La proposition de loi Carle, adoptée le 10 décembre 2008 par le Sénat, initialement prévu mi-juin à l’Assemblée, a encore été reportée. Le monde éducatif est sur le qui-vive.
Une vive inquiétude est en train de naître dans le milieu éducatif. Initialement prévue le 15 puis le 18 juin, la proposition de loi Carle, déjà adoptée par le Sénat le 10 décembre 2008, passera à l’Assemblée à la fin du mois. Le texte, qui vise à clarifier les responsabilités des communes concernant le financement des écoles élémentaires privées, prévoit « la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat lorsqu’elles accueillent des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence ».
Tout est parti de l’ « article 89 » de la loi du 13 août 2004, goutte d’eau qui, voici cinq ans, fit déborder le vase des rancœurs toujours vivaces, d’une guerre scolaire public-privé jamais enterrée. Cet article innovait avec l’obligation inédite pour toutes les communes de France de mettre la main au portefeuille et participer aux frais de scolarisation des enfants résidant sur leur territoire mais que leurs parents auraient eu l’heur de choisir d’inscrire dans une école privée, dans une autre commune… En gros, et pour caricaturer un peu (si peu…), Clichy paierait pour Neuilly des sommes potentiellement astronomiques. Alors même que les principes institués en la matière - par la fameuse loi Debré de 1959 - ne mettaient à la charge de la commune, « que » les dépenses de fonctionnement des écoles privées implantées sur son territoire, et elles seules.
En réalité, derrière l’article 89 se cachait, ni plus ni moins, la tentative discrète d’instaurer en France, le « chèque éducation », cher aux ultra-libéraux anglo-saxons. Une enveloppe donnée aux familles, libres de choisir l’établissement de leur progéniture, et en bons consommateurs, de faire « jouer la concurrence » sans craindre de condamner ainsi certains établissements à la disparition, achevant une déconnexion complète de l’école et de la Nation, de l’école et de l’Etat…
En jeu avec cette proposition de loi Carle, selon ses promoteurs : la « liberté de l’enseignement », et une « parité » de traitement permettant l’égal accès des enfants au public, et au privé. Habile et perverse manipulation de concepts, dont on imagine aisément l’impact tout autre qui serait la sienne, si elle venait à toucher au secteur de la santé, contraignant les communes à financer les soins des malades dans les cliniques privées des beaux quartiers, au mépris de son hôpital public… Devant la bronca provoquée par une première version du texte, le Sénat s’était finalement résolu, fin 2008, à abroger l’article de la colère…
Après l’échec du premier passage en force, le 10 décembre 2008, le sénateur UMP, Jean-Claude Carle, avait donc proposé une loi de rechange. En façade, de larges compromis : le financement ne serait plus systématique mais sous condition et limiterait, certes, les obligations de la commune aux motifs suivants : obligations professionnelles des parents ; l’inscription d’un frère ou d’une sœur dans un établissement scolaire de la même commune ; raisons médicales. En bref, l’essentiel du projet de loi a été sauvé…
Le texte passe, ce jeudi, à l’Assemblée nationale. Mais un certain nombre de députés ont déjà exprimé leurs réticences. La question qui fâche, c’est le député UMP des Yvelines, Pierre Cardo, qui la met sur la table : « Si l’on autorise une famille à inscrire un enfant dans l’école privée d’une autre commune parce que la commune de résidence ne propose pas la restauration ou la garde, pourquoi n’est-il précisé nulle part que l’école privée doit elle-même proposer ces prestations ? »… Cardo va plus loin, évoquant son expérience de « maire de banlieue » : « Dans une ville qui connaît de nombreuses difficultés, les parents ne songent qu’à une chose : inscrire leurs enfants ailleurs. Il en résulte une concentration des difficultés dans certains établissements et un effet de ghettoïsation qui sont catastrophiques ». Une crainte partagée par la députée UMP de Paris, Françoise de Panafieu, qui juge « indispensable de prévoir une autorité de contrôle si nous voulons éviter une logique de ghettoïsation ».
Dans l’opposition, les craintes sont aussi fortes. Martine Billard, députée Verts, enfonce le clou : « dans les cas où le nombre d’élèves est proche du seuil de fermeture d’une classe, la loi risque de s’appliquer au détriment des écoles publiques et au profit des écoles privées. L’école publique est censée accueillir tout enfant. Pourquoi prévoir qu’elle pourrait ne pas disposer des capacités d’accueil nécessaires ? ». Au PS, les positions sont plus floues. Les défenseurs traditionnels, alliés « naturels » du service public d’éducation, partent en ordre de bataille dispersé. « Nous ne sommes pas encore crédibles », avait diagnostiqué Martine Aubry au lendemain du récent fiasco que l’on sait… À défaut d’être crédible, faut-il rappeler que le PS n’a finalement, jamais été sur ces questions, ni limpide, ni réellement audible ?
En vue de l’examen définitif et tout proche de la loi Carle à l’Assemblée, les laïques fédérés au sein du CNAL (Comité national d’action laïque) implorent les députés d’adopter le seul article 3 de la loi Carle, qui abroge l’article 89. Et les invite « à saisir le Conseil Constitutionnel » le cas échéant : « Ce qui « déclenche » le financement du forfait n’est plus le contrat qui lie la commune avec son école privée mais le choix d’une famille qui décide de scolariser son enfant dans un établissement privé d’une autre commune. C’est une étape vers un libre marché scolaire »…
Très loin de l’esprit de Jules Ferry…
À lire ou relire sur Bakchich.info :
école publique = fonds publics école privée = fonds privés
l’argent public ne sert pas à financer des bénéfices.
Pourquoi nos députés socialistes ne se préparent-ils pas à déposer un recours devant le conseil constitutionnel, dans les 8 jours légaux qui suivront le vote de la Loi Carle à l’Assemblée, le 26 septembre prochain. En effet, l’état a une obligation constitutionnelle d’organiser l’enseignement public : « … l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat. » Faut-il que les citoyens fassent pression sur eux ? www.laicite-laligue.org aanne