Rechercher dans Bakchich :
Bakchich.info
UNE BRÈVE HISTOIRE DE BAKCHICH

Tags

Dans la même rubrique
Avec les mêmes mots-clés
RÉCLAME
Du(des) même(s) auteur(s)
CULTURE / CHRONIQUE BOUQUINS

Flematti, sublimissime alpiniste

Littérature / dimanche 16 mai 2010 par Jacques-Marie Bourget
Twitter Twitter
Facebook Facebook
Marquer et partager
Version imprimable de cet article Imprimer
Commenter cet article Commenter
recommander Recommander à un ennemi

À l’âge de 6 ans, Robert Flematti franchit clandestinement la frontière franco-italienne en tenant, pendant 300 kilomètres, la main de sa maman. Alpiniste, ce fils d’ouvrier italien part à l’assaut des plus hautes montagnes du monde.

Imaginez Mozart qui aurait écrit ses mémoires sans y mettre une note, même de bas de page. Flemattissime, c’est ça. Un livre signé Robert Flematti, un homme qui ne joue jamais de violon sur son moi, ni son toit, alors qu’il est alpiniste. Son bouquin n’est pas occupé par le vide des précipices. Vous connaissez le genre de l’odyssée alpine ? Où celui qui rapporte ses aventures est forcément un héros.

Montagnarde, la bête humaine triomphe de tout, des abîmes, du froid polaire, des parois lisses et des surplombs. Vous avez dit blizzard ? Parfois, un ami de sacs et de cordes meurt, ce qui vient valoriser les souvenirs publiés par le rescapé.

Déserts verticaux

Flematti, alpiniste immense et discret, aime trop la montagne pour la raconter. Ses déserts verticaux, il faut s’y accrocher pour sentir la glace ou le caillou donner du bonheur. Flematti ne raconte que sa vie, qui est de la littérature. L’histoire d’une mère aussi belle que Sylvana Mangano qui, juste après-guerre, survit d’un riz amer à Valmalenco, un petit village du nord de l’Italie d’où l’on aperçoit la Bernina et la frontière suisse. Après avoir eu deux enfants d’un premier mari mort d’une silicose attrapée dans les mines de France, la jeune femme a épousé Gervasio Flematti. Pour lui comme pour tous ces Ritals dont la seule richesse est de posséder deux bras, le salut est dans l’exil. Gervasio fait de la contrebande, ne rentrant à la maison qu’entre deux clairs de lune, comme un chat. Un jour, les Alpes franchies, il obtient un statut d’immigré et un emploi dans d’autres montagnes, les Pyrénées. Sa femme et ses deux fils, des gamins de 9 et 11 ans, partent en expédition vers une France qui rejette les sans-papiers. On marche à pied pour économiser l’argent du car. Mais les douaniers embarquent ces trois misères pour les lâcher au milieu de nulle part. L’assaut reprend, plus discret. On se cache mieux à l’approche des cols quand l’herbe est assez haute. Passée en France, la mère se loue à la journée. Pour faire les foins, gagner de quoi poursuivre la route. Le tout en silence, dans la dignité, fortune de ceux qui n’ont rien.

La dame en robe noire, avec ses deux gosses et une serviette nouée qui contient un peu de nourriture, a maintenant assez de sous pour emprunter une kyrielle de trains, gagner Carcassonne puis embarquer dans un autocar vers le coeur des Pyrénées. Des gendarmes montent à bord : « Contrôle d’identité. » La fin du monde… Les képis passent devant les fauteuils de la jeune femme et des gosses. Ne demandent rien. Une femme s’écrie : « Vous n’avez pas contrôlé tout le monde ! » Un gendarme répond : « C’est parce que je les connais. »

Enfant libre

Encore une nuit passée dans une cabane de bord de route, le ventre creux, puis un chauffeur, un cousin italien, embarque la famille dans son camion. La fin du voyage, on s’installe dans le baraquement qui abrite Gervasio. Le bonheur sous les planches. Bientôt, les Flematti déménagent à Arrens, là où chaque mot fait un tour de trampoline avant de sortir des bouches. Par les mêmes chemins de contrebande, Gervasio ira chercher Liliane, la grande soeur restée en Italie.

La vie d’Umberto « Robert » Flematti est celle d’un enfant libre. Son univers, son université qui lui apprend la valeur des choses, c’est la montagne. Le gamin devient un as. ça se sait jusqu’à Chamonix, pourtant si peu ouverte aux autres. De l’École nationale d’alpinisme, on téléphone au maire d’Arrens : « Débrouillez-vous pour qu’un certain Flematti vienne suivre un stage à Gavarnie. » Pas d’argent ? Son frère lui achète des chaussures. Et Umberto, désormais « Robert », va devenir l’un des meilleurs alpinistes du monde. Son véritable exploit : être resté en vie. Grâce à sa force, à l’instinct développé dans la vie sauvage d’Arrens et à sa maxime : « Vous savez, si on va là-haut, c’est pour en revenir et raconter nos histoires à la veillée. »

Grégory, son fils de 30 ans, ne racontera jamais la sienne. Il est mort dans une avalanche au pied de l’Annapurna. Comme le riz de Valmalenco, la vie est souvent amère.

------

Flemattissime, par Robert Flematti, éd. Guérin, 246 pages, 14 euros.

AFFICHER LES
4 MESSAGES

Forum

  • Flematti, sublimissime alpiniste
    le mardi 15 juin 2010 à 09:44, marie a dit :
    Un gendarme répond : « C’est parce que je les connais. »chapeau… et merci pour l’article, je cherchais quoi m’offrir pour mon annive… j’ai trouvé…
  • Flematti, sublimissime alpiniste
    le dimanche 16 mai 2010 à 10:27, WOMBAT a dit :
    Quelle belle histoire ! Merci, ça change des golden boys nés avec une louche en argent dans la bouche et autres fils de, devenus encore plus que richissimes et que l’on est dans l’obligation d’admirer cause Hymalaya de fric
  • Flematti, sublimissime alpiniste
    le dimanche 16 mai 2010 à 06:37, Phil2922 a dit :
    Voilà une proposition à faire aux Sans-Papiers de France : devenir alpiniste, ça m’étonnerait que les flics soient assez courageux pour aller les chercher… !!
    • Flematti, sublimissime alpiniste
      le jeudi 23 décembre 2010 à 15:21, laurencin christian a dit :
      bjr mr, le fait que vs ayez vu ce sujet sur robert flematti est déjà une très bonne chose. je ferais néanmoins un petit commentaire sans aucune rancune ; vous ne connaissez sans doute pas le monde de la montagne,car vous sauriez que bon nombre de gendarmes ou policiers spécialisés ont donné leurs vies pour sauver ces alpinistes chevronnés ou non. pour info, j’ai passé 16 mois de ma vie sur la corde de m. robert flematti en compagnie du regretté pierre royer, ça laisse des traces. voyez, svp la mission des forces de l’ordre avec un peu + de nuances et d’objectivité. Christian de Draguignan
BAKCHICH PRATIQUE
LE CLUB DES AMIS
BEST OF
CARRÉ VIP
SUIVEZ BAKCHICH !
SITES CHOUCHOUS
Rezo.net
Le Ravi
CQFD
Rue89
Le Tigre
Amnistia
Le blog de Guy Birenbaum
Les cahiers du football
Acrimed
Kaboul.fr
Le Mégalodon
Globalix, le site de William Emmanuel
Street Reporters
Bakchich sur Netvibes
Toutes les archives de « Là-bas si j’y suis »
Le locuteur
Ma commune
Journal d’un avocat
Gestion Suisse
IRIS
Internetalis Universalus
ventscontraires.net
Causette
Le Sans-Culotte