Pour ceux que les James Bond ont toujours intrigués voire fascinés, « Bakchich » racontera cet été la saga des services secrets français, la DGSE. Coups tordus, discrets succès, infiltrations et manipulations, plongez chaque jeudi avec « Bakchich » dans les eaux troubles de « La Piscine », comme on surnomme le siège des services situé à deux pas du bassin Georges-Vallerey, à Paris. Cette semaine, la libération d’Ingrid Betancourt nous donne l’occasion de revenir sur les coulisses de l’opération d’exfiltration lancée par les services secrets en 2003, et spectaculairement ratée.
S’exprimant mercredi 2 juillet en fin de soirée à la télévision, après la libération de l’otage franco-colombienne, le Président de la République a remercié tout le monde, sauf le Brésil et, toute chose égale par ailleurs, les membres des services secrets français qui ont pourtant fait le maximum. La DGSE, depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy en mai 2007, avait constitué au sein du Service une cellule discrète dont l’objet était de suivre l’état d’avancement de la libération d’Ingrid Betancourt, libération qui ne faisait pas de doute pour le chef de l’Etat qui faisait les yeux doux à son homologue Chavez.
Cette petite entité centralisatrice, dirigée par un ancien chef de poste en Amérique centrale, sympathique au demeurant, mais dont le niveau est jugé moyen par nombre de ses collègues, sortait régulièrement ses petites notes besogneuses. Après tout, l’Amérique latine n’a jamais été considérée comme une priorité de la DGSE. Un peu comme Ben Laden avant le 11 septembre 2001 : le dossier de ce « brillant » Saoudien avait été confié à une jeune rédactrice enceinte et dans l’attente de ses congés de maternité. C’est dire.
Mais il ne faut pas croire que la DGSE était pendant les six années de captivité d’Ingrid Bétancourt restée les bras croisés.
Revenons un peu en arrière, en 2003. Au début de l’été, Pierre Brochand, patron du Service depuis quelques mois seulement, laisse sa première grosse opération se dérouler sous le contrôle de son numéro 2, le général Champtiaux. Le directeur de cabinet du patron s’imagine presque vizir à la place du vizir, ce qui lui convient bien. Il se dit qu’une petite opération rondement menée pourrait même lui permettre d’occuper un jour le fauteuil du directeur à temps plein. Une idée qui ne lui déplait pas.
Le ciel l’a écouté. Voilà qu’on apporte soudain à Champtiaux une série de documents convergents : selon ces notes, la libération d’Ingrid Betancourt serait imminente, il suffit juste d’envoyer sur place un avion pour la récupérer discrètement. Le général évoque l’affaire avec son ami Philippe Rondot, alors conseiller pour le renseignement et les opérations spéciales (CROS) du ministre de la Défense, qui donne son accord. À cette époque, Rondot n’a pas encore connu la lumière médiatique de l’affaire Clearstream, qui prendra une sacrée ampleur grâce aux multiples notes qu’il prenait jour après jour, et qui seront plus tard saisies par la justice. On ne sait pas si Rondot en parle à Dominique de Villepin. Après tout, Philippe Rondot était le conseiller particulier de Michèle Alliot-Marie. Le doute demeure sur l’implication - ou la connaissance des faits - du sommet de l’Etat. Dans les couloirs de la DGSE, on en sait rien.
Plus qu’une seule chose à faire, monter l’opération. Le général Champtiaux, en deux ou trois coups de téléphone, siffle ses spécialistes, notamment Xavier Bout de Margnac, directeur des opérations (DO), qu’il prend pour un adjudant-chef, ainsi que le responsable du service action (SA), le colonel Fleury, avec ses principaux subordonnés.
Dominique Champtiaux tient sa réunion. On est en fin d’après-midi, le déjeuner a été, à n’en pas douter, bien arrosé. Les participants sont consternés. Le général ne veut pas entendre parler de plan de vol remis aux autorités, pas question non plus d’en parler aux Brésiliens, qui ne seront pas mis au courant du fait qu’un avion français va se poser sur leur territoire. La proposition opérationnelle de se poser en Guyane (en l’espèce, il n’y a pas besoin de plan de vol, on reste en France et on y a des bases militaires) est repoussée. Les professionnels font au mieux. Ils connaissent leur métier, mais là, les contraintes sont trop fortes. Rien à faire. Une ombre passe dans leurs yeux, comme s’ils savaient que l’échec était annoncé.
Les hommes de la DGSE ont également des doutes sur la validation politique de l’opération et ont l’impression de travailler dans le dos des autorités. Pierre Brochand - il est connu pour sa grande prudence - ne s’y oppose pas, contrairement à Alain Juillet, alors directeur du Renseignement.
Il faut savoir prendre des risques, mais de là à faire des bourdes, il y a un pas qu’il ne faut pas franchir. Le nº 2 de la DGSE l’a appris à ses dépens. Après l’échec de la mission, la retraite anticipée n’a pas tardé à le rattraper.
La suite, en effet, on la connaît. Le 9 juillet 2003, un Hercules C 130 atterrit à Manaus (Brésil) avec, à son bord, 11 agents des services secrets français. Sur les rives de l’Amazone, les Farc sont supposées livrer l’otage… Après quatre jours à mariner, les espions français repartent bredouilles.
Jeudi prochain, un nouvel épisode de la saga de la DGSE sur Bakchich.info.
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Bonsoir Nicolas, Bonsoir Laurent,
Avant de lancer cette nouvelle saga, ne pourriez-vous pas terminer celle sur DCNS et THALES… Sans doute un problème juridique ?? Un référé peut-être ? Des menaces alors ? Quoiqu’il en soit, informez vos fideles lecteurs sur ce retard. ça aussi c’est de l’information dans une démocratie qui se respecte. Merci et bon courage
Bonsoir notre saga reprendra demain vendredi après-midi ou éventuellement ce week end, nous attendons de l’étranger des retours d’info qui ont été plus lents que prévus. Aucune interdiction, ni pression. Pardon pour ce retard ! Et bonne lecture.
Merci Laurent Léger