache forcément quelque chose.
Bakchich s’intéresse aux faits et consulte les archives. En avril 2007, une Française et un Français sont enlevés en Afghanistan, Céline et Éric. Ils travaillaient pour Terre d’Enfance. Le quotidien Le Monde écrivait en italiques et entre guillemets les prénoms. Un signal dans l’univers de l’investigation, un avertissement pour montrer qu’on n’est pas dupe.
Tout le monde comprendra que Céline et Éric, puisqu’il faut les appeler ainsi, n’étaient pas vraiment des humanitaires. La presse n’a pas été invitée à déjeuner dans les salons du directeur général de la DGSE pour se l’entendre dire, pourtant le travail effectué pour les récupérer sans casse était autrement plus complexe, plus technique et très professionnel. Être pris par les talibans, c’est autre chose que d’être fait prisonniers par un petit chef de guerre local.
Mais, comment expliquer qu’ils soient seulement connus par leur prénom… ? Pour faire croire à des millions de lecteurs que ce sont des agents secrets ou, plus simplement, parce que Pierre Brochand, largement soutenu et conseillé par son adjoint, refuse depuis 2002 que les agents opérationnels soient équipés d’une identité fictive, une couverture totale nécessitant un entraînement de tous les instants. Ce n’est pas dans un beau Centre de Situation en cuir bleu qu’on trouve les pistes, c’est sur le terrain grâce à des hommes de terrain.
Quant aux propos rapportés par notre confrère Jean Guisnel sur le fait que l’ambassadeur Bajolet, le Monsieur Renseignement de l’Élysée, aurait été écarté de cette affaire, ils n’ont pour véritable objet que de signaler la « vraie » place de Pierre Brochand, le patron de la DGSE, c’est-à-dire au milieu des Grands de la République.
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