Grandeur incontestable de Poutine - Cours de géopolitique en direct de Moscou - Incendies et poulets brûlés - Sauna à la bière - Vodka pour tout le monde. Na Zdorovie !
31 juillet, 2 août - Des terrifiantes images d’incendies géants qui ravagent le centre de la Russie, on en profite ici avec une petite odeur de brûlé. Ce matin, un brouillard de fumée enveloppait Moscou et du vingt deuxième étage de l’Hôtel Cosmos où je me trouve on ne distingue plus le gigantesque monument érigé à l’époque soviétique à la gloire des conquérants de l’espace, situé trois cent mètres en face. A peine le képi du général de Gaulle, honoré par une robuste statue d’une vingtaine de mètres de hauteur sur le perron de l’hôtel, était-il visible. Un thermomètre sur la place rouge affichait ce 2 août à 14h un joli 43 degrés.
Micha, mon ami et traducteur se retourne vers moi dans le véhicule qui nous transporte « De Gaulle, l’élève de Staline ! »
Devant ma moue interrogatrice il continue, « en 1966, votre général est venu en visite ici. Il a tenu à rendre hommage à Staline et est resté une demi-heure devant sa statue en déclarant ’’Staline était mon maître’’ ». En terme de stratégie militaire entendons, mais aussi de diplomatie. Pour ces deux hommes la géographie dominait tout en la matière. « Un véritable homme d’État, pas comme votre Sarkozy qui n’est qu’un politicien qui cherche à pistonner son fils. Hier j’ai regardé un reportage sur le nettoyage ethnique des noirs et des arabes en France. » Là encore je l’interroge du regard, un peu surpris par les termes employés. « C’est la guerre civile en France. Vous n’avez pas vu ces images de policiers tabassant des femmes noires enceintes dans la rue ? ».
Le Sarkozysme c’est aussi ça. Des russes viennent vous dire qu’on fait du nettoyage ethnique en France. C’est réjouissant pour un patriote comme moi. Bref, ce « c’est la guerre civile en France » ponctuant une accusation de « nettoyage ethnique » par la télévision russe me stupéfait. « T’en penses quoi de Sarkozy ? ». Sa réponse tombe comme un couperet « Quand il est venu pour négocier au nom de l’Union européenne, quand on libérait l’Ossétie, il a demandé à Poutine ce qu’il comptait faire avec Sakachvili (le président géorgien). Poutine lui a répondu qu’il allait le pendre par les couilles comme les occidentaux avaient pendu Saddam par le cou. Sarkozy est resté bouche bée, il n’a pas su quoi répondre. Nos dirigeants sont très comme ça, ils ont un langage surprenant. Poutine est beaucoup plus fort que Sarkozy. Lui, il tient ses promesses ».
Voilà qui est dit, il n’y a pas qu’en France que la cote de popularité du président frise les abysses. Notre chauffeur prend part à la conversation « Nous en Russie, on a des musulmans noirs et musulmans blancs. » C’est à dire ? « Les blancs sont ceux qui sont intégrés à la société russe. Les noirs, ils ne mangent pas de champignons. Ils mangent des champignons vos musulmans ? » La cueillette des champignons est le loisir préféré des russes avec la chasse. Je lui réponds que les français ne sont ni noirs ni blancs et que le citoyenneté chez nous n’a rien à voir avec la religion, il me rétorque que notre équipe de foot etc… On arrive à destination, j’abandonne.
Pas le malin au Kremlin
On descend du minibus, nous sommes au Kremlin. La fumée qui noyait Moscou ce matin s’est progressivement effilochée, je n’ai jamais eu aussi chaud de ma vie. Micha est un passionné de l’histoire russe, doublé d’un redoutable francophile. Comme il semble connaître tout le monde, j’ai mes entrées et j’ai droit à une petite visite privée loin du flot des touristes. Un condensé de puissance brute. On évite de faire le malin dans ce cadre aussi énorme que somptuaire.
Micha revient sur le piston à Jean Sarkozy. « Quand le fils de Staline était prisonnier des Nazis, Hitler a proposé de l’échanger contre un Maréchal SS. Staline a juste répondu qu’un lieutenant ne valait pas un maréchal. Son fils s’est suicidé en se jetant contre la barrière électrifiée du camp où il était retenu. Nous avons toujours eu de grands hommes d’État. Pour eux la vie humaine ne vaut rien. On réfléchit en terme de masses ici ». Je ne lui ai pas demandé ce qu’il sous entendait comme destinée pour le pauvre Jean en évoquant ce détail croustillant de l’histoire.
On continue notre conversation tout en nous enfonçant dans les arcanes du Kremlin. En visitant l’appartement où vécu Lénine, je lui demande si les Russes qui ont perdu leurs maisons dans les flammes ont une chance de les voir reconstruites par le gouvernement. « Si Poutine y est allé lui-même, c’est parce qu’il sait que les Russes n’ont confiance qu’en lui. Nous avons un vrai homme fort ici, le gouvernement est fort. Maintenant les russes savent qu’ils peuvent dormir tranquilles. Si Poutine l’a dit, ce sera fait. »
La presse ne dit pas le contraire. A longueur de colonnes, les journalistes s’épanchent sur la chance de la Russie d’avoir Poutine aux commandes pour affronter les flammes. Un groupe de jeunes venus du sud du pays que nous croisons confirment le sentiment général qu’on ressent ici dès qu’on parle politique. « Poutine, c’est l’ordre. Nous avons eu des gouvernements faibles avant lui. Aujourd’hui la Russie a retrouvé l’ordre. Poutine, c’est l’ordre ». Que n’ai-je pas dit en prononçant le seul nom d’Anna Politovskaïa. Je vous épargne les termes employés par mes interlocuteurs.
On ne touche pas à Poutine quand on parle à l’homme de la rue, car c’est à la Russie qui a retrouvé une partie de sa grandeur qu’on s’attaque. « Les maisons seront reconstruites, avec tout le confort moderne. Poutine l’a dit aux ministres ’’Vous n’avez pas le droit de dormir avant qu’elles ne soient livrées. Vous n’êtes pas ministres pour vous décrotter les nez.’’ Avec lui, on est certain que le gouvernement travaille ».
On sort du Kremlin. J’ai rendez-vous avec un journaliste d’une rédaction iconoclaste cet après-midi. Dans un bar au pied du journal « Avoir quelque chose en plus », le journaliste m’accueille chaleureusement. « Maintenant on ne se cache plus. Il y a encore quelques années, les gens affectés par le virus du Sida étaient rejetés par la société russe. Maintenant c’est fini. Le gouvernement a construit un hôpital spécialisé pour le traitement des séropositifs. On le doit à Poutine. » Tous les journalistes de la rédaction sont séropositifs, « ont quelque chose en plus », comme trois cent mille autres personnes en Russie. « Mais l’épidémie est en voie d’être maîtrisée et les gens meurent beaucoup moins. La peur à notre égard régresse, donc les séropositifs hésitent beaucoup moins à dire à leur entourage qu’ils sont malades et à se soigner. » Il me donne une invitation pour les élections de miss et mister séropositifs que la rédaction organise désormais chaque année. Je vais malheureusement rater ça.
3 août - Difficile de résister à l’envie d’aller voir les feux de près. La fumée s’est installée dans Moscou et on ne voit désormais plus à 100 mètres. Les derniers réfractaires ont cédé à la mode du masque sans lequel toute respiration est très désagréable. Les touristes asiatiques ont fui les premiers et les Moscovites vivent ces feux comme une horrible catastrophe. Il faut savoir que le lien entre les russes et la nature est très poétique. « On ne va plus pouvoir aller aux champignons », « les datcha partent en fumée ! » me répètent à l’envi mes interlocuteurs.
On traverse l’immense forêt qui encercle Moscou pour rejoindre un foyer de l’incendie, à une centaine de kilomètres. Des villages fantômes émaillent notre parcours. Ils n’ont pas été désertés par peur du feu, mais se sont vidés dans les années 90’s après l’effondrement de l’union soviétique qui provoqua un immense exode rural. Il en existe quinze mille dans tout le pays. J’ai l’impression d’aller vers la fin du monde. La fumée est de plus en plus épaisse, nos yeux et la gorge commencent à faire mal. Option demi-tour, se rendant à l’évidence que notre idée n’était pas la plus lumineuse de ce voyage.
Au retour on s’arrête à une usine d’incinération de poulet. « Il faut que tu voies ça. C’est encore plus hallucinant que les aberrations du Plan de l’ère soviétique ». L’odeur de nuggets a pris le dessus sur celle de la forêt en flamme et l’histoire de ce lieu est un résumé de l’absurde dont le capitalisme a le secret. Il était une fois les autorités russes trouvant un prétexte pour emmerder leurs amis américains. Jugeant que l’alimentation des poulets américains n’était pas conforme aux exigences sanitaires locales, le Kremlin en interdit l’importation. De l’autre côté du détroit de Béring, 14000 éleveurs exportant exclusivement en Russie sont ruinés. Grincements de dents à Washington et réplique immédiate de l’oncle Sam avec une interdiction d’importation sur l’acier Russe. Les deux parties perdent trop pour continuer à jouer à qui ose aller le plus loin et trouvent un gentlemen agreement. Washington ouvre à nouveau ses frontières à l’acier des russes qui lèvent la fatwa sanitaire anti-volailles. Mais rien n’est simple au pays des grands maîtres de la procédure bureaucratique. L’importation est permise mais pas la consommation. Le destin de ces poulets consiste donc à être élevés en Amérique pour terminer incinérés en Russie. Ainsi les éleveurs yankees ont du travail et les mines et usines d’acier russes tournent. Contre la crise, cramez des poulets.
5 août - Comme pour tout le monde ici, mon objectif est la fraîcheur. Il est interdit de se baigner dans les lacs et étangs de Moscou à cause de la pollution par les algues provoquées par la chaleur mais aussi et surtout à cause du grand nombre de morts par noyade. Les Russes ne sont pas habitués à la chaleur et ont du mal à la gérer. Trop bourrés au moment de la rafraîchissante baignade, une dizaine de personnes se sont noyées depuis le début de la canicule. On ne peut pas comprendre ce pays si on ne prend pas en compte que son peuple est le plus alcoolisé du monde après les indiens d’Amérique. Un euro la bouteille de Vodka dans des échoppes ouvertes vingt-quatre heures par jour, ça pousse un peu au crime.
Je file dans un centre aquatique. Une forte odeur de bière baigne l’atmosphère. Intrigué, je pars en quête de l’origine de ces effluves. En passant à la « bagna », le sauna, je découvre ravi qu’au lieu de verser de l’eau sur la pierre chauffée à blanc, on y verse ici de la bière. Charmant. On est à quelques pas de l’université de Moscou (un bâtiment soviétique aux proportions gargantuesque qui culmine à trois cents mètres de hauteur) et un professeur de droit en slip de bain entreprend de me livrer une partie de sa vision du monde. Passé le couplet habituel « Poutine est magnifique », il me parle dans un français sans accent de la « jeune Europe », leurs « partenaires problématiques ». « Maintenant que l’Europe n’a plus un kopec, ils reviennent vers nous, car ils ont compris que vous ne pouvez pas les financer comme vous avez financé l’Europe méditerranéenne. Les Polonais, les Ukrainiens, ils se vendent au plus offrants. Ce sont de vieilles putes. » Toujours ce langage fleuri. « Vous savez, les révolutions de roses se fanent très vite ».
Comme je lui demandais comment il envisageait l’avenir avec la France, il me répond tout sourire que la Russie va « niquer la France » en devenant « le grenier à blé du monde avec l’Ukraine. On est déjà en train de vous piquer les marchés asiatique, israéliens et égyptiens. Notre blé est de moins bonne qualité mais il est beaucoup moins cher. Un jour vos boulangerie feront du pain avec du blé russe. » On est prévenu.
L’air est irrespirable à Moscou, j’abrège mon séjour et pars pour Saint-Petersbourg.
A suivre…
Vous dîtes : "Il était une fois les autorités russes trouvant un prétexte pour emmerder leurs amis américains. Jugeant que l’alimentation des poulets américains n’était pas conforme aux exigences sanitaires locales, le Kremlin en interdit l’importation." Même si effectivement il s’agit d’une guerre commerciale (rien de nouveau dans le monde), vous oubliez de dire que l’ "excuse" contre l’importation des poulets américains était qu’ils sont lavés au clore. Et que dans l’Union européenne cela est interdit. Raison pour laquelle il n’y a pas (ou presque) de poulets américains !
Vous affirmez : "On ne peut pas comprendre ce pays si on ne prend pas en compte que son peuple est le plus alcoolisé du monde après les indiens d’Amérique." La consommation d’alcool moyenne en Russie est inférieure à la France en 2003 selon l’OMS [http://apps.who.int/whosis/database/core/core_select_process.cfm ?strISO3_select=ALL&strIndicator_select=AlcoholConsumption&intYear_select=latest&language=english#]. Le problème ne concerne que les très pauvres (25% de la population consomme 4 fois la moyenne nationale Russe). C’est un problème dont les russes sont amplement conscient. Mais votre généralité frôle la russophobie tellement à la mode dans les rédactions "occidentales" ;)
Bien à vous.