Condamné à 12000 euros pour avoir installé des tentes au profit des sans-abris, le DAL fait appel, organise la résistance, en participant à des manifs ce week-end et répond à « Bakchich ».
Qui veut couler l’association Droit au logement (DAL ) ? La question est posée après la condamnation de l’association à 12 000 euros d’amende par le tribunal de police, le 24 novembre dernier. Motif du délit : avoir installé des tentes et couvertures dans la rue au profit des mal logés. Une décision de justice unique et première, du jamais vu. On sort la mitrailleuse lourde pour un nouveau délit : « dépôt ou abandon d’objet embarrassant la voie publique sans nécessité ».
Dans les locaux du DAL rue de la Banque à Paris, trois semaines après on en revient toujours pas et la colère monte, tout comme les soupçons : pourquoi un tel zèle policier à verbaliser ? Pourquoi le procureur représentant les pouvoirs publics a-t-il chargé la barque, assimilant les tentes à des détritus encombrant la chaussée ? Pourquoi requérir une amende aussi phénoménale - 39 000 euros - au regard des moyens du DAL si ce n’est pour mettre l’association à genoux ? « Requérir 39 000 euros, c’est pour nous anéantir, tempête Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du DAL. On est tombés de haut et on ne pensait pas qu’ils iraient aussi loin : le ministère public nous a chargés en guise de représailles. Parce que notre action démontre l’incapacité du gouvernement à tenir ses engagements de s’occuper des mal logés. D’où cette nouvelle stratégie : nous réprimer, entraver nos actions, notre force d’intervention ».
Jamais l’association n’avait été autant dans le collimateur d’un gouvernement. Mais Jean-Baptiste Eyraud reste serein et confiant : « Nous ne cèderons pas, nous continuerons à installer des tentes sur la voie publique », assène-t-il. Samedi 13 décembre, le DAL et d’autres associations organisent une manifestation contre la loi Boutin. Le lendemain, le dimanche 14, rebelote avec en sus une manif contre le jugement ovni du 24 novembre. La solidarité se manifeste, comme un contrepoint à la brutalité administrative et judiciaire : « les dons affluent » en provenance de citoyens scandalisés par le jugement, poursuit Eyraud.
L’association n’entend pas se laisser étrangler mais elle est désormais bien consciente que le danger est là : si en effet ce jugement était confirmé en appel, courant premier semestre 2009, « sans menacer formellement notre existence, cela affaiblirait incontestablement nos moyens d’action ». L’association vit très majoritairement des dons, elle n’en reçoit pas moins une petite subvention des pouvoirs publics via le Fonds d’action sociale (FAS), « le prochain renouvellement servira de test », avertit le chef du DAL.
Une chose est sûre : le DAL est dans le collimateur frontal de la ministre du logement Christine Boutin : « elle a dit qu’il n’y aurait plus de campements, pour elle nous sommes désormais des délinquants », poursuit Eyraud. Au lendemain du jugement du 24 novembre, la ministre avait approuvé la sanction, mettant en avant l’ordre et la sécurité publique : « il ne faut pas mettre les gens en danger (…) il s’agit en réalité d’une affaire de sécurité. S’il y avait eu un accident, que n’aurait-on dit de l’Etat qui aurait laissé faire ». C’est bien connu, les sans-abris sont des dangers publics. Au sein du gouvernement, Martin Hirsch, Haut commissaire aux Solidarités actives, avait pris ses distances, estimant qu’il n’était « pas normal » d’infliger une amende, et avait conseillé à l’Etat de « passer l’éponge ».
La justice peut-elle confirmer le jugement en appel ? Jean-Baptiste Eyraud se refuse à tout pronostic. Il n’en fait pas moins remarquer qu’en avril dernier, lors d’un jugement opposant le DAL à une société de HLM pour installation de tentes sans autorisation, une cour d’appel avait débouté la société parce que l’action du DAL s’était déroulée « sans violence ni dégradation quelconque » ; surtout, la cour avait considéré que « le droit de revendiquer est le corollaire évident au droit d’avoir et à celui d’exercer la liberté d’expression, une des libertés publiques dont le juge judiciaire est le gardien ».
Dernier avatar - passé trop inaperçu - de cette décision de justice d’un tribunal de police : Michèle-Laure Rassat, la juge de proximité qui a frappé fort en condamnant le DAL à 12 000 euros d’amende, a un point commun de taille avec la ministre du logement Christine Boutin qu’elle connaît peut être depuis belle lurette : professeur de droit à la retraite, elle est proche des associations pro vie et pourfendeurs de l’IVG et feraille depuis 20 ans - sans succès - pour que soit reconnue l’existence juridique de l’embryon. Proche de la droite traditionnelle et sécuritaire, elle a entre 1995 et 2000 été chargée de plusieurs rapports et missions par Jacques Toubon alors garde des Sceaux puis Jean Tiberi sur le thème « Réflexions sur la création d’une police municipale à Paris ».
Promue chevalier de la légion d’honneur en 1995 puis officier en 2006, celle qui accepte qu’on la présente dans les colloques comme rien moins que (sic) « l’inventeur de l’idée d’indépendance du ministère public » en matière judiciaire s’en reconvertie en juge de proximité ; elle continue à ce titre à publier dans les revues spécialisées des analyses aussi remarquées que « Propreté canine : solutions juridiques envisageables en matière de déjections ». Encore un trouble à l’ordre public : après les sans-abris, les toutous !
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