Qui sait que le véritable enjeu des municipales se cache derrière un concept abscons mais au contenu bien réel ? Le fonctionnement de l’intercommunalité, puisque c’est de ces regroupements de communes qu’il s’agit, est trop complexe et trop coûteux pour que les maires s’y risquent en pleine campagne.
On aurait dû se méfier pour l’intercommunalité, ces regroupements de communes qui permettent une coopération entre des villes. En 1999, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur et soucieux de faire passer sa loi sur les structures intercommunales, concède aux demandes du puissant lobby des maires : pas de cumul des mandats et des charges nouvelles certes, mais de l’argent frais. Miam ! Miam ! En échange, prévient l’Intérieur, il faut des économies d’échelle, des transferts de compétences et le contribuable ne doit rien payer de sa poche. « Pas de problème, envoie la monnaie ! », ont-ils rétorqué. Et évidemment, ça n’a pas loupé. Collectivement, les intercommunalités ont touché plus de 38 milliards d’euros en 2006, subventionnés pour un quart par l’Etat. Elles gèrent des budgets équivalents aux régions et en hausse constante depuis plusieurs années.
Pour les économies d’échelle, faudra repasser. Bakchich l’a dévoilé il y a un mois, les impôts locaux ont augmenté de 46% en 6 ans. Au profit des communes elles-mêmes mais aussi des intercommunalités, dont l’ensemble des impôts collectés a bondi de 405% entre 2001 et 2007, passant de 1,8 à 9,1 milliards d’euros…
Les compensations financières qui incitent les fonctionnaires à migrer vers l’échelon intercommunal n’ont elles, pas grevé les budgets ; et certaines communes ont maintenu des doublons de postes, qu’elles ont financés par les subventions de l’Etat.
Les établissements intercommunaux ont vu leurs effectifs passer de 78 000 à presque 150 000 agents de 1992 à 2003. Ce qui n’a pas freiné la masse salariale des municipalités, en hausse de 30% sur la même période. « C’est clairement une arnaque aux contribuables », avoue Olivier Landel, délégué général de l’Association des communautés urbaines de France (Acuf). « Dans plusieurs cas, les critiques sont justifiées, notamment à Nantes et Marseille » ajuste-t-il. Le député Rudy Salles, vice-président de l’Assemblée nationale, en rajoute une couche : « L’Etat s’est défaussé en n’exerçant aucun contrôle et les frais de fonctionnement se sont considérablement accrus ». La Cour des Comptes, chapeautée par son bougon président Séguin, avait, en 2005, sonné le tocsin. Compétences floues, budget prévisionnel toujours à la baisse, endettement… tout y est. « C’est pourquoi, martèle Rudy Salles, il faut un contrôle beaucoup plus drastique des intercos. Quand vous pensez que la chambre régionale des comptes ne se déplace que tous les quatre ans. Certains font vraiment ce qu’ils veulent ».
Pas moins scandaleux : la question du suffrage universel. Six projets de loi, toutes couleurs confondues, ont eu pour but de mêler directement le peuple aux affaires intercommunales. Toutes enterrées. La commission Mauroy appelait en 2001 à une évolution de la législation avant les municipales de 2008. Or, en mars prochain, rien n’a changé. Les communes conservent le monopole de l’élection directe des représentants.
Ainsi, aujourd’hui, les élus d’une communauté d’agglomérations sont de simples délégués municipaux issus des sept, quinze ou trente communes membres de l’agglomération. Un seul élu communautaire peut représenter de 100 à 100 000 habitants ! Les politiques accumulent les charges mais aussi la monnaie. Un précieux sésame qui alimente les bouches de nos chers représentants. Plus proche de nous, le rapport de « Nostradamus Attali » a préconisé début janvier de renforcer l’intercommunalité en supprimant les départements. Mais comme toute proposition, il risque d’achopper sur le puissant lobby des maires qui met tout en œuvre pour vouer à l’échec les volontés démocratiques de certains. Au congrès annuel, les audacieux qui se risquent à proposer le suffrage universel repartent sous les sifflets et les critiques fusent. « L’intercommunalité ne fait pas de politique » claironnent-ils à qui veut bien l’entendre pour se justifier.
Pourtant, les alliances et les stratégies sont de rigueur. Ainsi, pour se maintenir à la tête de la communauté urbaine du Grand Lyon, où il n’a pas la majorité, le socialiste Gérard Collomb n’hésite pas à pactiser avec des petites communes de droite. Contreparties financières, avantages divers et variés récompensent ensuite grassement les transfuges. Notamment à travers la dotation de solidarité communautaire qui reverse une partie des ressources intercommunales aux communes, pour réduire les inégalités territoriales. Les petits maires sont aussi des grands électeurs qui élisent les sénateurs. Tout homme politique raisonné brosse le poil soyeux des édiles pour accéder à la vénérable chambre haute du Parlement.
A lire ou relire dans Bakchich :
Tout en soulevant plusieurs questions de fond qui font écho à de nombreux débats actuels (en premier lieu ceux relatifs aux mécanismes de désignation des élus intercommunaux), votre article laisse perplexe par ses raccourcis et sa charge polémique.
L’avalanche de chiffres et de pourcentages que vous utilisez pour dresser le procès de l’intercommunalité mériterait a minima un complément d’explication.
La progression des impôts perçus par les intercommunalités, de leurs dépenses comme de leurs agents… est en effet incompréhensible si on n’explique pas que l’intercommunalité s’est : i) généralisée entre 1992 et 2008 à l’ensemble du territoire (de 20% à 90% des communes) ii) s’est souvent substituée à des structures préexistantes (districts, syndicats…) iii) a hérité des communes de nombreux services publics et charges gérés auparavant à leur échelle.
La croissance des dépenses et des effectifs constatée au niveau intercommunal résulte pour l’essentiel de transferts et d’un phénomène de "vases communiquants".
Les subventions spécifiques de l’Etat à l’intercommunalité, c’est-à-dire les dotations incitatives qu’il mobilise pour encourager leur création, ne représentent pas un quart de 38 milliards d’euros (soit 9,5 milliards d’euros)comme vous le dites, mais un peu plus de 2 milliards.
Quant à la croissance des produits fiscaux perçus par les intercommunalités, elle est pour l’essentiel liée à la mise en place de la taxe professionnelle unique (TPU) qui est un progrès peu contestable. L’intercommunalité se substitue aux communes pour percevoir la taxe professionnelle, elle en unifie le taux entre les communes pour éviter les concurrences et affecte les recettes soit aux compétences intercommunales soit à des reversements aux communes. De fait, la fiscalité qui transite désormais par l’intercommunalité a fortement progressé mais ce sont des ressources fiscales qui étaient perçues auparavant par les communes. De grâce, ne laissez pas croire que l’intercommunalité a augmenté la pression fiscale de 405% ! Ce n’est pas sérieux.
Les récents rapports (Cour des Comptes, rapport Lambert, rapport Attali) reconnaissent que des progrès restent à faire pour clarifier les compétences avec les communes, réaliser davantage d’économies d’échelle, améliorer la lisibilité des processus de décision. Dont acte. C’est le programme du mandat qui va s’ouvrir. Mais regardez aussi tout ce que l’intercommunalité a apporté ces dernières années dans le domaine des transports urbains, des équipements collectifs (culture, sport, crèches…), du logement, de l’action économique, de l’environnement (tri sélectif des déchets, assainissement…).