La pitié est désormais meilleur marché. Plutôt que d’aller dans les colonies, il suffit de l’exercer en Seine-Saint-Denis.
La bourgeoisie du XIXème siècle avait ses pauvres. De la main gauche, Madame glissait une pièce à l’abbé tandis que, dans la droite, tremblotait l’émouvante lettre du cadet parti civiliser le continent noir. Alors, dans les regards pensifs de Monsieur Prudhomme, se reflétaient l’exotisme farouche de l’Afrique Française et l’humble gratitude des enfants d’ouvriers, en guenilles.
La bourgeoisie du XXIème siècle n’a rien perdu de la générosité qui fait sa grandeur. Elle a toujours ses miséreux. Quant aux sauvages, nul besoin de passer le tropique du Cancer pour les dénicher : ils s’entassent de l’autre coté du périphérique. Dans le 9-3.
Le 9-3, territoire d’incivilisation qui ne se traverse qu’en voiture, à vive allure. Le 9-3, vivier à démunis où puiser l’eau du moulin des bonnes œuvres. Le 9-3, nouvelle terre de missions de laquelle on ne tire nul métal précieux mais l’éclat médiatique d’un altruisme bon marché. D’un côté : la matraque, le flash-ball qui part tout seul et des patrouilles de jeunes flics débutants, poussés à faire du chiffre sur le dos de la « racaille ». De l’autre : les parrainages, les financements de projets, les conventions pour « donner leur chance » à quelques-uns, les « méritants » triés sur le volet. La peur de l’immigré -qu’il soit français ou non- que l’on fait prospérer à coup d’indignation publique dont les sujets de manquent jamais (trafic de drogue, armes, violence à l’école, burka …), rehausse le prestige de ceux qui disent croire à la « dynamique », à « l’excellence » de la jeunesse des banlieues.
Et c’est l’émerveillement devant l’extraordinaire audace du directeur de Sciences Po, lequel, sélectionnant soigneusement les mieux formatés, les plus propres au recyclage social, ose entrouvrir la porte de la rue Saint-Guillaume à quelques étudiants à la peau sombre, au patronyme nostalgique des anciennes colonies. Qui, à son exemple, ne verse pas son obole au combat médiatique pour l’égalité des chances ? Du Groupe TF1 au Rotary Club, de Saint-Louis de Gonzague à l’ESSEC, de Jacques Attali à BNP Paribas, on rivalise d’enthousiasme pour révéler aux nécessiteux leurs talents, inexploités parce qu’ils manquent de confiance en eux.
Dernière inscrite sur la liste des bienfaiteurs des exclus, Carla Bruni-Sarkozy offre aux lycées du 9-3 le soutien financier de sa fondation flambant neuve pour des projets scolaires, dans le domaine des arts bien sûr. Quand « mon mari » s’emploie à casser l’éducation nationale par la réduction des postes et la ghettoïsation des ZEP, la première dame de France vient panser les plaies en choisissant ses pauvres : ceux qui ont la fibre artistique.
Le 9-3, ce département béni où l’on redore à peu de frais une image malmenée par les scandales financiers, l’agressivité managériale et le népotisme, ne le supprimons pas. Comment pourrait-on s’en passer ?
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