On nous gave de statistiques insignifiantes mais pas inutiles puisqu’elles permettent de tromper carrément l’opinion. La dernière livraison concerne le « patrimoine des Français ».
L’exemple est fameux : si vous divisez le nombre de passages à niveau par le nombre de trains qui passent chaque jour, vous obtiendrez un nombre qui a l’air de sonner « ferroviaire » à l’oreille, mais qui, en fait, ne signifie absolument rien. La preuve, c’est que si vous supprimez 10% des trains, cela ne vous permettra pas de supprimer 10% des passages à niveau… Eh bien, le coup du patrimoine, c’est du même tonneau. Énorme !
En soi, la notion est bizarre : c’est quoi, le patrimoine des Français ? La totalité des sous et des biens meubles et immeubles, diront les comptables, soit la totalité des avoirs bancaires plus la totalité des biens immobiliers, avec tous les objets possédés. Pas exactement : la boîte de sardines qui attend d’être ouverte à midi, le paquet de clopes entamé dans votre poche, les cinq litres d’essence du réservoir de l’auto sont-ils des éléments du patrimoine ? Non, puisqu’ils sont des « consommables », des possessions éphémères. Le patrimoine, c’est le stable. C’est ce qu’on laisse à ses enfants. Ou à d’autres héritiers, si l’on n’a pas d’enfants.
Donc, supposons que par un inventaire géant (dont on ne voit ni par quelle méthode, ni par quels moyens il peut être réalisé…), on arrive à faire le total de tous les biens possédés par des citoyens français, il serait idiot de le diviser par le nombre de Français : si j’ai un patrimoine de dix euros, une épouse et trois enfants, on ne peut pas dire que chacun des membres de la famille ait un patrimoine de deux euros…
Mon épouse n’a rien si ces biens ne tombent pas dans la communauté de mariage, ou la moitié, et mes enfants n’ont rien, sauf donation, tant que je ne suis pas mort, en dehors de leur propre patrimoine, s’ils en ont un. Pigé ? Et si pendant les douze derniers mois mon patrimoine a baissé de 3%, cela n’a rien changé au patrimoine de mes enfants, qui a peut-être augmenté de 5%. Vous suivez ?
Bon, pour faire encore plus simple, passons tout de suite aux conclusions : on se fout de nous. D’abord, parce qu’on ne peut qu’évaluer à coups de serpes la somme des « patrimoines ». Ensuite, parce qu’en divisant ce résultat par le nombre de Français, bébés compris (pourquoi pas les chiens et les chats, qui font partie de la famille ?), on obtiendrait seulement un nombre qui en est la division par 65 073 482. Alors quoi ?
Dire que le patrimoine moyen de chaque « ménage » (c’est quoi, un « ménage » ?) français s’élève à 380 000 euros, est vide de tout sens. C’est, exactement, ce que l’on appelle une absurdité. Autant dire que chaque Français possède 13 grammes de la Tour Eiffel, ou 11 cm du Mont-Blanc.
Pourquoi cette évaluation débile fait-elle l’objet d’une publication orchestrée ? À l’évidence, parce qu’au prix d’un artifice comptable, elle tend à accréditer l’idée que la crise touche également tout le monde. Le patrimoine des Français a reculé de 3% ? Cela tend à dire que je perds 3%, toi aussi, Josette aussi. Bref, vous vouliez de l’égalité, vous avez de l’égalité. Foutaise ! Aux dernières nouvelles, qui datent de juillet 2008, près de 8 millions de personnes sont classées « pauvres » en France, avec des revenus inférieurs à 880 euros par mois, soit plus de 13% de la population.
Parmi celles-ci, un bon tiers a pourtant un « patrimoine », notamment en zone rurale : certaines possèdent leur maison, voire des arpents de terre, comme on dit, du « bien au soleil ». Elles n’en sont pas moins absolument pauvres. Fauchées comme les blés, avec des retraites de gueux, ou chomagisées par des gommeux allemands ou monsieur Total. C’est ça, la vie… Au fait, on est toujours aussi peu renseignés sur le patrimoine du Président, et sur son évolution…
On a prétendu que la hausse surréaliste de l’immobilier (toute cette spéculation va s’effondrer bien au delà de ce qu’annoncent la FNAIM, les notaires et tous ceux qui ont alimenté ce poison) avait « augmenté » le patrimoine des Français. C’est une augmentation virtuelle, au mieux, pour tous ceux qui n’ont pas vendu leurs biens. On nous rebat les oreilles avec le syndrome de l’île de Ré : le nombre des enrichis par de tels miracles est ridicule, et se limite aux heureux mortels qui ont vendu leur champ de patates ou leur remise à des parigots en mal de marées iodées (lesquels commencent à revendre – à perte – parce que leurs actions ont coulé…).
Quand vous êtes proprio de votre appart, peu importe qu’il vaille 10 ou 12 euros aussi longtemps que vous l’habitez. Ah, mais si je le vends, j’ai gagné des sous ! Non, car pour racheter un autre appartement comparable, il vous faudra sortir une somme majorée du même pourcentage (ou aller habiter sous une tente). Donc, votre « patrimoine » ne s’est valorisé que si, comme on dit, vous le « réalisez ». Sinon, vous restez dans le virtuel !
Pour tous les proprios pauvres (comme on dit : les travailleurs pauvres), rien n’a changé. Certes, les riches ont pu faire de bonnes affaires : il faut bien que la spéculation serve à quelqu’un… Mais la spéculation (c’est le cœur de la crise financière), instrument d’une économie virtuelle, ne produit que des richesses virtuelles – et une crise réelle, lorsque se dégonfle la « bulle », métaphore charmante pour parler d’une escroquerie de grande ampleur.
L’escroquerie, nous y sommes plein pot quand les nains gouvernementaux s’évertuent de démontrer, qu’en fait, le bouclier fiscal est venu soulager des misérables. Là encore, on commence par diviser le montant total des restitutions fiscales par le nombre des bénéficiaires, pour aboutir à un nombre raisonnable, de l’ordre de 30 000 euros.
Mais si, en espérant qu’on ne verra pas la contradiction, on affirme que les restitutions ont essentiellement profité à des gens aux « faibles revenus déclaratifs » (du moins, pour certains, après les bons effets d’une accumulation de niches fiscales, ce qui laisse dans l’ombre leurs revenus réels), cela veut dire que, pour un bon tiers des bénéficiaires, la remise a été prodigieuse. Donc, que le bouclier profite fondamentalement aux nababs, et leur garantit une exemption fiscale monstrueuse en temps de crise. Chose dont on se doutait.
Sans honte, la voix autorisée de Luc Chatel, chargé de panser les plaies sociales avec un argumentaire à trois balles rédigé par un pro de la com’ (« le problème, c’est qu’il y ait des pauvres, pas qu’il y ait des riches ») et ressassé avec son bon sourire d’ami des pauvres quand ils sont propres sur eux,, confirme que le gouvernement a grand soin de conserver au pays les riches dont il a tant besoin. Eh bien justement, ces riches là, ce qui les caractérise, c’est qu’ils n’investissent pas chez nous. Où avez-vous vu que Pinault créé des emplois ? De toute manière, l’investissement privé, par rapport à celui des « institutionnels », est, chez nous, pas ridicule mais presque, et même il s’opère au travers de holdings : arrêtons de nous bassiner avec un « capitalisme familial » dont les dinosaures croupissent de l’autre côté de la frontière belge pour empocher les bénéfices d’Auchan avec un cynisme qui mériterait sinon la guillotine, du moins la confiscation des biens (why not ?).
Parcourez le liste des plus grandes fortunes françaises : vous y verrez un bon tiers d’héritiers qui n’ont fait que bénéficier des bonnes affaires de papa (Parisot, tiens, par exemple), et surveillent la lessiveuse. Alors, quand Sarkozy défend ce bouclier parce qu’il a été élu « pour récompenser le travail », il se fout de nous : le vrai riche ne travaille pas, il jouit de son patrimoine. On attend, là-dessus, des statistiques parlantes !
À lire ou relire dans Bakchich :
Cet article est affligeant. C’est ce genre d’attitude conspirationniste qui empêche toute analyse et échange de réflexion. Vous ne citez aucune source et vous abritez derrière un "ON veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes" L’INSEE publie une étude sur le patrimoine des français : quoi d’étonnant ? Lisez-là et vous verrez qu’on n’y parle pas de ménages. http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1229/ip1229.pdf
Où est le trucage ? Où est l’orchestration ?
La mesure des patrimoines est une chose difficile, car on n’a pas les outils statistiques (pas d’institution qui vous oblige à dire ce qu’est votre patrimoine)
Cela explique en particulier pourquoi on n’a pas accès facilement à des données comme la répartition des patrimoines
Sur le fond, il est intéressant d’appendre qu’un ménage français a en moyenne pour 280K€ de patrimoine immobilier et 90K€ de patrimoine financier Ce n’est d’ailleurs pas si contre-intuitif que ça, puisque avec 58% de propriétaires et une surface moyenne occupée de 90 m2 environ, il faut bien avoir les sous en face. Vous soutenez que la richesse immobilière est virtuelle. Demandez-leur avis aux locataires…
Alors évidemment, ça colle pas avec votre représentation mentale d’un pays de miséreux exploité par une caste de riches. La vérité est moins manichéenne : il y a une tranche de pauvres vraiment dans la galère, 10-15%, une grosse classe moyenne avec une partie locataire qui rame un peu, et une partie propriétaire, qui grosso modo ne sont pas malheureux mais n’ont pas beaucoup de moyens, une tranche de riches, 10%, qui ne sont en fait que des cadres sup propriétaires de leur résidence principale, avec un peu de placements, et plutôt aisés, et des ultra-riches, 1-3 %.
La vérité, c’est que la plupart des gens font des sacrifices pour être propriétaire, ce qui finalement, est assez petit bourgeois comme mentalité…
Merci de confirmer que le calcul du patrimoine est impossible à faire avec précision et que l’emploi du terme "ménage" est troublant … C’est pourtant ce terme qu’on entend sur tous les médias, et dans la bouche des ministres ! Donc, quelque part, on veut faire croire que, dans le fond, à part 15% de pédzouilles loqueteux et incurables, personne n’a à se plaindre. CQFD. C’est, du reste, engros ce que vous suggérez : un peu d’aumone sociale, et à part ça, les familles ont assez de soupe pour bien vivre…
Le pb, ce n’est pas le nb des riches, c’est ce qu’ils possèdent par rapport au reste des Français - et donc, leur poids (affligeant !) sur l’économie et la politique. Nous allons être le seul gros pays qui les dispense d’un impôt de crise… Pourquoi ? C’est ça, l’archaïsme de Sarko, qui est un parvenu du XIXe s, le Rastignac de Neuilly, le Rubempré du Fouquet’s que les banquiers et les financiers font rêver !
Et les mecs de la Société Générale qui se gavent, c’est pas des riches sympas ? Toutes leurs stock-options, aux dix gros nuls, grâce au bouclier, c’est net d’impôt et ça tombe dans le patrimoine ! OK ? Tandis que la fameuse "classe moyenne", elle va raquer sur toutes ses lignes de patrimoine et de revenus…Pourquoi, moi, avec mes revenus moyens, j’ai pas droit aussi à ne payer que sur une partie de mes revenus ? Le bouclier fiscal, en effet, ça revient à faire qu’un mec qui a 100 paye comme un mec qui a 60 ou 65. Quand la fameuse Veuve Meyer reçoit 530 millions de ristourne fiscale, vous imaginez le niveau de ses revenus !
Quant aux locataires, la spéculation immobilière aura eu pour seul effet d’mpêcher encore plus leur accès à la proriété (moins 30% de vente aux primo-accédants). Vous avez raison, ils ont vu la différence !
Severin, il vous ne démontrez rien du tout. Une moyenne, cela ne signifie pas que tout le monde a la même chose.
Cela montre simplement que les français ne sont pas que pauvres. S’il y a 12% de pauvre, il y en a 88% qui ne le sont pas.
Et ça, c’est pas en russie, en chine, en inde ou en afrique qu’ils peuvent dire la même chose.
Mais il faudrait que vous donniez les chiffres des autres pays.
Dans un pays riche l’immense majorité des habitants peut parfaitement être pauvre si seule une minorité est extrêmement riche. Dans un pays comme la France 80 % des richesses sont possédées par 20 % de la population et donc ce qui est significatif de la richesse du Français moyen ce n’est pas le patrimoine moyen.Le patrimoine des Français qui font partie des 80 % qui se partagent les 20 % peut parfaitement baisser alors même que le patrimoine moyen des Français augmente.Par ailleurs la valorisation des patrimoines est largement virtuelle en période de bulle spéculative. Surtout si la valeur de votre patrimoine c’est la valorisation d’une entreprise…
Pour finir , vous dites que si 12 % de Français sont pauvres , 88 % ne le sont pas. Je dirais plutôt l’inverse : si 12 % de Français sont riches, 88 % ne le sont pas !
Farpètement cher Monsieur !
D’ailleurs dans son inventaire, Buzinet a oublié de parler des chiffres de la délinquance et de ceux du chômage.
Ceux-ci seraient revenus - sans rire - au niveau de ceux remontant à quelques années ; à une époque où le décompte ne s’effectuait pas de la même manière. Avant, on comptait ceux qui ne travaillaient pas. Maintenant, pour ébaudir l’électeur, on compte seulement ceux qui ont droit aux allocations de chômage.
Quant à ceux là … Trop drôle "l’indépendance statistique" !