Syndicats, parlementaires, écolos, associations… Réformer le fret de la SNCF est une course d’obstacles. Et à la fin, on n’est pas sûr de faire bouger les lignes sans éviter le déraillement.
S’attaquer au problème du fret à la SNCF – 3 milliards d’euros partis en fumée depuis 2003 - c’est d’abord une affaire de résistance physique. Cette semaine Pepy, le vibrionnant PDG de l’entreprise devait faire rebelote avec ses syndicats pour leur détailler de long en large le dernier plan de sauvetage de l’activité mis en musique par l’entreprise en liaison avec l’Etat. Sans compter la séance devant le comité central d’entreprise, « le 21 septembre, j’ai déjà tenu une première table ronde avec eux et le ministère qui a duré 6 heures, de 15 heures à 21 heures » indiquait le patron des cheminots à la presse.
Miracle ! Contrairement aux centaines d’heures de palabres stériles dépensées ces dernières années pour tenter d’infléchir la position des syndicats sur l’organisation de travail dans le fret ( le nombre de jours productifs plafonne chez les cheminots de la maison mère plafonne à 160 par ans contre 210 pour ceux des filiales VFLI ou Naviland ), le sacerdoce de Pepy s’avère payant. Certes, rien n’est gagné. « la direction de la SNCF redoute dans les mois à venir des grèves tournantes site par site lors de la mise en musique des réductions d’effectifs », glisse un observateur. Mais pour l’instant ni la CGT, ni Sud n’ont dégainé de préavis national contre le plan de sauvetage.
Au vrai, pour faire passer la pilule de l’abandon plus ou moins dite d’une bonne partie du trafic, le gouvernement y a mis du sien. Borloo, le ministre de l’Ecologie et son sous-ministre des transports Bussereau ont fait une promesse de don national de 7 milliards d’euros pour relancer la machine une fois que la SNCF aura fermé ses foyers de pertes. Avec ce pactole, Borloo veut faire sauter les bouchons ferroviaires du réseau et aider l’entreprise nationale.
On ignore par quel biais l’argent sortira de la poche des contribuables, mais c’est « du jamais vu depuis la guerre » en a rajouté Pepy. De son côté, la SNCF, dont l’endettement repart à la hausse, investira 1 milliard d’euros pour acheter notamment quantité de wagons porte-camion ou encore des TGV capables de transporter des marchandises.
A cela s’ajoutera la facture de la reconversion de plusieurs milliers d’agents affectés au marchandise. La maison a prévu d’être généreuse en primes pour les inciter à bouger. Comme l’a raconté Bakchich, ce sera le boulot du nouveau Monsieur restructuration, Jean-Pierre Aubert, ex-du Consortium de réalisation – la structure chargée de liquider les actifs pourris du Crédit Lyonnais -. Avançant sur des œufs, la direction en a fait des tonnes. « Il n’y a pas de sur-effectif à la SNCF, il n’y aura aucune suppression d’emploi » annonce-t-elle. Impossible de toutes façons d’envoyer des agents sous statuts au Pôle emploi.
Mais convaincre les syndicats de bouger les lignes du chemin de fer ne constitue qu’un bout de la course d’obstacles des dirigeants de la SNCF. « Tout ce qui touche à la boîte est passionnel, confie un novice qui ne connaissait pas la boîte de l’intérieur et qui se trouve aux manettes. C’est infernal, on a l’impression d’être au café du commerce. Tout le monde donne son avis, les élus, les clients, les associations, les écolos etc. »
D’ailleurs, l’annonce des 7 milliards a aussi servi à calmer ces derniers. Avant l’été, l’association France Nature environnement a poussé un hola sur le mode, « touche pas à mon fret ferroviaire ». « Pour elle, pas question de fermer les trafics non rentables au risque de remettre les marchandises sur les camions. « Si Fret SNCF perd 600 millions cette année, ce n’est pas notre problème. Il faut appliquer la loi Grenelle ». Laquelle traduit un objectif lancé un jour par Sarkozy dans un mouvement de menton : augmenter la part du train de 25 % d’ici une bonne décennie. On peut toujours rêver.
Autre lobby qu’il a fallu calmer : les parlementaires. Dans le délétère climat général, le thème du gaspillage de l’argent public est loin d’être un argument convaincant. Au nom de l’aménagement du territoire et de l’emploi, beaucoup ont rechigné à l’idée que la SNCF ferme des sites. Argument imparable de Pierre Blayau, qui est aussi à la tête des camions Geodis, filiale à 100% de la SNCF. « Savez-vous que le pôle routier du groupe représente beaucoup plus d’emplois que le Fret. Tout élu a dans sa circonscription au moins une agence Geodis » a-t-il expliqué au élus. Ce grand rusé a fini de les retourner avec cette autre vérité. « Si on ne fait rien pour limiter les pertes du Fret, c’est tout simplement la SNCF et l’activité TGV qui sont menacés de mort ». Terrible en effet pour des élus qui lorsqu’ils ne sont pas encore reliés au TGV en rêvent pour l’avoir chez eux.
Reste un os. Les clients qui recourent au wagon isolé et qui se trouvent plus ou moins prisonniers du rail sont furax. Ils constatent que la boîte vient de mettre en l’air le plan mis en place depuis deux ans pour relancer cette activité maudite, avec « tout un système informatique neuf qui ne sert à rien », croient-ils savoir.
L’alternative qui s’offre à eux est claire. Soit arrêter le train, sachant que les concurrents privés de la SNCF ne s’intéressent qu’au trafic les plus rentables. Soit encaisser des sévères augmentations de tarif. « La SNCF n’est pas là pour prendre à sa charge les frais de structure logistique de grands groupes du CAC 40 » justifie Blayau qui vient de se prendre le bec avec les patrons de l’association des chargeurs, l’AUTF. Principaux visés, Total, Arcelor ou d’autres philanthropes qui agitent le spectre d’un afflux massif de camions sur les routes.
Ces grands libéraux qui vilipendent sans cesse l’incurie de l’Etat pour ses dépenses n’ont pas hésité à entreprendre des démarches contre nature. Denis Choumert, le président de l’AUTF l’a avoué devant la presse. « Avant l’été, nous avons demandé au gouvernement un subventionnement. On rêvait que l’Etat comblerait une partie des 400 millions d’euros de pertes de la SNCF lié au wagon isolé. Mais le gouvernement a tiré le rideau ».
C’est vrai le train est un sujet qui suscite des comportements exubérants.
Lire ou relire sur Bakchich :
Il faut faire l’éloge du wagon, car les tonnes-km transportées par camion sont plus dangereuses, plus polluantes, et leur logistique basée sur des centres concurrents est certainement incohérente faute d’une gestion centralisée ( oui je l’ai dit !).
Qu’on nous explique l’intérêt économique et écologique, au sens de Grenelle, d’entrepôts de fret voisins, gérés par des réseaux de transport et de distribution étanches et isolés les uns des autres, provoquant une multiplication inefficace de camions et de km.
Alors, parlons du " wagon isolé", l’usage du singulier est en soi une manipulation du langage, genre : "il reste un wagon à moitié perdu sur une voie secondaire". Et pendant ce temps-là, les émissions de CO2 continuent d’augmenter, et personne n’est responsable ni coupable !