Si vous randonnez paisiblement dans les alpages de Savoie, vous ne verrez pas la queue d’un loup, mais vos mollets risquent de se souvenir des chiens. Car ces grosses peluches nommées « patous » vous dévorent un vieux campeur en moins de deux, c’est écrit dans Le Monde du 9 août : l’innocent marcheur s’est carrément fait braquer par trois des meilleurs amis de l’homme et du mouton, qui, à huit reprises, aux jambes et aux épaules, ont planté leurs dents dans sa chair musclée. Et il paraît que « de tels incidents se multiplient dans les estives savoyardes depuis que les éleveurs s’équipent en moyens de protections pour faire face à la présence du loup ». Le 28 juillet déjà, une dame se faisait bouffer… Autant dire que les randonneurs foutent le souk dans nos montagnes, avec leurs gourdes et leurs grosses godasses, ils dérangent les oiseaux, les guêpes, les vers de terre, les troupeaux, ceux qui les bouffent et ceux qui les gardent. Les randonneurs nous emmerdent. Aucune loi ne protège cette espèce (à la différence du loup, qui a bien du pot), donc : virons les randonneurs, et les vaches seront bien gardées.
Ce n’est pas que je sois un ami des bêtes en général ni des loups en particulier. Je m’interroge très souvent, au contraire, sur les pulsions profondes qui poussent certains de mes contemporains à se laisser fasciner par cet animal encombrant et couvert de parasites (on lui doit, paraît-il, le transport gratuit de certaines variétés nouvelles de tiques ou de puces des Abruzzes au Vercors), au point de pleurer de joie lorsqu’il envahit nos pâturages en croquant de gentils moutons qui auraient avantageusement pu terminer leur vie en devenant côtelettes ou pull-over. « Mais non, disent les amis du loup, qui sont, d’une part, grands connaisseurs de la bonté cachée du loup, et, d’autre part, finauds comme des renards, ce ne sont pas les loups qui bouffent les moutons, ce sont des chiens errants ! ». La preuve : il y a des chiens errants partout, dans le Cantal, en Seine-et-Marne, en Ardèche, ici et là, ils côtoient des troupeaux ovins ou bovins, et il arrive exceptionnellement qu’ils chapardent un agneau (parfois, c’est le berger qui s’est offert un gigot) ; mais le seul endroit où des tas, des monceaux, des tonnes de moutons sont chaque année bouffés par les « chiens errants », c’est là où il y a des loups. Ou des ours. Autrement dit, le chien errant attaque le mouton pour emmerder le loup. Par jalousie. Pas de loup ? Le chien errant fait les poubelles et cherche à niquer Mirza dans sa niche. Il ne monte pas à mille cinq cents mètres pour respirer le bon air dans les éboulis et se cailler la queue à deux pas des névés. A croire que certaines régions flattent monstrueusement l’appétit des teckels largués sur l’autoroute et font pousser les canines des labradors sans colliers. Mais passons : la logique est un art trop humaniste pour séduire les zoophiles.
Non, je ne veux pas m’acharner et soutenir, par exemple, que s’il n’y avait pas de loups, les moutons et les bergers feraient leurs nuits en paix, sans molosses pyrénéens, avec seulement un des ces cabots modestement poilus et inoffensifs qui s’égosillent en aboiements quand passent les randonneurs et tournent des films émouvants pour Walt Disney. Je ne voudrais pas non plus apporter mon soutien, aveuglément, à la suggestion sur laquelle se conclut l’article de notre respectable quotidien : faire un fichier généalogique des chiens patous « de bonne qualité », issus d’une « bonne lignée ». Ni déplorer, avec sa correspondante de Chambéry, que ce fichier « annoncé pour 2007, n’est toujours pas opérationnel ». (Remarque en passant : l’idée que des fonctionnaires puissent s’occuper à longueur de journées à l’élaboration d’un tel document me transporte. J’espère que la réduction des déficits s’appliquera aux services du « fichier généalogique national des chiens de protection » au même titre qu’aux écoles maternelles).
Les raisons de ma réticence ? D’abord, en matière de fichiers, il y a d’autres scandales en cours dans le pays – qui supporterait qu’on fasse un fichier (on pourrait l’appeler : Edwige-bis) des patous de six mois et plus susceptibles de devenir de criminels, en indiquant leurs préférences sexuelles et syndicales ? Ensuite, si on se met à appliquer l’eugénisme aux cabots gardeurs de brebis, je ne doute pas que les voleurs de poules seront bientôt triés ab utero. Et puis zut, tiens, je me lâche : d’accord pour l’épuration génétique, mais plutôt que de bricoler le berger pyrénéen édenté, on n’a qu’à fabriquer le loup-OGM végétarien, et jeter les autres. Fini, les expertises contradictoires, les indemnisations onéreuses, les subventions aux associations bidon, les barbelés dans les alpages (merci, amis écolos !), le génocide des mérinos, les flots de sang sur les myrtilles, les mollets lacérés jusqu’aux pataugas : vivement le loup végétarien ! Grâce à la science moderne, marcheurs, marchez en paix, moutons, dormez sereins, et vous, les amis du loup, faites comme vos ancêtres : contentez-vous de lire Jack London.
Des barbelés dans les alpages !? Avec des miradors ?
Vous ne devez pas randonner très souvent, mon brave Séverin.
Bon, d’accord. Possible pour le Mercantour. Mais comme il était plutôt question des alpages savoyards…
Je randonne essentiellement en Vanoise et dans le Beaufortin, et il m’est rarement arrivé de devoir enjamber des barbelés. Tout au plus quelques clôtures électrifiées, facilement contournables.
Mais pourquoi cette allusion aux écolos ?