Nul besoin d’être grand clerc pour obtenir un passeport sous une fausse identité, et dûment tamponné par la préfecture !
C’est ce qu’ont découverts, mi-effrayés, mi-amusés, juges, pandores et flicaille qui ont enquêté sur un dossier à tiroir pour escroquerie, faux en écriture privée, etc… ouverte au printemps 2006 au pôle financier du parquet de Paris par Jean-Christophe Hullin. Le personnage central de ces trafics, Bernard Pradier s’est surtout fait une spécialité d’obtenir de vrai-faux papiers, tamponnés en préfecture. Denrée fort précieuse tant pour les petits escrocs que pour les grands bandits désireux pour semer les cerbères déplaisants de l’Etat. La pierre philosophale du Milieu.
A lire l’épais dossier d’instruction, la méthode de Pradier tient quasi de l’alchimie. Tout d’abord une équipe réduite et « bien connue des services de police », selon l’expression consacrée. Un faussaire, Gérard Maday – au « taux d’alcoolémie permanent », note une mauvaise langue du Milieu –, et un rabatteur Toussaint Casanova, dit « le Parisien ».
Au postulant, un petit pécule est demandé. Entre 5 et 10 000 euros, au bas mot. Selon un argumentaire bien huilé, cette contribution est nécessaire pour appâter le réseau corse, forcément corse, que Pradier et ses acolytes font mine d’entretenir dans les préfectures et les mairies. Est alors remis au futur titulaire de faux-papiers un dossier, concocté par un informaticien véreux, à remplir :
– Extrait d’actes de naissance sur une simple page format A4 inventé de toutes pièces.
– Justificatif de domicile : Facture EDF toute aussi fausse avec une adresse correspondant à l’implantation géographique de l’administration choisie. Il est amusant de constater que même les adresses étaient quelquefois inexistantes !!!
– Une photocopie boiteuse d’un permis de conduire tout aussi fictif, au nom inventé.
Fort astucieux procédé. L’aspirant réalise lui-même la déclaration de perte de tous ses papiers, dépose le dossier assorti des photos et des timbres fiscaux, en ayant bien mémorisé sa nouvelle identité et persuadé qu’il a rendez-vous avec un complice, accomplit ses démarches sereinement. Là réside toute la force de l’arnaque : les postulants à la virginité se précipitent, le bouche à oreille fonctionnant à merveille dans le mitan, car ils ont la certitude d’être couvert par un membre de ce réseau fantoche.
Une dizaine de jours après, le dernier volet de cette mystification est mis en place : Pradier fait appeler le client afin qu’il prenne livraison de sa nouvelle identité, réaffirmant ainsi sa maîtrise sur son supposé réseau. En fait, ce mystificateur attend le délai normal, ayant contacté auparavant le service des passeports en se faisant passer pour le titulaire et retirer lui-même ses papiers.
Du bel ouvrage, rendu possible par un secret de l’administration fort bien gardé. Les documents remis ne sont quasi-jamais vérifiés. Trop de demandes, pas assez de personnel.
Et entre les épaisses liasses du dossier d’instruction, apparaissent de cocasses remarques des poulets. Par exemple, qu’il « appert que le 34 rue d’Amiens, à Rouen n’existe pas », s’étonne un capitaine de police, sur un PV daté du 6 juillet 2007. Adresse pourtant inscrite sur un passeport tout ce qu’il y a « d’authentique » et délivré par la préfecture…
Voyager sans peur des contrôles, passer la douane, ouvrir un compte en banque, être gérant de société, louer des entrepôts, obtenir des crédits… Autant de possibilités plus grisantes pour l’imagination sans limites du fugitif. Cerise sur le gâteau, on se choisit son patronyme, sa date de naissance et sa filiation… Une nouvelle vie !
Un vrai rêve éveillé pour les héros du grand banditisme. Filon que, selon de menues indiscrétions récoltées au sein du Milieu, Bernard Pradier a pris grand soin d’exploiter. À l’instar des Fédéricci, les bergers-braqueurs de Venzolasca, l’une des bandes corses les plus redoutées. Mêlée à la tuerie de la brasserie des marronniers et à l’affaire du cercle de jeux Concorde, cette aimable troupe a largement bénéficié des talents de Pradier. Recherché pour meurtre dès avril 2006, le chef du clan Ange-Toussaint Fédéricci, n’a été serré que le 12 janvier 2007. Et quoique peu bavard, le bonhomme a tout de même voulu rendre un hommage appuyé à son faussaire. « Pradier fait des papiers, ce sont des bijoux », clame-t-il devant lors d’une audition devant un juge marseillais le 14 septembre 2007. Mignon.
Las, le succès facile monte souvent à la tête. Le saint-Bernard, comme l’attestent les nombreuses écoutes que Bakchich a pu consulter, ne prenait guère la peine de masquer son petit commerce. Mis au frais d’avril 2007 à l’été 2008, Bernard le Corse, quoique libéré, se fait, depuis, fort discret. D’autant qu’une cascade d’arrestations, notamment dans le clan des Fédéricci, en Corse et sur le continent, ont été effectuées depuis que les poulets ont remonté sa piste au printemps 2007… et celles de ses vrais-faux passeports.
Le bouche à oreille fonctionne dans les deux sens. Le Mitan ne va pas lui pardonner… Et l’administration non plus, pour avoir éventé son secret.
Lire ou relire dans Bakchich :
Je n’ai pas très bien compris, c’est difficile à suivre. Donc si je résume, une personne désireuse de faux papiers, verse entre 5 et 10 000 euros (à la tête du client) à celui que vous citez ; cette personne va ensuite déclarer la perte de ses papiers sous une fausse identité qui lui est donnée, au commissariat. c’est ensuite que cela se gâte pour moi : il n’y a donc pas de faussaire, ce sont des "vrais faux" papiers qui lui sont délivrés, c’est cela ? donc avec la complicité d’employés de la préfecture ? ou alors on lui fait croire qu’il y a un réseau et en fait il s’agit de faux-vrais papiers établis par le faussaire alcoolique ? on s’y perd dans vos explications !
enfin je ne sais pas ce qu’en pense ce Monsieur Pradier que vous mettez en cause ; mais j’imagine qu’il doit être fumasse en vous lisant ! il a été condamné pour cela ? et la présomption d’innocence ?