Les flics de l’anti-terrorisme règlent leurs comptes à propos des fuites de l’enquête sur Yvan Colonna, dont le procès s’est ouvert lundi.
Ce n’est qu’un procès en diffamation. L’instruction est close depuis des lustres. Et pourtant, le parquet de Paris traîne toujours les pieds pour le faire audiencer. Aucune date n’a encore été fixée huit ans après les faits. La procédure lancée par l’ancien patron de la police judiciaire corse, Démetrius Dragacci, en 1999, contre l’ex-patron de la Division nationale anti-terroriste (DNAT), Roger Marion, est explosive, à quelques jours de l’ouverture du procès aux assises d’Yvan Colonna, l’assassin présumé du préfet Erignac.
Les termes de « la controverse d’Ajaccio » sont connus : Dragacci, grand flic corse originaire de Cargèse, la ville natale de Colonna, est-il responsable de la fuite dans le maquis en mai 1999 du berger accusé du meurtre du préfet ? C’est en tous les cas ce que l’ineffable Marion, qui avait laissé filer le suspect n°1, avait déclaré en juillet 1999 devant la commission parlementaire chargée d’étudier le fonctionnement des forces de sécurité sur l’île de Beauté. « D’après mes informations, c’est l’ancien directeur de la PJ d’Ajaccio [Dragacci, Ndlr] qui a prévenu le père [de Colonna, qu’il était surveillé, Ndlr] », avait déclamé Marion. Affirmation cocasse. Les bons connaisseurs de la spécificité insulaire savent que Dragacci et le père Colonna, bien qu’installés dans le même village de caractère sur les bords du golfe de Sagone, ne se parlent plus depuis belle lurette.
Ils s’étaient fâchés à mort au début des années 80, quand Jean-Hugues Colonna, alors député socialiste, élu d’une circonscription niçoise et très introduit au ministère de l’Intérieur, s’était opposé à la nomination de Dragacci à la tête de la police de l’Air et des Frontières de Nice. « L’aéroport de Nice et sa police était alors gangrenés par la corruption et Dragacci devait y mettre bon ordre, explique un témoin de ces époques troublées. Colonna ne souhaitait pas qu’un monsieur Propre vienne troubler les petits arrangements de sa clientèle niçoise ». Que de vilaines insinuations… Résultat, deux ans d’avancement de perdus pour le commissaire Dragacci. On le voit mal donner, dix ans après, un tuyau au père Colonna pour que son fils échappe aux griffes de la justice… Marion, si ! Au moins en 1999. Car huit ans après ces tonitruantes déclarations, il a du mal à étayer ses soupçons. Durant l’instruction, l’ancien boss de l’anti-terrorisme n’a pu fournir aucune offre de preuve au tribunal. En droit, Marion peut encore s’en sortir, s’il arrive à convaincre ses juges de sa bonne foi. Ce sera dur. Marion a persuadé quelques huiles policières et politiques, tel l’ancien ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, de venir témoigner en sa faveur. Mais dans son attestation de probité, Chevènement se garde bien de se prononcer défavorablement sur Dragacci.
Même l’absence « d’intention de nuire », une autre des techniques pour sortir blanc comme neige des accusations de diffamation, sera difficile à plaider. Car le contentieux entre Marion et Dragacci remonte à 1994, à l’époque de l’affaire du Golf de Spérone, l’arrestation en flagrant délit d’une quarantaine de nationalistes cagoulés s’apprêtant à faire exploser le complexe touristique coupable de ne pas payer « l’impôt révolutionnaire ». L’affaire avait été réalisée par la PJ corse. Dragacci, pour éviter les fuites, avait refusé de prévenir Paris. Marion, toujours soucieux de glaner les lauriers des autres, avait très mal pris le fait d’avoir été écarté de l’opération. Et en voulait depuis aux flics corses en général et à Dragacci en particulier. Cette petite anecdote risque de ne pas arranger les affaires du flamboyant Marion. Encore faudrait-il que le procès se tienne un jour…
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