Au secours, les archives risquent de disparaître ! Grâce au courage de plusieurs sénateurs, dont l’éminent René Garrec ou le président de la Cnil Alex Türk, la loi sur les archives, qui doit être discutée en fin de mois à l’Assemblée, a été alourdie d’un amendement qui prolonge de 50 à 75 ans la durée de fermeture de certains archives. Ce qui fait bondir chercheurs, ministères et députés.
Au lieu de 50 années nécessaires à l’ouverture d’archives comportant des données sur la « vie privée » ou des « enquêtes réalisées par les services de la police judiciaire », les sénateurs ont rallongé le délai à 75 ans. Avec un argument très sérieux : l’espérance de vie s’allongeant, il s’agit de protéger plus longtemps les personnes apparaissant nommément dans les archives…
À l’origine, cette loi est pourtant refondue (la dernière mouture date de 1979) de manière à réduire les délais et augmenter la disponibilité des documents qui émanent de l’État. Premier fâché du zèle sénatorial, le ministère de la Culture, créateur de ce projet de loi : « Notre conception, c’est que cette loi doit être une loi d’ouverture. Rallonger la durée comme le propose le Sénat envoie un contre-signal fort », considère-t-on dans l’entourage de Christine Albanel, avant de préciser : « Cela supposerait de refermer des fonds déjà ouverts… »
Circulez y’a plus rien à voir ? Les thésards et autres universitaires le craignent : « Toutes les archives que j’ai consultées ces derniers mois, je ne pourrais plus les voir », grince Camille, qui prépare une thèse sur la décolonisation en Mauritanie, « déjà que j’ai dû avoir un tiers des dérogations demandées… » Habituée à fouiller dans le fonds Foccart ou même du côté des archives de la famille Debré, Camille signale d’ailleurs que « dans les archives, tout le monde est cité ! » La jeune étudiante n’est évidemment pas la seule à faire un pataquès : « L’adoption du délai de 75 ans signifierait par exemple qu’un certain nombre de dossiers produits pendant la période de la Seconde guerre mondiale, communicables aujourd’hui, ne le seront plus », indique l’Association des Archivistes Français (AAF), entre autres réserves émises.
Malgré tout, à l’Assemblée nationale, on ne se laisse pas abattre. Le député rapporteur du projet de loi François Calvet a rencontré ses pairs du Sénat, avec qui un terrain d’entente aurait été trouvé : « Je lui ai dit que c’était pas possible, à Garrec ! », gronde l’élu des Pyrénées-Orientales, « Il faut quand même évoluer. Si on doit vivre caché, ce n’est pas la peine. Moi je préfèrerais aligner les archives sur un délai de 50 ans. On a préparé un amendement » souligne le député UMP, visiblement soucieux de bien faire son boulot : « Je veux qu’on puisse écrire l’histoire de manière correcte. Est-ce que je serai soutenu à l’assemblée ? Je ne sais pas. Je l’espère… »
L’hémicycle sera peut-être le 29 avril prochain le théâtre d’une lutte entre pro et anti 75 ans de délai de protection de la vie privée. Mais en attendant, il est une bataille que les sénateurs ont déjà presque gagnée, car la loi comporte évidemment des dizaines de cas de figures : les archives de l’Assemblée et du Sénat ne seront pas versées dans le domaine public. « Le projet de loi prévoit de soumettre au droit commun du code du patrimoine les archives des assemblées parlementaires ».
« Cette disposition nous irrite quelque peu », a fait savoir à l’assistance l’infatigable René Garrec, « Se faire toiser par les fonctionnaires des archives, quelle que soit leur qualité professionnelle, cela nous gêne un peu ! » Vilainement toisé par les archivistes professionnels – « l’AAF n’approuve pas qu’une autonomie ait été conférée aux assemblées, disposition paradoxale quand on sait que l’origine des archives nationales se trouve dans celles de l’Assemblée nationale » –, le Sénat peut se rendormir sur ses deux oreilles : sa contribution n’est pas passée inaperçue.
Henri Rousso exprime avec beaucoup de bon sens l’un des points de vue défendu depuis le début du projet par l’Association des archivistes français (retour au délai proposé dans le projet de loi initial avant modification par le Sénat, système de déclassification)
Association des archivistes français. Communiqués du 3 avril et du 24 avril 2008 : http://www.archivistes.org/article.php3 ?id_article=617 http://www.archivistes.org/article.php3 ?id_article=646
Il est inconcevable qu’on referme des dossiers ouverts à la recherche depuis maintenant plusieurs années, pour lesquels des instruments de recherche ont été publiés à l’issue de travaux de recherche et de classement de grande amplitude et dont on trouve en ligne de nombreux extraits.
Aucun archiviste ne peut approuver un tel recul, au moment même où ces archives sont ouvertes au public, qu’elles aient été conservées depuis l’origine ou soient récemment entrées dans les services d’archives publics.