Un rapport d’observations définitives de la chambre régionale des comptes pointe les facilités immobilières consenties à EDF par la ville de Paris depuis plusieurs dizaines d’années. Une mine.
Le 30 août dernier, la chambre régionale des comptes (CRC) d’Île-de-France a adressé à Bertrand Delanoë, maire de Paris, un rapport comportant ses « observations définitives sur la gestion de la délégation du service public de distribution de l’énergie électrique dans Paris ».
Un document un peu aride, et parfois franchement technique, mais qui réserve quelques surprises - lorsqu’il dénonce, par exemple « une gestion opaque du parc immobilier mis à disposition » d’EDF par la ville de Paris.
C’est en 1955 (à une époque, souligne la CRC, « où toute l’industrie électrique – production, transport, distribution et fourniture – faisait l’objet d’un monopole ») que la distribution de l’électricité dans Paris a été concédée à EDF, dans le cadre d’une délégation de service public : arrivé à son terme le 31 décembre 2009, cet accord a été prolongé pour une durée de 15 ans le 1er janvier 2010.
Dans le cadre de ce « traité », explique la CRC dans son rapport, « un patrimoine » immobilier « important a été mis à la disposition d’EDF ».
En clair, l’entreprise détient depuis plusieurs décennies de gras morceaux de la capitale : « l’inventaire » de ces biens, « mis à jour en 2001, évaluait ce patrimoine mis à disposition à près de 402.000 m2 ». Soit, au prix moyen du mètre carré parisien, une véritable mine d’or.
Détail charmant : « le concessionnaire » – EDF, donc – dispose, aux termes des accords ainsi conclus, « de la faculté de vendre » les immeubles appartenant à la ville et mis à sa disposition, lorsque ces biens ne lui « sont plus utiles » dans sa mission (de service public) d’approvisionnement de la capitale en électricité – à la condition, expresse, de consacrer le produit de ces ventes à des travaux d’entretien de son système de distribution.
« En vertu de ces dispositions », constate la chambre régionale comptes, « EDF a cédé divers biens » municipaux « inscrits dans le périmètre de la concession » : le 10 février 2000, par exemple, l’entreprise « a déclaré à la ville que les locaux situés au 193, rue de Bercy », dans le douzième arrondissement de la capitale, « n’étaient plus utiles (…), et a demandé l’autorisation de les vendre ».
Cette autorisation lui a aussitôt « été accordée par » une « délibération du conseil de Paris du 27 février 2000 » lui permettant de « vendre le bien, préalablement déclassé du domaine public, pour un montant de 4.800.000 francs (731.755 euros) », et « sous réserve », tout de même, de s’acquitter de ses obligations contractuelles en affectant « le produit de la vente » à des travaux.
Or : « Une lettre d’EDF du 19 avril 2002 permet d’affirmer » qu’en réalité « le produit de la vente n’a pas été consacré à la réalisation de travaux », déplore la CRC.
De sorte que « l’opération ainsi conduite n’a eu d’autre conséquence que d’augmenter la trésorerie du concessionnaire » de plus de 700.000 euros - aux frais du contribuable parisien.
Interrogée par la CRC, la ville a répondu qu’elle se heurtait à quelques « difficultés pour exercer un véritable contrôle sur la gestion des comptes de la concession par EDF » - mais qu’elle avait la ferme intention « de demander, dès 2010, la restitution du produit de la vente de l’immeuble situé au 193 de la rue de Bercy, majoré des intérêts calculés au taux légal », et de « supprimer » bientôt « la clause autorisant » EDF à vendre « les biens mis à » sa « disposition ».
Ouf.
Autre révélation divertissante du rapport de la chambre régionale des comptes : EDF, lorsqu’elle ne vend pas les immeubles aimablement concédés par la ville, en tire évenuellement d’avantageux revenus locatifs – en toute irrégularité, une fois de plus.
« Certains biens devenus inutiles à la concession ont » ainsi « été conservés par EDF et loués à des tiers ».
Or, « ces locations sont irrégulières », d’abord parce que « ces biens sont mis à disposition pour la seule exécution du service public de distribution d’électricité » - et non pour être loués, comme on verra, à des commerçants -, ensuite parce que « la location de biens immobiliers faite sous la forme de baux commerciaux est interdite pour les biens appartenant au domaine public communal ».
Mais au diable les réglementations : « Plusieurs locaux ont » bel et bien « été loués par EDF à des tiers », et s’il « n’a pas été possible de procéder à un inventaire exhaustif » de ces menus arrangements, la CRC relève que « quatre immeubles au moins ont été loués jusqu’à une période récente ou sont encore loués » par l’entreprise « à des personnes » tout à fait « étrangères » au service public de distribution de l’électricité - puisqu’il s’agit par exemple, pour un immeuble situé au 384 rue Saint-Honoré, dans le premier arrondissement, d’une maroquinerie et d’une joaillerie, ou, dans le cas d’un autre immeuble, sis au numéro 9 de la rue de la Chaise, de l’Institut d’études politiques de Paris – plus connu sous le nom de « Sciences Po ».
Et là encore : la mairie de Paris, dans ses réponses à la chambre régionale des comptes, promet de se montrer ferme - elle « compte demander à EDF les sommes indument perçues ».
Problème : cette fermeté semble avoir ses limites, puisque par exemple – c’est encore une révélation du rapport de la CRC - « la restitution », en 2003, « de l’ensemble immobilier situé » aux numéros 76 et 76 bis de la rue de Rennes « s’est faite dans des conditions peu favorables aux intérêts de la ville ».
Cet ensemble, conséquent, se compose de deux bâtiments, d’une surface totale de 12 .000 m2 : l’un donne sur la rue et comprend un cinéma – L’Arlequin -, une agence commerciale d’EDF et 46 logements ; l’autre, « situé dans la cour intérieure », abrite un poste source électrique et « un bâtiment à vocation tertiaire ».
La CRC relève que le cinéma est « installé dans l’immeuble depuis 1934 », et que par conséquent « EDF n’a jamais occupé les locaux », loués depuis 1996 « à la société Arlequin », qui, au moment de la reprise de l’immeuble par la ville, « versait à EDF un loyer annuel de 78.000 euros ».
Cette location, précise la chambre régionale des comptes, était irrégulière : « D’abord consentie par EDF sans formalité », elle a, certes, finalement fait l’objet d’un bail commercial en 1998 – mais « la signature d’un » tel bail « pour l’occupation d’un bien appartenant au domaine public est interdite par la réglementation en vigueur ».
Et ce n’est pas tout : l’immeuble, on l’a dit, comprend aussi quarante-six logements situés « dans les étages surmontant le cinéma », dont la mise à disposition « ne se justifiait », rappelle la CRC, « que par la nécessité » pour EDF « de loger des personnels d’astreinte affectés à la distribution de l’énergie » électrique dans Paris.
Mais lorsqu’en 2001 le préfet, qui recherchait des logements susceptibles d’être réquisitionnés – il s’agissait, pour le gouvernement socialiste de l’époque, de loger « des gens en situation d’urgence » (1) -, a interrogé EDF sur l’usage qui était fait de ces appartements, l’entreprise s’est montrée incapable de démontrer qu’ils étaient occupés par des personnels d’astreinte devant nécessairement habiter à proximité des installations électriques : elle réservait plutôt « ces logements à ses cadres, sans rapport suffisant avec une nécessité absolue de service et de sécurité ».
Pour autant, note la CRC : « Le projet de réquisition n’a pas abouti ». Pour EDF, en revanche, tout s’est finalement bien terminé, puisqu’en 2003 l’entreprise a obtenu de la mairie, en échange de la restitution de l’ensemble immobilier qu’elle avait loué irrégulièrement, de confortables contreparties – en guise de remboursement des travaux qu’elle avait effectués dans cet immeuble.
D’une part, en effet, EDF a bénéficié « de 23 droits de désignation de locataires sur le site du 76 rue de Rennes, et de 23 droits de désignation dans le parc » des logements « intra-muros » appartenant à la ville de Paris – ce qui signifie, concrètement, que l’entreprise a récupéré les 46 logements où elle logeait libéralement des cadres, plutôt que des agents d’astreinte.
Montant du cadeau : 2.415.000 euros.
D’autre part, elle a reçu une indemnité sonnante et trébuchante de 2.585.000 euros.
Coût total de l’opération, pour la ville : cinq millions d’euros.
Une somme coquette.
La chambre régionale des comptes fait part de sa vive surprise : la ville a généreusement pris en charge, dans cette affaire, « certaines dépenses qu’il ne lui appartenait pas de financer ».
Par exemple, « des indemnités d’éviction », pour un montant total, rondelet, de 271.537,20 euros, « ont été versées aux locataires » du 76, rue de Rennes « en raison de la rupture anticipée » de leur bail. Du point de vue de la CRC : « La prise en charge d’une telle indemnité » revenait « exclusivement au concessionnaire », puisque « ces baux étaient irréguliers ».
Mais la municipalité a très gentiment choisi de « rembourser ces indemnités à EDF »…
De même : la CRC comprend mal pourquoi la mairie de Paris s’est acquittée « d’une partie de sa dette à l’égard d’EDF » en lui « octroyant (…) des droits de désignation dans 46 logements du parc social » municipal, car « la ville savait depuis 2001, année du projet de réquisition de l’immeuble » de la rue de Rennes, « que le concessionnaire n’utilisait pas les logements concédés au profit des agents d’astreinte, mais pour des cadres ».
Dans ces conditions, la chambre s’étonne que la mairie « ait accédé à la demande d’EDF » – et son étonnement est d’autant plus grand que personne n’a « vérifi(é) préalablement l’usage que » cette entreprise « faisait des 68 autres logements » parisiens « mis à sa disposition dans le cadre de la concession ».
Il est vrai qu’une telle vérification eût réservé quelques nouvelles surprises, comme l’a – aussi – découvert la CRC.
En effet : « L’exercice du droit de communication mis en œuvre auprès de l’administration fiscale pour certains » des chics immeubles mis à disposition d’EDF – celui de la rue Saint-Honoré et celui de la place Possoz (dans le 16ème arrondissement), notamment – « a permis à la chambre de constater » de curieuses « anomalies ».
Ainsi, « l’immeuble de la place Possoz comprend neuf étages divisés en 58 locaux identifiés par les services fiscaux, dont 30 logements » dont la surface varie entre 14 et 200 mètres carrés, mais « n’abritait que 22 locataires » : huit logements étaient donc vacants – dont maints mal-logés se seraient sans doute contentés.
Autre motif d’étonnement : « Parmi les 22 locataires, neuf au moins n’avaient pas de lien direct avec la concession », puisque « trois étaient retraités et six autres étaient des cadres travaillant dans des directions d’EDF ou GDF sans lien direct avec les activités de distribution » de l’électricité dans Paris.
Même constat dans l’immeuble de la rue Saint-Honoré : « Sur les 10 logements identifiés, seuls quatre d’entre eux étaient occupés en 2007 », et « trois des quatre occupants étaient étrangers au service de la distribution d’électricité : deux des occupants étaient retraités, le troisième était salarié d’une entreprise privée »…
Last but not least : la chambre des comptes s’est penchée, pour finir, sur le cas, tout particulier, de « l’immeuble situé 6, rue Récamier » (dans le très coté 7ème arrondissement), d’une superficie d’environ 1.300 mètres carrés, propriété de la ville depuis 1908, mis à la disposition d’EDF depuis de longues décennies.
En 1988, narre la CRC, « la ville a manifesté son souhait de reprendre l’immeuble, mais EDF a demandé à le conserver en raison de son projet » d’y mettre en place « un poste source » électrique.
« La mise à disposition a donc été maintenue au profit de l’entreprise, aux termes d’une convention » datée du 31 mai 1988 qui, « dans l’attente de la réalisation des travaux » et de la construction du poste source, « autorisait EDF à mettre provisoirement l’immeuble à disposition “au seul profit de la fondation Électricité de France pour les arts, les sciences, et l’aide humanitaire“ ».
Vingt-deux ans plus tard, force est de constater, relève la CRC, que « les travaux de renforcement du réseau de distribution électrique n’ont jamais été réalisés ».
En revanche : l’immeuble de la rue Récamier « est actuellement mis gratuitement à disposition de la fondation d’entreprise EDF Diversiterre, entité juridique différente » de celle à qui la délégation de service public de la distribution électrique a été concédée par la ville de Paris.
Conclusion : « La ville, en mettant cet immeuble gratuitement à disposition, subventionne donc indirectement la fondation EDF Diversiterre », dont « les comptes ne font pourtant pas apparaître cet avantage en nature ».
Un oubli, sans doute ?
Dans ses réponses à la CRC, Bertrand Delanoë explique que « la ville partage les observations et les recommandations de la chambre sur le caractère anormal de la gestion » de son patrimoine immobilier municipal par EDF, et qu’il est « prévu de réintégrer tout ou partie des logements mis à disposition » de l’entreprise « dans le patrimoine de la ville, ainsi que les locaux loués par EDF pour un usage commercial ».
La mairie, précise-t-il, « a fait réaliser un audit patrimonial et financier, préalablement » à la réintégration de ces biens « dans son patrimoine », et « se réserve le droit d’en tirer toutes les conséquences sur le plan financier dans ses relations présentes et futures » avec EDF.
Nul doute que la fondation EDF Diversiterre, tout à son « action tournée vers la solidarité sociétale », lui apportera son plein soutien dans cette noble mission d’intérêt général.
Quand je pense que des milliers de personnes sont dans des logement insalubre ou voir pire dans la rue je trouve vraiment honteux que EDF est de telle avantage qui ne se justifie apparemment pas. Avec les factures toujours plus salé que l’ont paie ont se demande quand cesseras se monopole d’EDF subventionné par l’État.