« ZEP », « RASED », « RAR », « sites d’excellence », le ministère de l’Education nationale n’est jamais en manque d’inventivité pour habiller en mots la débâcle scolaire.
La tradition chinoise, célèbre pour son raffinement en tous domaines, n’attribue pas au nouveau-né un nom saisi au hasard de la mode. Horoscope, histoire familiale, qualités, projet de réussite sociale, telles sont les variables finement examinées par les sages sur lesquelles repose la lourde responsabilité de l’invention du prénom. Après mûre réflexion, en deux idéogrammes le petit chinois est nommé et, du même coup de pinceau, son destin fixé.
Sans égaler la subtilité des fils du ciel, nous portons une attention aiguë au choix des prénoms dont nous affublons notre progéniture. Ainsi, notre aîné Prosper ne manquera de rien tandis que son frère Fidèle n’abandonnera pas ses vieux parents sur une aire d’autoroute au premier symptôme de l’Alzheimer. La petite Aimée verra la vie en rose et sa cousine Bécassine se trouvera bien punie de n’être pas née mâle.
Le ministère de l’Education nationale, dont le discernement se mesure à l’aune des plus sagaces mandarins, n’est pas en reste d’imagination onomastique. Depuis près de trente ans, cette honorable institution nous éblouit de son inventivité : Zep, Razed et Rar ne sont que les appellations les plus médiatisées des rejetons de la prolifique famille des combattants de l’échec scolaire.
Pour la naissance du petit dernier, porteur de tous les espoirs officiels, le ministère ne devait pas décevoir. Un aréopage d’experts a été mobilisé. De quel nom baptiser ces établissements scolaires qui gisent au pied de tours constellées de paraboles pointées aux quatre coins du sud de la planète ? Ces lycées aux élèves redoublants et aux parents d’élèves allocataires ? Ces bahuts renfrognés dans leur coin de banlieue où nous n’inscrirons jamais ni Prosper, ni Fidèle et encore moins Aimée ? Les cerveaux d’élite se sont montrés à la hauteur du défi, on n’en attendait pas moins d’eux. Foin des acronymes poussiéreux et malsonnants ! La tendance est à la simplicité. En deux mots, le nom claque juste : « sites d’excellence » . Respect !
Les Béotiens ironiseront, ne voyant en la périphrase ministérielle qu’une grotesque hyperbole, voire un pur et simple foutage de gueule. Laissons rire les ignorants. Car l’expérience prouve que si l’habit fait le moine, le nom fait beaucoup aussi. L’Histoire ne nous apprend-t-elle pas que la lumière est née du pouvoir d’un verbe bien balancé ? Que l’excellence soit ! Et plus vite que ça.
Professeurs obéissants, lycéens non-grévistes ! A la veille de rejoindre vos sites d’excellence pour une nouvelle année de bonheur, armés de quelques heures de soutien et de ce nom magique, songez qu’un avenir radieux vous est prescrit. Quant à ceux qui pataugent encore dans la boue de l’échec et de l’exclusion : nul ne peut rien contre la paresse congénitale et l’incompétence syndiquée. Ingrats ! Le gouvernement fait tant pour vous.
Ne reste plus qu’à rebaptiser le 110 rue de Grenelle. « Pagode de la félicité » ?
Lire ou relire sur Bakchich :
merci pour cet article amusant.
cela dit, dans le fond, ça n’est pas complètement idiot, confère le fameux "EFFET PYGMALION" (-> http://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Pygmalion)
Dans le fond, seulement… parce que dans la forme… ouch..