Russell Crowe, journaliste pris au piège d’un complot à Washington. Un thriller parano qui fleure bon les 70’s.
Parfois, la vie d’un film ne tient qu’à un fil. De fait, Jeux de pouvoir devait être un véhicule pour Brad Pitt. Une semaine avant le tournage, alors que le réalisateur britannique Kevin Macdonald peaufinait son bébé depuis deux ans, que le décor géant de la salle de presse était construit et que tous les comédiens étaient engagés, Brad quitte brutalement le navire (après The Fountain, ça devient une habitude, n’est-ce pas Mr Jolie ?). Pour tenter de sauver son film, Macdonald fonce en Australie afin de convaincre Russell Crowe, pas connu pour être le gars le plus accommodant du monde. 24 heures plus tard, la star de Gladiator donne son feu vert, remettant immédiatement le film sur des rails. Néanmoins, comment imaginer maintenant Jeux de pouvoir avec en vedette Brad le bogosse, une fois que l’on a vu Russell Crowe, une nouvelle fois époustouflant en journaliste bourru, enrobé et opiniâtre.
Cal McAffrey est un journaliste old school. Il se nourrit exclusivement de chips, boit de la bière tiède, son hygiène est pour le moins déplorable, sa Volvo ressemble à une poubelle, son bureau est plus embouteillé que le périph le vendredi soir et sa dernière chemise date de 1983. De plus, notre homme a tendance à se laisser pousser les cheveux, le double menton et la bedaine. Mais on l’aura compris, Cal McAffrey est un putain de bon journaliste.
Comme les meilleurs limiers de Bakchich, c’est un homme de terrain, un vieux routier de l’investigation qui connaît tous les flics de Washington et toutes les tares des politiciens. Mais à l’heure d’internet, McAffrey est un dinosaure, un journaliste qui fouine, bat le pavé, interroge ses sources, alors que les bloggeurs de son journal (comprendre, le mal incarné) se contentent de copier/coller des dépêches (comme si c’était possible). Suite à la mort suspecte de l’assistante d’un élu du Congrès, le reporter senior va faire équipe avec une jeune rédactrice du web. S’entendant au tout début comme chien et chat, ils vont découvrir que la mort de la jeune femme est liée avec un autre assassinat et plonger tête la première dans un vaste engrenage politico-financier où il est question de sociétés privées de surveillance et de protection.
Deux journalistes que tout oppose, des politicards pourris, un complot d’envergure internationale, vous commencez à ronfler et à votre souris vous démange furieusement. Attendez ! Tout d’abord, ce thriller époustouflant est adapté de State of Play, la formidable mini-série de la BBC en six épisodes d’une heure. Signée Matthew Michael Carnahan, le frère de Joe, et Tony Gilroy (Michael Clayton, la trilogie La Mémoire dans la peau), l’adaptation US est tranchante comme une lame. Leurs personnages, très stéréotypés à début, gagnent peu à peu en épaisseur. La star du journalisme est en même temps aveuglée par son amitié envers un politicard ; la jolie bloggeuse va se révéler quant à elle un très bon limier.
L’inspiration de nos deux scénaristes, c’est le thriller parano des années 70. Jeux de pouvoir s’apparente à une superbe machine à voyager dans le temps et rappelle, au détour d’une séquence, quelques monuments comme A cause d’un assassinat, Les 3 jours du Condor, Les Hommes du président ou certains thrillers de John Frankenheimer. Le film est très écrit, avec des kilomètres de dialogue, des rebondissements toutes les cinq minutes (il y en a au moins un de trop vers la fin), des personnages vraiment solides, bref, c’est du cinéma classique, à l’ancienne, qui fait chaud au cœur. Et qui en met aussi plein la vue avec une série de scènes d’action vraiment très bien réalisées par Kevin Macdonald, ancien documentariste et metteur en scène du Dernier Roi d’Ecosse, qui a rapporté un Oscar à Forest Whitaker dans le rôle d’Idi Amin Dada. Homme de goût, le cinéaste s’est entouré de pointures pour peaufiner sa machine à suspense : Rodrigo Prieto, chef op’ de Brokeback Mountain, Mark Friedberg, décorateur de Synecdoche, New York ou encore Jacqueline West, costumière de L’Etrange histoire de Benjamin Button.
Superbe thriller, Jeux de pouvoir est évidemment un excellent film politique. Le grand méchant du film est une firme de sécurité privée à qui l’armée américaine a sous-traité sa guerre en Irak, qui envoie des mercenaires là-bas pour faire le sale boulot et qui a maintenant des prétentions sur le sol US [1]. C’est également une très belle déclaration d’amour au journalisme d’investigation. Dernier rempart contre la com’, le mensonge d’état ou la dictature, Russell Crowe rejoint les plus grands personnages de journalistes du septième art : Bogart dans Bas les masques, Redford et Hoffman dans Les Hommes du président, Pacino dans Révélations. Dès hommes libres, qui foutent leurs vies privées en l’air, mais qui parviennent à faire triompher la vérité. Les derniers héros de la démocratie… Mais le générique de fin nous indique clairement que leurs jours sont comptés… Pour finir, juste un big up pour les traducteurs. Ainsi, le très frais « Fuck you very much » devient le très poétique « Merci mon gland ». C’est beau comme du Sarko.
Jeux de pouvoir de Kevin Macdonald, avec Russell Crowe, Ben Affleck, Rachel McAdams, Helen Mirren. En salles le 24 juin
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[1] Pour en savoir plus sur les sociétés de sécurité privées, genre Blackwater, qui gagnent des millions de dollars à Bagdad et qui n’hésitent pas à tirer sur les civils irakiens, je vous recommande la lecture de l’excellent document Dans la zone verte – Les Américains à Bagdag, de Rajiv Chanrasekaran, rédacteur en chef adjoint du Washington Post. Edifiant !