Le tribunal de grande instance de Paris dira le 30 juin si le ministre de l’Intérieur était dans son droit en suspendant le policier Philippe Pichon, en conflit avec sa hiérarchie pour avoir divulgué les fiches Stic de deux personnalités.
In Bakchich Hebdo n°24 du 15 mai 2010
Bakchich Hebdo : Cher Philippe, on se tutoie ?
Philippe Pichon : Difficile de faire autrement après tant d’années de combats communs, notamment lors de notre croisade, en octobre 2008, pour la transparence du Stic, ce fichier policier qui recense, sans réel contrôle, 34 millions de Français victimes ou supposés délinquants.
B. H. : Nicolas Sarkozy, qui s’inquiétait déjà de ta médiatisation lors de la publication de ton livre, le Journal d’un flic, est servi. Te voilà à nouveau sous les feux de la rampe médiatique. Le 19 mai, le tribunal de grande instance doit rendre un jugement après ta plainte contre Brice Hortefeux. (ndlr : Un ultime recours du ministère a reporté le jugement au 16 juin)
P. P. : Avec l’aide d’un avocat talentueux et tenace, William Bourdon, nous avons réussi à casser la décision du ministère de l’Intérieur, qui m’avait mis à la retraite d’office. à mon grand regret, l’ensemble des représentants syndicaux présents avaient voté pour mon exclusion de la police, lors du conseil de discipline. J’ai été réintégré, malgré eux, au printemps 2009. Mais depuis, rien. Je ne suis affecté nulle part, condamné à ne rien faire.
B. H. : Quel effet cela fait-il de se retrouver en garde à vue ?
P. P. : Les quarante-huit heures de garde à vue, plus les dix heures passées dans la « souricière » au Palais de justice, sont faites pour humilier et casser : deux fouilles au corps, convocation de ma compagne et pressions sur elle, fuites du parquet à l’AFP laissant entendre que j’avais touché des bakchichs… de Bakchich. Et encore, j’ai eu la chance qu’un gardien de la paix m’ait reconnu et placé dans la cellule avec douche réservée aux VIP, celle qu’avait occupée Bernard Tapie.
B. H. : La brutalité de la réaction de la hiérarchie policière paraît surprenante, au vu de l’usage indélicat qui est fait, chaque jour, des fiches Stic.
P. P. : « Indélicat », c’est peu dire. Rien que pour les fiches de Johnny Hallyday et de Djamel Debbouze, ils ont été respectivement 543 et 617 policiers à y jeter un oeil. Ce sont des dizaines de consultations, du fichier de Vanessa Paradis à celui de Jean-Paul Belmondo, qui furent même constatées sur l’ordinateur d’une collègue d’Angoulême. « Je cherchais à tuer l’ennui », a-t-elle expliqué aux enquêteurs. Plus grave, un certain nombre de mes collègues, en lien avec des boîtes de renseignements privées, vendent quotidiennement ces fiches. C’est ce que, dans notre jargon, on appelle « la tricoche ». Surtout, des responsables policiers distillent des renseignements à leurs interlocuteurs politiques pour se faire valoir. Quand ils n’inscrivent pas les opposants sur le Stic, comme je l’ai vu faire à Coulommiers lorsque l’UMP Guy Drut était maire de la ville.
B. H. : Dans quelles conditions as-tu livré les fiches Stic à Bakchich ?
P. P. : (Sourire) Il valait mieux Bakchich que Gala, non ? Mais je n’ai averti la presse qu’après avoir tout tenté en interne. Dès 2007, j’ai pondu un rapport à la demande de ma hiérarchie, inquiète des enquêtes à venir de la Cnil [Commission nationale de l’informatique et des libertés, ndlr], sur la situation du Stic. Le 24 avril 2008, j’alerte ma hiérarchie, qui répond : « Votre obligation de réserve ne laisse pas entièrement intacte votre liberté d’expression. »
B. H. : Cette fois, en tout cas, tout prouve que tu n’as pas obéi à ton chef.
P.P. : Le fonctionnaire de police doit servir l’intérêt public, même s’il doit enfreindre des consignes hiérarchiques qui desservent l’ordre républicain.
A lire sur Bakchich.info :
C’est fou cette histoire de l’homme intègre sanctionné, mais tellement banale dans la Fonction Publique. Ainsi :
Tout fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou délit doit en aviser sans délai le procureur de la République. (Article 40 du Code de procédure pénale)
Syndicaliste, j’ai défendu des agents de la Fonction Publique, quels que soient leurs grades, car sanctionnés et même virés pour avoir refusé de faire un acte délictueux sur ordre ou pour avoir dénoncé le comportement d’un supérieur avec preuves et témoins à l’appui.
Combien de Procureurs sont allés au bout de la procédure ?
Combien de sites tous ministères confondus détruisent (quand ils les détruisent) dans les délais, les enregistrements des caméras ?
Dans les services de communication ou les académies par exemple, combien de fichiers déclarés ? Combien sont détruits lorsqu’inutiles ?
Combien de chefs de services s’émeuvent des sans-papiers du bâtiment qui bossent sans protection sur les sites de la Fonction Publique ?
Combien d’oeuvres d’art des réserves des musées, disparaissent détruites ou volées ? Combien sont rachetées en douce ?
Combien de policiers dénoncent les violences des collègues lors des contrôles ou des garde-à-vues ?
Des commandants Pichon existent partout. Malheureusement la plupart des fonctionnaires n’ont ni son grade, ni sa ténacité…