La justice vient de trancher, Jean-Marc Rouillan reste en prison. « Bakchich » revient sur les liens troubles de l’ancien leader d’Action Directe, dans les années 80, avec le PS.
Condamné à la perpétuité en 1989 pour l’assassinat du Général Audran et du PDG de Renault, Georges Besse, Jean-Marc Rouillan, fondateur d’Action directe, vient de faire un bref mais violent come-back médiatique. Et qui lui vaut, après déjà 19 ans de détention, de dormir à nouveau en prison. En attendant la décision du juge d’application des peines (JAP) aujourd’hui 16 octobre.
En cause, une interview accordée à l’Express et dans laquelle à la question posée « Regrettez-vous les actes d’Action directe, notamment l’assassinat de Georges Besse » ? Rouillan répond : « Je n’ai pas le droit de m’exprimer là-dessus… Mais le fait que je ne m’exprime pas est une réponse. Car il est évident que, si je crachais sur tout ce qu’on avait fait, je pourrais m’exprimer. »
De tels propos sont considérés par le Parquet comme une atteinte à l’ordre public voire une apologie de meurtre, et la sanction tombe : la révocation du régime de semi-liberté auquel Rouillan était soumis [1]. Pour les membres de son comité de soutien, Rouillan se serait fait « piéger » et serait victime de « l’acharnement » du pouvoir. D’autres voix soulignent que Rouillan ayant purgé sa peine, « personne ne peut exiger de lui qu’il renie son engagement politique passé. »
Un vrai débat qui pose la question de savoir si Rouillan peut être un militant politique comme un autre.
« Oui » répond Olivier Besancenot, responsable de la Ligue communiste révolutionnaire, parti qui s’apprête à transformer la formation trotskiste en Nouveau parti Anticapitaliste (NPA) et qui depuis plusieurs mois négocie l’intégration de l’ex-terroriste au sein du NPA.
Un recrutement qui suscite la colère de Françoise Besse, veuve du PDG de Renault assassiné en 1986 et qui estime que le facteur de Neuilly se conduit de « façon honteuse » et « trompe ses électeurs ».
Sans prendre de gants Besancenot réplique en soutenant que « le passé est le passé. Françoise Besse a des comptes à régler avec Action Directe. Je regrette qu’elle les transfère sur moi ». Le ralliement de l’ancien leader d’Action directe suscite toutefois de vives réactions en interne comme celle de Christian Piquet, cadre historique de la Ligue, qui se déclare « atterré ».
« Nous n’avons jamais rien eu à voir avec une secte gauchiste fascinée par la violence minoritaire.( …) Rouillan n’est jamais revenu sur les errances délirantes de son mouvement dans les années 70 et 80. Libre à lui. Libre à nous de dire que son combat et le nôtre sont totalement contradictoires », poursuit Piquet. Et d’en conclure : « Rouillan n’a rien à faire dans le NPA. Le dire de façon claire, nette et précise est la seule manière d’en terminer avec cette polémique qui cherche à nous nuire en nous assimilant à un groupe terroriste qui n’a jamais rien représenté ».
Une secte de « communistes combattants » qui en n’a en effet jamais rien représenté, mais dont l’extraordinaire saga de « Bonnie and Clyde » du terrorisme à la française, jalonnée d’attentats, de braquages et de meurtres, de grèves de la faim, et d’une cavale hors norme, n’a cessée de fasciner, jusque dans les sphères les plus hauts placées du pouvoir.
Ce que feignent d’avoir oublié François Hollande et Bertrand Delanoë, qui, ont respectivement invité Besancenot à « se débarrasser de cet adhérent vraiment encombrant », Delanoë précisant qu’il n’aurait lui « Jamais, jamais, jamais la moindre complicité avec le terrorisme. » à l’époque où Action directe – qui avait pris ses quartiers dans le XVIIIème arrondissement de Paris avait suffisamment l’oreille du PS pour faire muter un responsable de la lutte anti-terroriste aux Antilles… (Cf. Nous avons dit que nous allons assassiner certaines personnes et non pas tout le monde)
Officiellement, Action Directe signe son premier attentat le 1er mai 1979, avec le mitraillage de la façade du siège du patronat à Paris. Une action suivie d’une vingtaine d’attentats à l’explosif ou au tir à la roquette, au rythme d’un par mois sur des objectifs aussi divers que le ministère des Transports, celui de la coopération les locaux de la DST, l’Ecole militaire ou encore la délégation à la sécurité routière.
En cette fin de règne du giscardisme, l’heure est à la radicalisation de l’ultra-gauche. Dans le sillage ce que l’on a appelé l’euroterrorisme « bande à Baader » en RFA , Brigades rouges en Italie. La situation en France au cours de ces « années de plombs » n’est toutefois en rien comparable à celle de l’Allemagne et encore moins à l’Italie dont les prisons compteront près de 5000 prisonniers politiques.
Dans ces deux pays, les partisans de la violence se comptaient par milliers, voire des dizaines de milliers et les organisations de lutte armée y bénéficient d’une incontestable assise au sein de la jeunesse et/ou dans les milieux populaires. En France, où le mouvement « autonome » à son zénith n’a jamais mobilisé le temps d’une manif que quelques centaines de « marginaux », l’apparition d’Action directe, au printemps 79 marque surtout la décision de Rouillan de voler désormais de ses propres ailes.
Les racines de son engagement dans la lutte armée sont bien antérieures ; à Toulouse et au contact de militants anarchistes espagnols réfugiés dans le Sud-Ouest de la France. Au début des années 70, âgé de 20 ans, Rouillan milite contre le régime de Franco au sein du MIL (Mouvement ibérique de libération) puis du GARI (Groupe d’action révolutionnaire internationaliste). En 1973, il participe à une attaque de banque en Espagne au cours de laquelle un garde civil est tué. Rouillan parvient à s’enfuir, mais l’un des participants à cette opération de financement, Salavador Puig antich est arrêté. Condamné à mort, il sera exécuté quelques mois plus tard.
En marge de son procès, le Gari se livre depuis leur base à Toulouse à une série impressionnante d’attentats, de braquages en France, en Belgique, en Italie pour tenter d’arracher sa grâce. Ce qui mérite d’être retenu, c’est bien le caractère « internationaliste » d’une organisation qui se signalera par des opérations spectaculaires de financement.
Ni l’exécution de Puig Antich (garrotté en mars 1974) ni la mort de Franco (novembre 1975) pas plus que la transition démocratique en Espagne ne conduiront la nébuleuse des Gari à y renoncer. En Août 1979, « l’Organisation » réussit le hold-up du siècle à Condé-sur-Escaut en raflant 17 millions de francs, une somme colossale à l’époque.
Autre spécialité des GARI les faux. Faux papiers, faux billets, et surtout faux travellers dont la fabrication atteint une échelle quasi industrielle. En 2000, une des figures de légende de la mouvance anarchiste, Lucio Urtubia, confie au journaliste du Canard, Bernard Thomas le soin de rédiger ses mémoires. Intitulé, « Lucio l’irréductible » l’ouvrage est ainsi présenté : « En 1980, la police française pourchasse un faussaire redoutable. Il a inondé le monde entier de faux travellers pour un montant évalué à plusieurs milliards de centimes. Elle arrête un suspect, Lucio Urtubia ( …) On y croise des voyous, des militants de l’ETA et d’Action directe, des avocats connus, des procureurs, des ministres, Che Guevara. (…) Tout est vrai dans ce livre (…) » assure le chroniqueur du Canard Enchaîné [2]
Un lecteur attentif y découvre, la profondeur de l’ intimité qui unit alors certains responsables socialistes de premier plan ou futurs ministres socialistes à ces mêmes Anars, par ailleurs engagés aux Garis, à l’ETA, Action directe etc.
Ainsi, c’est Roland Dumas qui défend Lucio Urtubia, tandis que dans le même mouvement à Matignon le conseiller justice du Premier ministre Pierre Mauroy, Louis Joinet (Fondateur du Syndicat de la magistrature) impose à une banque US ( ! ) la First National City Bank de négocier avec le faussaire Lucio Urtubia. Au terme de l’accord parrainé par le conseiller justice du gouvernement français, en octobre 1982, la banque accepte d’enterrer l’affaire (Lucio avait été arrêté en flagrant délit) en échange de remise des plaques ayant servi à fabriquer les faux et d’une partie du stock de faux travellers.
Bernard Thomas précise que ce règlement amiable du contentieux va jusqu’à intégrer des indemnités pour Lucio Urtubia pour « cessation d’activité » !
Sur les faits, la version des « anars » et des flics pour une large part converge. De l’argent, énormément d’argent (au-delà du milliard de centimes de l’époque ) est passé entre les mains de « l’organisation ». Second point qui n’est pas contesté les relations ténues qui existent entre de hauts dirigeants socialistes et les militants révolutionnaires. Seule la destination finale de cet argent fait l’objet de sérieuses divergences : Pour Lucio il s’agit peu ou prou d’une forme d’aide d’humanitaire (lait en poudre, couvertures) destiné aux victimes de diverses dictatures notamment en Amérique du sud. Côté flics, on assure que l’argent finance pour une part le terrorisme international, et qu’a l’occasion il alimente aussi quelques les campagnes électorales.
Quelques figures des GARI se font ainsi remarquer comme « colleurs d’affiches » lors de la campagne législative en juin 1981 de Roland Dumas en Dordogne. Dans cet univers, Rouillan n’est alors considéré que comme un troisième couteau du GARI, une petite main et même « comme un bras cassé ».
Quelques mois après la fondation d’Action Directe, en septembre 80, il tombe d’ailleurs avec Nathalie Ménigon dans un piège assez grossier tendu par la direction centrale des RG. Soit un rendez-vous provoqué par un indic, Gabriel Chahine, et supposé leur faire rencontrer la star du terrorisme international « Carlos ». Objet du rendez-vous : faire sauter le barrage d’Assouan en Egypte ….
Rouillan est amnistié après le 10 mai 1981, tandis que Nathalie Ménigon qui a vidé un chargeur sur les policiers lors de son interpellation bénéficiera d’une grâce médicale.
Dans les Stores rouges ouvrage récemment publié [3], l’ex-commissaire Pochon, responsable de l’arrestation des membres d’AD, narre le climat d’extraordinaire défiance qui règne alors entre les flics de l’anti-terrorisme et le nouveau pouvoir.
La gauche doute de la loyauté de la police accusée de recourir à des provocations et de « criminaliser » les militants d’AD, tandis que les flics dénoncent la complaisance du pouvoir envers les terroriste. Un affrontement surréaliste au cours duquel les RG, dans leurs écoutes téléphoniques, sont amenés à suivre les négociations entre Action directe et la direction du Parti socialiste.
Une période que certains qualifieront de « syndrome Allende », soit le spectre d’un putsch.
Dans l’une de ses communications, Rouillan exige la mutation du commissaire Pochon en Guyane ! ce sera finalement la Martinique… Plus grave l’indicateur des RG qui a permis l’arrestation des membres d’AD est « balancé ». Le 13 mars 1982, il est exécuté de deux décharges de chevrotines.
Selon Bernard Thomas, le même haut magistrat cité plus haut avait projeté au printemps 1982 (avec l’aval du Premier ministre Pierre Mauroy) d’envoyer une équipe issue pour partie des rangs d’Action Directe en Bolivie pour y enlever… Klaus Barbie !
L’attentat antisémite de la rue des rosiers (six morts et vingt-deux blessés) le 9 août 1982, marque la fin de ses contacts quasi officiels et entraîne la dissolution d’Action directe. ( Action directe n’est pas impliqué dans cet attentat dont les auteurs restent inconnus mais des déclarations alambiquées de JM Rouillan entraine la dissolution d’ AD ) Seconde décision, François Mitterrand confie la lutte anti-terroriste à une cellule dirigée par des gendarmes… Ce qui ne sera pas sans conséquences (affaire des irlandais de Vincennes puis scandale des écoutes de l’Elysée).
Dès cet été 1982, le groupe replonge donc dans la clandestinité. En 1983, deux policiers sont abattus par des membres d’AD, ce qui n’augmente pas leur popularité au sein des services de police. Guère plus dans l’opinion, où AD ne peut se prévaloir d’aucun soutien dans les classes « populaires ». « Ils ont un problème de langage, admet un membre de leur comité de soutien. On ne comprend rien à ce qui qu’ils racontent. Pour le Français moyen, leurs textes, c’est du charabia » » [4].
En dépit de cet isolement incontestable, le noyau dur d’AD parviendra à tenir près de quatre ans dans la clandestinité jusqu’à son arrestation en février 1987, ( six mois après le retour de la droite aux affaires ) dans une improbable ferme berrichonne, non sans avoir auparavant frappé des cibles de premier plan du « lobby militaro-industriel » : le patron de Renault, George Besse et le Général Audran, homme clé des ventes d’armes à l’international.
A comme Audran , B comme Besse, un alphabet mortel qui reste encore aujourd’hui indéchiffrable. Deux meurtres dont les mobiles – le nucléaire iranien ? - comme les commanditaires restent méconnus.
Un sujet sur lequel les membres d’Action Directe, 20 ans après les faits, il est important de le souligner, ont donc toujours interdiction de s’exprimer.
A lire ou relire sur Bakchich.info
[1] régime lui interdisant notamment de s’exprimer sur les faits pour lesquels il a été condamné
[2] Lucio l’irréductible » de Bernard Thomas, Flammarion 2000
[3] Les stores rouges. Au cœur de l’infiltration et l’arrestation d’Action directe de Jean –Pierre Pochon. Edition des équateurs. 2008
[4] cité par Le Nouvel Obs du 7 octobre 1998
Ayant été un compagnon de route de Jean-Marc Rouillan, lors de la période AD, je peux témoigner que toutes les informations qui sont mises en scène ici proviennent d’une seule maison : la police.
Le regard de vos reporters y est donc biaisé et ne reflète qu’une infime partie de la réalité.
Combien de temps faudra-t-il attendre pour que les hommes et femmes qui ont participé à la lutte armée en France, dans les années 80, puissent s’exprimer en toute liberté ?
Le renvoi de Jean-Marc Rouillan, en prison, est intimement lié à cette question.
Un article qui, pour un profane, pourrait paraître bien documenté : la source connaît bien le sujet mais – et c’est normal - elle analyse les faits et ses souvenirs aux travers de sa propre expérience (sa carrière terminée et ses énormes rancoeurs qu’on peut quelquefois débusquer jusqu’au fil des commentaires). Le journaliste transcrit et se fait manipuler. Tout cela est très réducteur et finalement pas très reluisant … On trouvait d’habitude ce genre de déballages dans « Minute » et je trouve un peu gênant qu’ils parviennent désormais à remonter en surface (quatre articles en 15 jours), grâce à un collaborateur de Bakchich.
Rouillan, on s’en tape et Besancenot l’a parfaitement compris : 20 ans après, il n’intéresse plus que les familles des victimes. La loi concernant l’interdiction pour un condamné de s’exprimer sur son affaire a été faite pour éviter le scandale des mémoires publiées par certains criminels aux Etats-Unis. On est loin de l’esprit de cette loi quand on veut forcer Rouillan à la contrition et qu’on utilise pour ça des journalistes assez peu regardants sur leur propre responsabilité dans la montée de la mayonnaise. Je constate simplement qu’en France, un homme est aujourd’hui en prison, non pas pour des crimes qu’il a commis, mais strictement « pour une déclaration à la presse » : on appelle ça un prisonnier politique.
A l’époque où ça existait chez certains de nos voisins, certains prisonniers politiques se suicidaient en cellule et d’autres se faisaient abattre en s’évadant. Comme le dit si bien « Zézette » (encore elle !) à la fin d’un autre article : « Rouillan a finalement beaucoup de chance que le GIGN ne lui ait pas placé une balle entre les deux yeux. Mais ce n’est peut-être pas complètement terminé, nos "services" n’aiment pas trop quand on les chatouille ». Nos « services » seraient-ils redevenus des nids de fascistes ? N’en déplaise à la source de M. Laffitte, le véritable honneur des policiers qui ont jadis arrêté Rouillan et Ménigon réside justement dans le fait que, se trouvant en état de légitime défense, ils les ont appréhendés vivants aussi bien en septembre 80 qu’en février 87 ; à l’époque, certains de leurs collègues le leur ont suffisamment reproché …