Après les fonctionnaires, ce sont les salariés de Total qui descendent dans les rues de Mayotte. La situation est complexe dans ce qui deviendra en 2011 le 101e département français.
Un vigile. Une chaîne tendue en milieu de l’entrée. Depuis lundi, toutes les stations essence Total – en monopole à Mayotte – offrent le même paysage. Les salariés de l’entreprise, à l’appel d’une intersyndicale, se sont mis en grève illimitée pour obtenir notamment des augmentations de salaires. Du coup, l’île au lagon s’en trouve considérablement ralentie. Les embouteillages, pourtant fréquents à Mamoudzou, la principale ville de Mayotte, ont disparu, et peu de bateaux laissent leurs sillons sur le lagon. Mercredi, une petite délégation d’employés a manifesté devant la préfecture. Ils demandent un 13e mois, une prime d’intéressement… autant de facteurs qui pourront augmenter leur pouvoir d’achat. Car à Mayotte, le Smic est à 927 euros brut (1 324 euros en métropole) alors que les prix sont « plus élevés que dans n’importe qu’elle autre DOM » explique Hamidou Madi M’Colo, secrétaire de l’Unité territoriale Force ouvrière à Mayotte.
C’est que Mayotte n’est pas encore un DOM et que beaucoup de travailleurs fondent des espoirs sur cette départementalisation qui interviendra en 2011. Après le passage en DOM entériné par la consultation du 29 mars, l’heure est donc aux grèves. « Nous sommes en pleine évolution » continue M. Madi M’Colo. Le syndicaliste pense donc que les mouvements ne déboucheront pas sur une révolte semblable à ce qu’a connu la Guadeloupe. « Pas pour le moment du moins. On verra comment ça se passe dans un an. »
Car si les Mahorais ne sont pas encore révoltés, la grogne pointe le bout de son nez. Avant les salariés de Total, les instituteurs ont fait grève les 14 et 15 mai pour demander l’indexation des salaires des enseignants embauchés localement (un bac + 2 suffit) sur ceux des professeurs des écoles du premier degré. Les surveillants de la prison de Majicavo ont participé au mouvement national en faisant le blocage du centre pénitentiaire pendant quatre jours. Les salariés du Comité départemental du tourisme ont entamé une grève contre les éventuels licenciements à venir compte tenu d’une situation financière déplorable. Les employés locaux du conseil général ont fait grève pour demander l’indexation de leurs salaires sur ceux des métropolitains (NDLR : dans les administrations, les métropolitains ont un salaire majoré de 40 % alors que les employés embauchés localement touchent le salaire local) et la barge qui relie petite terre à grande terre a été bloquée.
Beaucoup de mouvements pour une île de 370 km² cependant qualifiée par beaucoup de « poudrière ». Un terme qui évoque la situation sociale mais aussi d’autres tensions. A Mayotte, un réel clivage existe entre les M’zungus (blancs européens) et les Mahorais. Exemple dans les administrations où les blancs et les Mahorais ne se mélangent pas pour déjeuner. Des quartiers pour blancs fleurissent un peu partout donnant parfois sur des bidonvilles de tôles. Les blancs souvent employés des administrations sont synonymes de fort pouvoir d’achat. Ou alors ce sont des touristes souvent cibles des voleurs sur les plages reculées de l’île.
Et il y a aussi ce clivage entre les Mahorais et les Comoriens, boucs émissaires, source de tous les maux de la société Mahoraise. En avril 2008, des manifestations de Mahorais demandaient même l’expulsion de tous les clandestins. Alors qu’au même moment le président Ahmed Abdallah Sambi de l’Union des Comores revendique l’appartenance de Mayotte à l’archipel. Île de contraste, comorienne géographiquement et française historiquement, prise entre deux feux, Mayotte nage aujourd’hui en pleine schizophrénie dans le canal du Mozambique.
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