Les syndicats appellent aujourd’hui à une journée de mobilisation pour alerter sur la situation sociale dans l’entreprise, au moment où l’on apprend qu’un salarié a tenté de se suicider devant ses collègues. En pro de la com’, la direction s’est offert juste avant l’été un beau label de « responsabilité sociale ».
Alors que la comptabilité macabre sur les suicides à France télécom se poursuit (trois depuis le printemps) les syndicats ont appelé aujourd’hui à une journée d’action pour dénoncer la casse sociale et « le management par la peur » dans l’entreprise.
Casse sociale à France Télécom ? Impossible. L’opérateur téléphonique n’a-t-il pas reçu juste avant l’été « le label de responsabilité sociale pour ses centres de relation client » ? Bakchich s’est intéressé aux coulisses, peu reluisantes, d’une telle distinction.
Le label de responsabilité sociale pour les centres de relation client a été créé en décembre 2004 par l’Association Française de la Relation Client (AFRC) et le Syndicat Professionnel des Centres de Contacts (SP2C), en partenariat avec le Ministère du travail. Aujourd’hui géré par l’Association pour la promotion et le développement du Label de Responsabilité Sociale, il vise à revaloriser l’image d’une profession souvent montrée du doigt depuis la fin des années 90. On sait que dans ce secteur en plein « boom » (qui compte 250 000 salariés, certains, comme France Télécom, ont en effet une fâcheuse tendance à prendre les clients pour des pigeons et les téléacteurs pour un élevage en batterie.
Et voilà qu’en avril dernier, alors que la vague de suicide dans l’entreprise défraye déjà la chronique tout comme les conditions de travail particulièrement dures dans ses call center, l’entreprise se targue d’être, par voie de communiqué de presse, le premier opérateur télécoms à obtenir le « label de responsabilité sociale » pour ses centres d’appels en France.
Interrogé sur le décalage entre le ressenti sur le terrain des salariés et cette labellisation, un responsable de l’AFRC avance que les efforts engagés depuis 2007 (avec l’arrivée de Fabrice André, Directeur de la Relation Client chez Orange France) n’ont sans doute pas encore porté leur fruit « à la base » mais que ces efforts sont bien réels. Il insiste sur la qualité de l’audit mené par Ernst&Young et l’indépendance du jury d’attribution du label. Et rappelle, enfin, qu’en cas de manquement avéré par rapport aux engagements pris par l’entreprise, le label peut être retiré à tout moment.
Un label tout ce qu’il y a de plus sérieux, donc. Brandissant l’exemple de l’affaire Téléperformance, à qui une telle mésaventure est arrivée, le responsable de l’AFRC souligne combien ce désaveu est dommageable pour l’image de marque et, par contre coup, pour la santé économique de l’entreprise. France Télécom est donc invitée à bien se tenir !
Mais il semblerait que le fossé entre les réalités de terrain et l’image qu’aimerait véhiculer ce label de responsabilité sociale soit davantage à chercher du côté de la composition du comité en charge de donner son avis sur la candidature de France Télécom. A y regarder de plus près, il semble que l’entreprise n’y ait pas que des ennemis. Il comprend un membre de la Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle ou du Ministère de l’Emploi. Or l’Etat reste le principal actionnaire de France Télécom. Pas moins de six autres « juges » sont issus de l’AFRC et du SP2C. Or, pur et simple hasard sans doute, les membres composant ces deux structures sont de potentiels prestataires de France Télécom.
Doit-on attendre d’eux qu’ils crachent dans une main susceptible de les nourrir en ces temps de disette ? Par ailleurs, Fabrice André siège au conseil d’administration de l’AFRC. Même si le comité de labellisation est ouvert à d’autres membres, il n’en reste pas moins traversé par des dynamiques de dépendances ténues. L’absence des deux principaux syndicats dans cet organe de délibération - la CGT préférant s’abstenir, et Sud n’ayant pas été estimé représentatif au niveau national par le Conseil d’Etat - pose également question. Quant à la CFE-CGC, elle indique ne pas avoir été consultée.
L’AFRC et le SP2C sont pourtant parfaitement informés des mauvaises pratiques à l’œuvre dans le milieu. France Télécom en tant que donneur d’ordre est souvent pointé du doigt par les prestataires français pour sa politique de délocalisation et son goût pour les enchères inversées qui ont tiré vers le bas toute la profession. Le comité rétorquera, ici, que le label a justement été décerné pour les centres internes et qu’il ignore, à ce titre, tout ce qui a trait à l’externalisation. Mais comme le préconise la CFDT, qui siège au comité, c’est l’ensemble d’un Groupe qui doit être audité et pas uniquement telle ou telle branche. Et l’on est en droit de douter de la crédibilité de l’ensemble du Groupe Orange en matière de responsabilité sociale en France comme ailleurs.
En interne, l’attribution d’un tel label dans le climat actuel « Nous a fait beaucoup rire », raconte Pierre Morville, délégué syndical central CFE CGC. A défaut d’en pleurer.
Lire ou relire sur Bakchich :
Concours de circonstances : hier à Troyes, un technicien de France Télécom s’est donné un coup de couteau à l’abdomen, devant ses collègues en apprenant la suppression de son poste. Aux dernières nouvelles, il serait sorti d’affaire, mais que de dégâts…
Si la gestion de la Poste sera équivalente à celle de France Télécom (déjà que ce n’est pas terrible… !) quand elle sera une SA (Société Anonyme), je plains d’avance les Postier()es…. !