« Comment instiller insécurité, zizanie et comportements kafkaïens chez les hommes ? C’est très simple, il suffit de lâcher un loup parmi eux, comme dans les Alpes. » Émile Borne, je ne sais pas qui se cache derrière ce pseudo, mais quand on parle du loup il est bon d’être clair sur certains points. Le loup est-il revenu naturellement d’Italie ou a-t-il été introduit ? Si l’on doute de la première version, l’honnêteté impose de la mentionner. Les éleveurs et chasseurs majoritairement hostiles au loup, adeptes de la théorie du complot, ont tous des « preuves » de sa réintroduction, qui par le gouvernement, qui par des écolos, qui par des gendarmes… quand on creuse un peu il y a surtout un ramassis de rumeurs bien entretenues, que relaie Guillaume Burgat, jeune agriculteur cité dans l’article : « C’est aberrant, nos ancêtres ont mis des générations à l’éradiquer et on le réintroduit en le protégeant ».
La manière dont le loup est revenu est centrale dans notre manière de l’inclure, ou non, dans notre environnement. Mais comme le dit un berger des Alpes de Haute Provence, « on a perdu assez de temps avec cette question : l’État protège le loup, introduit ou pas. Il doit en assumer les conséquences. »
Ensuite, que faire lorsque qu’un chasseur ou un éleveur enfreint plusieurs lois en abattant, puis en transportant un loup mort ? C’est là que ça devient kafkaïen. Dans un état de droit, la justice inflige au minimum un peine de principe, ou symbolique, un rappel à la loi en somme. Essayez de casser une vitrine de la Société Générale pendant une manif sous le nez des flics et vous verrez qu’on protège mieux les banques que les autres prédateurs. Le clientélisme politique incite à ne pas faire de vagues lorsqu’un éleveur de brebis abat un loup. De toute façon, le pastoralisme est le laissé pour compte de la PAC, toute dévouée aux grands céréaliers. L’État s’est toujours moqué des bergers, pourtant moins nuisibles. Alors si on peut gagner la paix sociale en fermant les yeux sur quelques tirs, et que ça les calme pour le reste !
Et « la faune largement décimée un peu partout » mentionnée par Émile Borne ? Je me marre. Le gibier est-il menacé en France ? Tous les ongulés se portent bien, même les bouquetins réintroduits dans la Vanoise dans les années 80 et qui depuis ont essaimé partout dans l’Arc alpin. Les sangliers prolifèrent. Les cerfs, chevreuils, chamois ne sont pas en voie d’extinction. Comment s’indigner de ce qu’un grand prédateur mange du gibier ? Les chasseurs ont créé les réserves de faune sauvage et pratiquent le tir sélectif ? Et alors ? La faune leur appartient-elle ? S’agit-il là aussi de bétail ?
La population de loups en revanche, après plusieurs années d’extension, tend à stagner malgré les nombreux territoires « colonisables » encore disponibles. Cela tend à montrer que le braconnage et les empoisonnements sont plus fréquents qu’on ne le sait.
Je n’ignore pas les difficultés des éleveurs liées au loup.
Les insomnies, le stress.
Les pertes non comptabilisées comme les avortements spontanés.
Les investissements pour s’équiper en chiens et en filets.
La gageure de trouver des patous de bonne lignée et capables de faire leur boulot.
Le travail supplémentaire lorsqu’il faut regrouper les bêtes le soir au lieu de les laisser pâturer.
L’injustice de leur faire porter, à eux seuls (sauf les indemnités, payées par la collectivité) le prix de cette équilibre écologique à géométrie variable.
Pour autant.
Emile Borne ironise sur France Nature Environnement qui veut « réconcilier l’homme et son environnement ». Si ces écolos là ne lui conviennent pas il y a d’autres associations qui aident activement les éleveurs à s’équiper, fournissent une aide bénévole pendant les estives, comme Ferus.
On a beau jeu de vouloir protéger les éléphants, les tigres et les ours (pas les nôtres, ceux du pôle, que montre si bien Yann Arthus Bertrand, maigres et efflanqués sur leur banquise peau de chagrin). On a beau jeu de vouloir cesser le réchauffement climatique, protéger les ressource marines, s’insurger contre le massacre des requins.
Si on n’est pas foutus d’intégrer des loups dans notre propre environnement, on ne sera que de gros hypocrites.
