Un rapport de l’Igas, que « Bakchich » s’est procuré, révèle que de discrets financements peuvent être distribués discrétionnairement par la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot.
Sensible au lobbying des élus locaux qui défendent mordicus le budget de leur hôpital local, le gouvernement contourne depuis plusieurs années la rigueur qu’il a lui-même imposé aux hôpitaux publics français. Et l’affaire porte sur plusieurs millions d’euros, pas sur des peccadilles ! Alors que la nouvelle loi « hôpitaux » est présentée avec flonflons le 22 octobre lors du Conseil des ministres –vous allez voir ce que vous allez voir, on va instaurer l’hôpital performant - Bakchich a épluché avec délice un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) publié cette année sans fanfare ni trompettes. Quel dommage car les inspecteurs ont soulevé un gros lièvre qui n’a intéressé personne : le ministère de la Santé octroie des subventions discrétionnaires à certains hôpitaux, en violation totale avec la réglementation, martèlent-t-ils. Une extraordinaire hypocrisie : d’un côté tous les hôpitaux publics français sont sommés de résorber leur déficit budgétaire au plus vite, c’est Sarko lui-même qui l’a dit ; de l’autre des « interventions directes du niveau central, sur décisions politiques, conduisent à accorder des aides exceptionnelles » à certains hôpitaux, comme par hasard situés dans des régions ou circonscriptions à ménager. Une telle pratique « discrédite » toute la procédure du fameux retour à l’équilibre financier, colonne vertébrale de la réforme de l’hôpital depuis des années, ajoutent les enquêteurs.
Mais comment est-ce possible ? Le tour de passe-passe est simple, expliquent les fins limiers de l’Igas : une « enveloppe financière à la disposition du cabinet du ministre (NDLR : de la Santé), enveloppe non répartie en début d’exercice, est accordée à certains établissements (NDLR : hôpitaux publics) dans des conditions peu transparentes » (sic). Pour que le plus petit nombre en soit effectivement informé… et que les autres hôpitaux ne crient pas à l’injustice, c’est le ministère de la Santé lui-même – soit sa Direction de l’hospitalisation, soit directement le cabinet du ministre – qui demande, par courrier, à l’Agence régionale de l’hospitalisation d’augmenter la dotation d’un hôpital. L’Agence n’a plus qu’à s’exécuter, car c’est un ordre. Mais comment sont accordés ces financements discrétionnaires ? Certainement pas sur des critères de bonne gestion, plutôt sur la bonne tête, l’influence et la surface politique de l’élu local. Et pas n’importe lequel élu puisque c’est le maire qui est, en général, le président du Conseil d’administration de l’hôpital. Donc, même si l’hôpital a une mauvaise gestion, les ordres sont les ordres, on s’exécute ! Ce qui peut s’apparenter à une forme de clientélisme n’est pour l’Igas pas acceptable : « dans les cas étudiés, ces décisions n’ont pas résulté d’un diagnostic approfondi ni d’un dialogue exigeant avec les établissements. La pratique des dotations ponctuelles a concerné en particulier les CHU et les établissements considérés comme sensibles politiquement ». Diantre, voilà qu’ils lâchent le morceau : il y a donc une nouvelle catégorie d’hôpitaux, les « politiquement sensibles » !
L’Igas a enquêté sur cinq régions et 19 hôpitaux ; parmi ceux-ci, les gros CHU de Nancy, Lille et Toulouse ont ainsi bénéficié des largesses du ministère de la santé grâce à ces dotations souterraines. Ce ne sont donc pas les pouvoirs publics qui font la loi dans certaines régions, mais bien le président du conseil d’administration de l’hôpital, véritable Dieu le père. L’Igas lève toute ambiguïté : « leur poids politique leur permet de s’opposer efficacement et pour de longues durées à des restructurations (fermetures de services) ou d’obtenir in extremis des subventions exceptionnelles du ministère ». Pour ceux qui douteraient du pouvoir de ces potentats locaux, « Certains conseils d’administration refusent la notion même de retour à l’équilibre financier ». En conclusion, l’Igas dénonce avec une vigueur salutaire les « injonctions contradictoires » de l’administration centrale : d’une main elle prône et organise la rigueur, de l’autre elle décide de dotations financières discrétionnaires, des interventions qui « discréditent les actions d’économies » mises en œuvre. Et les enquêteurs soulignent que ces dotations discrétionnaires sont octroyées en violation des règles en vigueur : toute décision de financement doit en effet être prise sur recommandation du Conseil de l’hospitalisation.
Et comme si la charge n’était pas suffisante, le directeur de la sécurité sociale, l’un de ceux qui tient les cordons de la bourse en matière de dépenses de santé, applaudit des deux mains le rapport Igas et enfonce le clou. Il faut, dit-il « limiter et encadrer fortement les mesures ponctuelles de soutien aux établissements par intervention du ministère ou de l’Agence régionale d’hospitalisation, décrédibilisant l’action des gestionnaires vertueux ». Et pour ceux qui douteraient encore de la puissance de feu de cette accusation, il ajoute : « J’insiste fortement sur la nécessité de disposer d’informations plus précises sur l’utilisation et le devenir de ces crédits discrétionnaires ». L’Igas a demandé la même chose aux autorités : des « informations précises sur les montants concernés et leur répartition ».
De quoi relativiser la langue de bois qui a été servie le 22 octobre par le gouvernement sur l’hôpital. Lors de l’un de ses grands discours hospitaliers le 22 septembre dernier, Nicolas Sarkozy avait exigé que « les comptes des hôpitaux fassent l’objet d’une certification ». Il serait bien avisé de balayer devant la porte de sa ministre en exigeant la suppression de ces financements discrétionnaires. Qui seraient restés planqués dans une boîte noire si l’Igas n’y avait pas mis son nez.
Lire ou relire dans Bakchich :
Chers signataires de l’appel pour « sauver l’hôpital public »,
site : http://www.appel-sauver-hopital.fr
Depuis le lancement de notre appel en juin dernier, nous avons sonné l’alerte, rencontré à plusieurs reprises des représentants du Ministère, la Ministre elle-même, et les Conseillers de l’Elysée. En vain. La seule chose que nous ayons obtenue, est un décalage accru entre les paroles de la Ministre Madame Roselyne Bachelot et ses actes.
1°) La Ministre récuse fermement le concept d’hôpital entreprise dont se réclamait le conseiller du président, Monsieur Raphaël Radane, qui nous avait affirmé « je ne vois pas de différence de gestion entre un hôpital et une entreprise d’aéronautique ». Mais la Ministre met en œuvre la pratique de l’hôpital entreprise avec un directeur d’hôpital qui pourra venir du privé, recevoir un salaire équivalent au privé. S’il ne réussit pas à assurer le redressement financier de l’hôpital, il pourra être limogé sans préavis et sans appel par le Directeur Général de l’agence Régionale de Santé, le véritable patron.
La loi prévoit également qu’en cas de « bénéfice d’un pôle », le chef de pôle puisse décider d’un « intéressement financier du personnel ». Des médecins pourront être payés au « bonus » ou à l’activité, ou mieux aux honoraires comme dans une clinique privée. D’ores et déjà, les hôpitaux cherchent à conquérir des « parts de marché ». La Ministre est contre le concept d’hôpital entreprise, mais elle le met en pratique.
2°) La Ministre affirme qu’elle ne fermera aucun hôpital, mais elle n’a évidemment jamais dit qu’elle ne fermerait aucune activité. La question posée est d’ailleurs celle des critères sur lesquels on décide de fermer ou de développer une activité. S’il s’agit de critères dépendant des besoins de la population, des progrès de la médecine, et de l’organisation des soins, il n’y a évidemment rien à redire. Il en va tout autrement si le critère est la rentabilité financière de l’activité. La fermeture du service de Maladies Infectieuses de l’Hôpital Saint-Joseph en raison du manque de rentabilité a suscité une légitime inquiétude, alors que les hôpitaux privés participant au service public sont souvent donnés en modèle
3°) L’ensemble des responsables politiques, du Président de la République au Secrétaire National de l’UMP le Docteur Philippe JUVIN, en passant par la Ministre, affirme que l’hôpital est sur-doté, consommant 64 % des dépenses de santé. La réalité est qu’il consomme 34 % des dépenses et que l’augmentation de ces dépenses est moins rapide que celles de la médecine de ville et surtout des médicaments. De même, la Ministre insiste sur le fait que le budget de l’hôpital augmentera de 3 % alors que, compte tenu de l’inflation et des dépenses engagées par l’Etat lui-même, le maintien strict de l’activité actuelle de l’hôpital nécessiterait une augmentation du budget de 4 % selon la Fédération Hospitalière de France.
4°) La Ministre répète que non seulement elle ne fermera pas d’hôpitaux, mais aussi qu’elle ne diminuera pas le personnel, alors même que la diminution de personnel est programmée dans de nombreux hôpitaux : 400 à Nantes, 650 à Nancy, plus de 600 à Paris, plus de 500 au Havre, 190 à Strasbourg, etc. Le total devrait atteindre, pour permettre « le redressement financier » des hôpitaux, une suppression de 20 000 à 30 000 emplois. Comment prétendre améliorer la qualité des soins avec de telles suppressions, qui toucheront non seulement le personnel administratif mais les infirmières et les médecins ?
5°) La Ministre prétend que la loi « Hôpital, Patients, Santé, Territoires » augmente le pouvoir des soignants, notamment le pouvoir médical. Dans les faits, il s’agit à l’évidence de l’inverse en traduisant dans la loi le mot d’ordre du Président, « un seul patron à l’hôpital » : le corps médical n’a plus aucun pouvoir décisionnaire, il ne peut plus donner que des avis consultatifs. Le directeur nomme et peut révoquer les membres du directoire et les chefs de pôle. Les services hospitaliers sont supprimés, remplacés par « d’éventuelles structures internes », laissés à la libre décision des chefs de pôle et du directeur. L’équipe médicale et paramédicale soignante, qui est à la base de l’hôpital, ne trouve pas la moindre mention dans la loi « Hôpital, Patients, Santé, Territoires ». Cet hôpital, qui ne marchera plus que sur une seule jambe, est un hôpital qui ne marchera pas.
6°) La Ministre prétend qu’elle n’a pour objectif que l’amélioration de la qualité des soins et que la décision du financement à 100 % par la T2A a été justifiée par cet objectif. Or chacun sait que la T2A est un instrument purement quantitatif, qui ne mesure ni la qualité, ni l’indication des soins.
7°) La Ministre prétend alléger les tâches du service public qui reposent sur les épaules de l’hôpital public, en faisant partager le poids des contraintes par les cliniques privées à but lucratif. Elle se demande comment les défenseurs de l’hôpital public peuvent lui faire reproche d’une telle sollicitude. A la vérité, on voit mal comment le privé à but lucratif accepterait des missions non lucratives ou susceptibles de réduire les dividendes versés aux actionnaires. On voit bien par contre comment les cliniques privées à but lucratif peuvent proposer d’assumer certaines missions choisies relevant jusqu’ici du service public, par exemple d’accueillir les bras ouverts des internes de 4ème ou 5ème année qui feront défaut à l’hôpital public, mais pourront être ensuite « capturés » par les dites cliniques.
Finalement, la Ministre et le gouvernement parlent peu ou pas de l’objectif réel : la convergence public / privé, qui prend la forme d’une convergence tarifaire pour 2012. Cette mesure n’aurait de sens que dans une réelle convergence des pratiques et des modes de rémunération des personnels. Elle fait mine d’ignorer que les services rendus à la population ne sont nullement comparables. Et comme c’est souvent le cas, cette convergence se traduira en réalité par l’affaiblissement du service public et le développement du privé lucratif, réel objectif dont on se garde bien de faire la publicité.
Face à une telle politique caractérisée par l’écart de plus en plus grand entre les paroles et les actes, il est urgent de renforcer la mobilisation contre le volet hospitalier de la loi HPST (cf la lettre signée par 960 professionnels hospitaliers, médecins et paramédicaux)
Nous appelons les signataires de l’appel « sauver l’hôpital public » à :
Diffuser cette lettre et l’adresse du site auprès de leurs proches ( http://www.appel-sauver-hopital.fr ), et relancer le recueil des signatures
Alerter tous les élus,
Participer aux actions unitaires pour la défense du service public hospitalier.
Demander, avec nous, un véritable débat démocratique sur l’organisation de notre système de santé et son financement dans notre Pays. Les Américains veulent aujourd’hui le faire. Pourquoi les Français ne le pourraient-ils pas ?
Bien cordialement,
Alain Gaudric , Gisèle Hoarau, Dominique Vincenzi, Alain Sobel, Agnès Heurtier, Bruno Devergie, Jean Claude Pénochet,
André Grimaldi
Finalement, tout cela démontre que le système mis en place il y a quelques années par la droite (Matteï) pour modifier le financement des hôpitaux et des petits notamment ne fonctionne pas puisque le passage du financement par une dotation budgétaire (subvention en fonction du nombre de lits) à la "tarification à l’acte" ou T2A (l’hôpital est payé en fonction du nombre d’actes qu’il réalise et de leur nature) s’accompagne de versements dissimulés.
Et les 235 petits hôpitaux menacés de fermeture ou de réduction de leurs services seraient bien contents de toucher une petite subvention, leurs budgets ne pouvant pas être positifs avec la T2A.
Voir le site de la Coordination nationale des hôpitaux de proximité :