Plongée au tribunal correctionnel de Bobigny où cinq hommes comparaissaient pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime ».
Par peur et vengeance, ils avaient projeté de tuer ceux qui, selon eux, étaient les meurtriers de leurs amis. Les cinq hommes qui comparaissaient lundi devant le tribunal correctionnel de Bobigny pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime » et « détention d’armes sans autorisation » reconnaissent les faits. Pour leur défense, ils expliquent : « Nous étions les prochains sur leur liste ».
Leurs larges épaules sont serrées les unes contre les autres. Assis en rang d’oignon sur le banc des accusés, les cinq hommes, âgés de 23 à 34 ans, semblent détendus. Deux d’entre eux pourtant comparaissent sans défense. Leur demande pour obtenir un avocat commis d’office s’est « perdue dans la nature » et l’avocate de permanence dit n’avoir pu « avaler un tel dossier en une matinée ». La présidente demande aux prévenus concernés s’ils sont « certains de vouloir comparaître sans défense », sachant qu’ils « risquent gros ». Ils le sont. Cela fait dix-huit mois qu’ils attendent ce procès en détention provisoire.
À les entendre, c’est bien la vengeance et la peur qui les auraient poussé à fomenter ce plan : « On a eu un coup de chaud, un gros coup de folie après la mort de nos amis ». La Présidente entame le rappel des faits. Entre mars et mai 2007, trois jeunes sont effectivement assassinés dans, ou à proximité de la cité du Clos-Saint-Lazare, à Stains (Seine-Saint-Denis). On s’attend à chaque fois à une nouvelle réplique. Avec une quatrième victime quelques semaines plus tard, le Clos est même étiqueté « cité la plus violente du 9-3 » par certains médias. Le deuxième meurtre, celui d’un repris de justice de 30 ans, abattu au volant de son véhicule de plusieurs balles de gros calibre, date du 28 avril 2007. Deux des prévenus donnent alors des noms à la police criminelle et font part de « rumeurs de meurtre » sur un autre de leurs amis : « Nous savions qu’il était aussi visé et c’est exactement ce qui s’est passé ». Quinze jours plus tard effectivement, ce jeune de 20 ans est retrouvé dans une voiture, tué par balles.
Affolés car persuadés d’être « les prochains sur la liste », les prévenus quittent la cité pour un hôtel de banlieue d’où ils élaborent un projet de vengeance sur « deux membres du clan adverse à l’origine des meurtres », selon eux. Un plan d’assassinat intercepté par la police qui enquête sur les assassinats précédents. Ces écoutes, où les cinq hommes semblent « déterminés et excités », sont réalisées le 20 mai 2007. Trois jours plus tard, les cinq prévenus sont interpellés. Entre temps cependant, ils disent s’être « dégonflés » : « Ce ne sont pas les policiers qui nous ont empêchés de faire quoi que ce soit, on s’était ravisé nous-même ». Cet animateur de nationalité malienne reconnaît qu’il devait être l’un des deux tireurs du groupe : « J’avais la rage, c’est vrai. Mais on a renoncé de notre propre chef. Ma copine était enceinte et je savais au fond de moi que répondre à la violence par la violence nous mènerait à rien… Prévoir un meurtre, à la limite, c’est pas difficile. Mais de là à agir… »
La défense plaide le « désistement volontaire de l’association de malfaiteurs » et demande qu’on ne leur retire pas leur « statut de victime » qui les a poussés à agir. « Vous étiez sûrs qu’on allait vous tuer ? », demande la Présidente. Réponse : « Madame, mettez-vous à notre place. Deux de nos amis se font tuer à quinze jours d’intervalles, la police ne fait rien et les rumeurs nous désignent clairement comme les prochains. On n’allait pas rester les bras croisés ».
Cette théorie de la peur, le procureur Quentin Dandoy ne veut l’admettre complètement. Dans son réquisitoire, il revient sur l’histoire de la cité du Clos-Saint-Lazare où des « bandes rivales s’affrontent depuis quinze ans pour s’approprier le marché d’héroïne ». Il remonte en 1995, année de l’assassinat de Georges, alias « Rico », dans des conditions « extrêmement violentes ». Le meurtre de ce caïd de quartier est pour le procureur le point de départ de « guerres de succession multiples », à coup d’assassinats et de fusillades entre les « grands » et les « petits ». Des trafics démantelés en 2003 et une reprise des hostilités fin 2006 – celles dont on parle aujourd’hui : « Depuis, tout le monde s’arme et dort dans des hôtels de banlieue, se sachant recherché par le camp adverse ». Pour le procureur, aucun doute, la reprise des fusillades dans la cité du Clos-Saint-Lazare a « clairement un lien avec le trafic de stupéfiants ». Il regrette de fait que les prévenus « essaient de se faire passer pour victimes ». Qu’ils aient été des cibles ? « Je veux bien le croire, mais ils ont leur part dans ces événements – la preuve, c’est que la cité s’est calmé depuis leur arrestation ». Le procureur requiert sept ans de prison contre quatre d’entre eux, huit ans contre le cinquième, considéré comme le leader.
Après délibérations, le tribunal ordonne le maintien en détention et condamne les prévenus à deux à trois ans de prison ferme selon les casiers judiciaires des uns et de autres. À l’énoncé des peines, la présidente du tribunal demande à l’un d’eux de rester sur le banc des accusés. Il comparaît dans la foulée pour une affaire de « détention en prison d’un téléphone portable » et écope pour ces faits de trois mois supplémentaires.
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