Le Fret souffre de Déficits abyssaux ? Les TER ne tiennent que grâce au financement des régions ? Qu’importe, la SNCF a une vache à lait : le TGV
C’est l’anecdote que raconte le provocateur député UMP Hervé Mariton. « Il y a quelques mois, j’avais suggéré à Anne-Marie Idrac de vendre l’activité fret de la SNCF à la Deutsch Bahn. Cela faisait rire son prédécesseur à la présidence Louis Gallois, mais Idrac l’a très mal pris ! Elle était glaciale. » Drôle de SNCF.
On ne touche pas à une vache sacrée de la République. Même quand certaines activités tombent en morceaux. Résultat d’années d’incurie et de peur bleue des politiques devant toute réforme qui fâcherait les syndicats, les trains de marchandise n’arrivent pas à remonter la pente de déficits abyssaux – 350 millions d’euros prévus cette année ! Las, le milliard et demi d’euros du « plan de la dernière chance » injecté ces dernières années par l’Etat et l’entreprise dans la chaudière du fret, n’a pas suffi à relancer la bête.
Or la concurrence grignote des parts de marché. Et Bruxelles a prévenu : plus question de remettre le moindre centime de subventions. D’où les suppressions de postes et la tentative de modifier le statut des cheminots du fret. Quant aux TER, heureusement que les conseils régionaux sont là pour les financer à la place d’un État au bord de « la faillite », dixit Fillon, et payer des trains flambant neuf à leurs administrés. Du coup, la SNCF fait tout pour choyer ses nouveaux sponsors. On voyait encore lors d’un colloque début octobre, l’ex-centriste Anne-Marie Idrac, pourtant volontiers altière, claquer la bise au vice-président chargé des transports à Rhône Alpes, le socialiste Bernard Soulage. C’est qu’il ne faudrait pas que les régions pourtant de gauche fassent un jour un enfant dans le dos à la SNCF. Pour faire baisser la douloureuse du TER, elles pourraient être tentées dans quelques années, – quand le marché sera ouvert – de confier l’exploitation de leur train aux compagnies belges, suisses, italiennes, voire à Veolia, l’ennemi juré.
Heureusement, une activité marche du tonnerre, c’est le TGV, vache à lait devenue le laboratoire des méthodes inspirées du privé. Une mutation à mettre au compte de la brillante génération de quadras qui le pilotent. Ironie de l’histoire, à l’instar de leur chef de file, le sémillant et inoxydable numéro 2 de la boîte, Guillaume Pépy, plusieurs d’entre eux ont d’abord usé leur fond de culotte dans les cabinets ministériels de la gauche. Premier signe de rupture social-libérale, il y a longtemps que la grille tarifaire kilométrique garanti par la Loti, une loi votée après l’arrivée de la gauche en 1981, a volé en éclat. Place maintenant à celle de l’offre et de la demande. En fait, les sociétés d’autoroutes qui irritent tant la Cour de comptes en ce moment n’ont rien inventé avec leur « foisonnement ». « C’est à la SNCF qu’on a commencé à pratiquer “l’optimisation tarifaire”, affirme ce patron de société d’autoroute passé par le rail en début de carrière avant de bifurquer vers le bitume. On faisait payer plus sur Paris-Lyon qui est plus fréquenté que sur Paris-Tours. Il fallait bien être imaginatif pour limiter le déficit et contourner la Loti ». Pour sûr !
Depuis le 7 octobre, la SNCF a encore compliqué le jeu avec de nouvelles trouvailles, accentuant la tarification à deux vitesses. L’entreprise fait les yeux doux à la riche clientèle d’affaires, ceux qui n’ont aucun abonnement peuvent aller se rhabiller. Changer son billet à la dernière minute coûte maintenant 10 euros ! De quoi fâcher tout rouge la Fnaut (Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports). Souvent pleine de mansuétude, l’association de voyageurs dénonce une « grille complexe et opaque ». Service public, que reste-t-il de ton esprit ? Avec le mérite de la franchise, ce cyber dirigeant ne s’embarrasse pas de langue de bois. « Malgré nos tarifs bas, le TGV n’est pas un truc de pauvre. Il permet à ceux qui sont mobiles de l’être encore plus. C’est un instrument de boboïsation ». Décidément très en verve, notre cadre supérieur pousse la boutade jusqu’au bout. « Les propriétaires dont la résidence secondaire a pris de la valeur grâce au TGV peuvent nous remercier. D’ailleurs, la SNCF devrait prélever une taxe à la revente… ». Pas très libéral, mais très socialiste…
Depuis les Pepy’s boys ont fait mieux encore avec la généralisation du « yield management ». Inspirée des compagnies aériennes low cost, la technique revient à inventer plein de tarifs différents pour optimiser le remplissage et les revenus. Bien malin celui peut dire combien coûte un Paris-Marseille, tant la gamme tarifaire est élastique ! Le principe est simple : moins il reste de places sur un train et plus elles sont vendues chères. A moins de profiter de la braderie de dernière minute ou de s’y prendre deux mois à l’avance. Ou alors d’acheter une carte de fidélité. Ou bien de tomber sur une bonne conjonction astrale le jour où on surfe sur internet. Car en dehors du Web point de salut. Pour faire des économies, l’entreprise aura supprimé l’an prochain un tiers des guichetiers en deux ans. Heureusement, le client n’est pas toujours perdant. La preuve, grâce à la magie d’Internet, le petit malin peut dégotter un fauteuil en première classe moins cher que le pauvre bougre qui a payé plein pot son billet en seconde. La lutte des classes n’est pas morte…
Voui, mais la différence, c’est qu’en principe la SNCF est un service public.
Les discours style Grenelle de l’environnement seraient plus crédibles si le poste le plus polluant (transports) bénéficiait d’une attention appropriée. Le train est écologiquement correct, et son développement devrait être une priorité affichée au plus haut niveau. Ce qui serait d’autant plus facile que l’entreprise est nationale. Miser sur la rentabilité, c’est laisser le fret aux camions, les déplacements locaux aux bagnoles, et les moulinets des bras à Borloo.