En 2006, un règlement de comptes ensanglantait un bar de Marseille. Une opération brutale, mais une enquête judiciaire mollement menée. Et les présumés tueurs en cavale ont bénéficié de "facilités" surprenantes.
Amis piliers de comptoirs, prenez garde, l’accident est vite arrivé. Par exemple, un plomb dans la jambe parce qu’on est au mauvais endroit, au mauvais moment. Comme à la brasserie des Marronniers, un soir du 4 avril 2006. En même temps, mater un match Lyon-Milan quand on vaque dans un bar à Marseille…
À 21 h 15, une escouade encagoulée et lourdement armée débarque de trois voitures volées et arrose l’assistance. Bilan de la séance de ball-trap : deux refroidis et un subclaquant qui ne passera pas la nuit. Les victimes ne sont pas franchement de tendres inconnus. Le caïd Farid Berrahma et ses deux bras droits, « très défavorablement connus », selon l’expression consacrée des poulets, « pour appartenir au milieu du banditisme […] comme organisateurs d’activités criminelles (machines à sous, trafic de drogue, règlements de comptes) ». Bref, une étoile montante du Milieu marseillais sur le flan, qui faisait feu de tout bois pour protéger son territoire. Deux semaines plus tôt, son rival corse, Roch Colombani, avait ainsi pris à la volée 70 balles de Kalachnikov. Une mauvaise brise « qui l’avait rendu méconnaissable », se souvient un flic.
Un poil suspicieux, les limiers pensent que les « traces de sang » qui cheminent depuis le bar des Marronniers, la « cartouche neuve de calibre12 » et « les éléments d’un fusil à pompe brisé », retrouvés sur les lieux du crime, peuvent les amener vers un des auteurs de la fusillade.
Justement, un dénommé Siméoni s’est pointé, sur les coups de 23 heures, le 4 avril, pour « chute à moto puis morsure de chien », à la clinique Clairval, dans le sud de la ville. Le lendemain, Siméoni a levé le camp, sans demander son reste… Ni prendre le temps d’enlever sa sonde urinaire. Quelques jours plus tard, l’analyse ADN révélera que le blessé des Marronniers et l’échappé de Clairval étaient une seule et même personne, Ange-Toussaint Federici, dit « Santu ».
Un paisible agriculteur corse de la plaine orientale, selon les déclarations qu’il fera plus tard à la police, pris dans une fusillade dans laquelle il n’avait rien à voir, alors qu’il était en train de « boire un verre d’eau ». Les flics le décrivent plutôt comme le chef des bergers-braqueurs de Venzolasca – une bande qui monte en puissance sur l’île et guigne le contrôle de l’arrière-pays marseillais. Quitte à devoir éliminer la concurrence arabe, en emmenant un commando distribuer des glands aux Marronniers…
Deux versions qui se confronteront aux assises. C’est en tout cas ce qu’a décidé le juge en charge de l’instruction, Serge Tournaire, dans son ordonnance de mise en accusation du 13 juillet dernier. Un joli document que Bakchich a pu consulter et qui recèle quelques étrangetés. De la dizaine de membres présumés du commando, seul Santu, renvoyé devant les assises, a été pincé. Sans que la date du procès soit fixée. Quant à sa cavale, elle semble avoir été bien paisible.
« Activement recherché » dès avril 2006, parfaitement connu des services de police, Santu est pourtant bien présent à son rendez-vous avec les services du juge d’application des peines, en septembre, dans le cadre d’une précédente condamnation. Son conseiller en insertion a même eu droit à sa visite, le 21 août 2006.
Cueilli à Paris, le 12 janvier 2007, au sortir d’un restaurant, Santu a les poches pleines. « Une somme de 3 275 euros, consignent les poulets, et un reçu délivré par les services de la mairie d’Amiens, relatif à l’établissement d’un passeport au nom d’Ange Toussaint Giordano. » En clair, le 10 janvier, Santu s’est baladé du côté d’Amiens et a déposé une demande de passeport sous un faux nom. « Cette demande s’inscrivait dans le cadre plus général d’un trafic de faux papiers », notent les flics. En oubliant de préciser que cette filière n’a été démantelée qu’un an plus tard… Après avoir servi à bien des amis de Santu. Notamment à Antoine Nivaggioni, ex-natio’ reconverti dans les affaires, proche des milieux policiers et accusé de détournements de fonds. Nivaggioni a bénéficié d’un certain laisser-aller des forces de l’ordre durant ses quatorze mois de cavale et à sa libération, en septembre. Un vrai-faux passeport l’attendait ainsi à Amiens, en janvier 2008. De là à croire que Santu a bénéficié de la même sollicitude… « Je ne sais pas ce qu’a fait Santu. Je sais, par contre, ce qu’il ne fera jamais : balancer. D’ailleurs, lui est toujours au trou », décrypte un bon connaisseur de l’île.
« Qu’on protège un homme qui donne des renseignements, je peux le comprendre », glisse un grand flic marseillais. « Mais un tueur présumé… » L’État a ses raisons que la raison ignore.
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Federici et un tueur, il servait à protéger les intérêts de la mafia corse, alliés à des politiques.
Non seulement, il cavale tranquillement après ce triple meurtre, mais en plus il devient propriétaire de parts du cercle de jeux Concorde, ouvert avec l’autorisation de Sarkozy…