En visite sur le plateau des Glières pour célébrer un haut lieu de la résistance, Sarkozy aura surtout à faire face à la colère des éleveurs contre la présence du loup.
Pour la suite de sa carrière, on souhaite au préfet de Haute-Savoie qu’il n’y ait pas de loup dans l’organisation de la visite rituelle de Sarkozy sur le plateau des Glières. Car la région est aussi devenue un haut lieu de résistance à l’animal aux dents longues, prédateur fétiche des écolos et qui rend chèvre éleveurs et chasseurs.
Comment instiller insécurité, zizanie et comportements kafkaiens chez les hommes ? C’est très simple, il suffit de lâcher un loup parmi eux, comme dans les Alpes. Et l’homme deviendra presqu’un loup pour l’homme, selon la célèbre formule du philosophe anglais Hobbes. « Je n’ai jamais vécu un phénomène aussi passionnel. A l’époque des négociations de la PAC, c’était chaud, raconte Christophe Léger, responsable pour la Haute-Savoie de la FDSEA, branche départementale du syndicat agricole FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) Mais le loup ça n’a rien à voir. J’ai reçu des menaces des deux côtés, des écolos avec lesquels on est parfois à couteaux tirés mais aussi de certains éleveurs radicaux. C’est irrationnel. Alors que le lien avec la terre disparaît, dans l’imaginaire de certains, le loup devient le symbole de la nature qu’il faut à tout pris protéger. Mais c’est plus compliqué que ça ».
Les profs d’université n’ont pas le monopole des manifs. Le 18 avril dernier, ce responsable syndical arpentait avec 4 500 personnes les tranquilles rues de Thônes, petite ville du massif des Aravis proche du plateau des Glières, où Sarko se rend ce 30 avril. Succès inattendu pour une manif demandant une régulation du loup – en fait son éradication ! – qui a draîné éleveurs, chasseurs et amoureux de la montagne venus aussi d’Isère ou de la Drôme. Sur les banderoles des messages clairs : « Non au loup dans nos montagnes », « Éleveurs une passion qui devient un cauchemar »…
C’est que depuis seize ans, l’atmosphère dans les montagnes n’est plus aussi idyllique que l’imaginent les gentils randonneurs de la ville. Arrivé d’Italie, le grand méchant loup a semé le tumulte en bouleversant des équilibres naturels et économiques fragiles. Peu à peu, il a colonisé toutes les Alpes françaises en tapant dans tous les étages du garde-manger : chamois, mouflons, bouquetins, chevreuils près des sommets ou dans les bois ; moutons, chèvres voir, veaux dans les alpages. Bilan de son festin : 3 000 chèvres et moutons dévorés l’an passé, sans compter une faune largement décimée un peu partout.
« C’est aberrant, nos ancêtres ont mis des générations à l’éradiquer et on le réintroduit en le protégeant », s’écrie Guillaume Burgat, des Jeunes agriculteurs. Car avec la convention de Berne que la France a signé, l’homme n’est plus son prédateur. Interdit de la chasser. Bien nourrie, la population de loups est passée en quinze ans de 0 à 150 bêtes. Bref, lâcher des criquets dans un champ de blé reviendrait au même…
Mais pour France Nature Environnement – la fédération écologiste a été promue par Borloo durant le Grenelle de l’Environnement pour faire pendant à Greenpeace et largement financée par l’État, elle joue les chiens de garde sur tous les sujets – protéger le loup, c’est « réconcilier l’homme et son environnement » que l’agriculture extensive aurait détruit. Bref, haro sur les éleveurs ! Et l’association, dont certains membres s’approchent de la tendance Khmers verts, d’égrener les bienfaits du loup qui « constitue un formidable vecteur d’image sur la qualité des milieux naturels, support d’un tourisme respectueux de la nature essentiel pour les territoires de montagne » : le prédateur empêche « la concentration des grands ongulés sauvages qui compromet la régénération naturelle de la forêt », il élimine « les individus faibles ou malades empêchant la propagation des maladies chez les chamois », « les chiens errants ». On dirait un éloge du principe du capitalisme sauvage appliqué à la nature. « C’est oublier que certaines réserves de faune en montagne ont été créées par les chasseurs et que la population est régulée par des tirs sélectifs », intervient Antoine Greillier, président de l’association des Jeunes chasseurs de Haute Savoie et petit fils d’éleveurs.
Joli dialogue de sourds. « C’est l’incompréhension totale, résume un observateur encore marqué par ce qu’il a vécu. J’ai assisté à des réunions surréalistes où des éleveurs pleuraient en expliquant le drame qu’ils vivent : les insomnies dues aux alertes répétées au loup, le troupeau décimé, des revenus d’à peine 1000 euros par mois pour 80 heures par mois, la femme qui s’en va. Et en face d’eux, des écologistes leur répondaient "ce n’est pas grave, vous serez indemnisés" ». Belle ambiance…
Du coup, au risque de laisser la nature en friche, certains ont fini par abandonner les alpages et plusieurs agriculteurs prévoient de redescendre, cet été, si le loup se pointe. Car même s’il ne dévore pas tout sur son passage, ses incursions laissent des traces. Les bêtes sont stressées, des vaches comme les brebis ou les chèvres avortent, maigrissent et perdent de la valeur marchande. « Il faut arrêter de nous prendre pour des cons, lâche Mickaël Richard, représentant des éleveurs d’ovin. Les agriculteurs, on est devenu une minorité à qui on demande d’entretenir le paysage mais, aujourd’hui ce n’est plus possible. On nous pourrit la vie avec ce loup ».
Cette histoire de corne-cul commence à faire tiquer certains responsables politiques. Comme Michel Barnier, ministre de l’agriculture venu en septembre du côté d’Annecy montrer à ses collègues européens la fragilité du pastoralisme. Des députés locaux râlent comme Michel Bouvard ou Lionel Tardy. Car, en dehors du souk qu’il répand, le loup est un luxe qui commence à coûter cher, surtout en période de crise. En 2006 selon un rapport du Sénat, la facture s’est élevée à 4,4 millions d’euros (suivi de l’espèce, soutien au pastoralisme et indemnisation pour les bêtes tuées). C’est bien plus que le coût de l’ours (1,87 millions). Et avec des ravages en hausse, la facture n’est pas prête de diminuer.
Face à l’interdiction de tuer le loup, l’administration ne manque pas d’imagination. Les éleveurs de moutons ou de chèvres dont la vie devient bien compliquée ont été priés de parquer leurs bêtes la nuit et de se doter de patous, ces gros chiens crème à l’air a priori sympathique, mais germe d’insécurité. Car élevés avec les moutons, ils font corps avec le troupeau et confondent parfois les bipèdes avec des loups. Résultat, les contentieux en justice se sont multipliés entre randonneurs et éleveurs. Dernière trouvaille kafkaïenne de l’administration : 500 000 euros seraient débloqués pour mettre sur pied un système de stage pour faire habiliter patous et éleveurs. Bientôt le permis à point ?
De quoi en faire craquer certains. Si l’ambiance est un peu chaude dans les Glières – où on recense officiellement 6 loups, sans doute le double en réalité – c’est parce qu’en février, un chasseur du Petit-Bornand – commune où Sarko doit s’arrêter – s’est retrouvé en garde à vue et mis en examen pour « chasse illicite, détention, destruction et transport d’animal protégé ». L’impulsif, qui risque jusqu’à 6 mois de prison, a tiré sur un loup qui rodait d’un peu trop près autour de ses chamois. Depuis, une pétition de soutien a recueilli 23 000 signatures.
Mais dans les rangs de la manifestation de Thônes, tout le monde ne le défendait pas mordicus. « C’est un âne. Il aurait dû se débrouiller discrètement et ne pas se faire prendre ». Comme dans la vallée de la Maurienne où plusieurs loups ont été retrouvés empoisonnés. En attendant, cet incident a tout bloqué puisque le gouvernement était sur le point d’autoriser des « prélèvements », autrement dit de tirer certains loups.
En même temps, une autre affaire a fait monter d’un cran l’exaspération des éleveurs. Il y a quelques semaines, France Nature environnement a relancé la machinerie judiciaire en faisant appel d’une relaxe prononcée par la cour d’appel de Grenoble vis-à-vis d’un éleveur du massif des Bauges qui en 2005 avait tué un loup. « Dans cette affaire, on ne sait plus si l’homme est toujours au centre ou non. Quant au droit de chasse confisqué, ça rappelle l’Ancien régime », commente un éleveur. Bref ça chauffe dans les montagnes
Une suggestion. Pour éliminer le loup de façon écologique,pourquoi ne pas introduire l’ours dans les Alpes ?
À lire ou à relire sur Bakchich.info :
Vous écrivez :
==== Une suggestion. Pour éliminer le loup de façon écologique,pourquoi ne pas introduire l’ours dans les Alpes ? ====
Parce que l’ours n’est pas un prédateur du loup. Les superprédateurs, c’est à dire ceux en bout de chaîne alimentaire, ne se chassent pas normalement en tant normal (on mettra les rapports des hyènes et des lions en parenthèse), même si les amoureux de telle ou telle espèce aiment bien montrer que leur vedette met régulièrement les autres au tapis ("oubliant" généralement les circonstances).
Au passage, en écoutant nos ancêtres (jusqu’à l’arrière-grand-mère dans mon cas), on peut résumer le siècle passé ainsi :
1° Au début, le chien du voisin volait mes poules et égorgeait mes brebis.
2° Les progrès des transports ouvrant les villages au monde, on s’aperçut que le brave corniaud du voisin était innocent et que le coupable appartenait aux étrangers du village d’à côté.
3° Avec "l’invasion" des vacanciers, il fallut bien reconnaître que le problème venait de tous ces chiens "citadins", et non pas des braves corniaux de leurs frères de misère du village voisin.
4° Par la suite, on commença à beaucoup parler des chiens abandonnés sur la route des vacances. Bon sang, mais c’est bien sur : Les chiens des vacanciers, braves apporteurs de devises, étaient innoçents. Tout était de la faute de ces nouveaux chiens errants et de leurs irresponsables maîtres.
5° Comment dites-vous ? On veut introduire le loup, ce fauve féroce, dans nos compagnes ? Mais laissez-moi vous dire, cher monsieur : Ici, jamais un chien n’a attaqué une brebis…
1) Rectification : Je vois d’ici le plateau des Glières et j’habite en Haute-Savoie, pas dans le Vercors. Le plateau est un endroit où l’on peut faire du ski de fond, de la marche et réfléchir à la Résistance passée et présente. Il y a aussi une antenne de téléphonie mobile je crois. Et un restau, chez Constance, depuis très longtemps.
2) Est-ce qu’on a le droit de dire qu’on voudrait voir les éleveurs et leurs troupeaux éradiqués des hauteurs, plutôt que les "loups" ? Petite expérience perso il n’y a pas longtemps : attaqué par cinq chiens patous gardant un troupeau invisible (car de l’autre côté d’une colline), et ce alors que je me trouvais sur un sentier de grande randonnée au dessus de Samoens, je n’ai dû ma "survie" qu’à un organe vocal extrêmement puissant et à deux bâtons de ski extrêmement pointus. Ou alors les monstres se sont fatigués, je sais pas. Je n’ai jamais pu retrouver lesdits éleveurs propriétaires du troupeau : ils étaient peut-être descendus prendre un café à Cluses ? Allés faire du parapente à Flaine ? Ou du VTT aux Glières ? Pourtant j’avais des choses à leur dire, et deux ou trois trous dans mon pantalon à leur montrer. Le commissariat et la mairie étaient fermés ce jour-là, alors je suis retourné chez moi.