Mara Goyet, à qui l’on doit notamment "Collèges de France", a pondu un petit livre rigolo et surprenant sur les mots et les choses parfois stupides, souvent cocasses, qui peuplent notre très moderne quotidien.
Pour qui recherche le bouquet final, les rayons des libraires recèlent encore de jolies fleurs, même par temps de gel. Mara Goyet sort un bouquin rare qui, pour parler comme elle, n’est pas à mettre entre les mains des cons. Résumé de quelques chapitres.
PowerPoint. Cet outil permet aux « formateurs » de projeter des lettres ou des images de taille géante. Voici cette lanterne magique de la modernité vue par notre auteur : « Pour la joie d’écrire en énorme quatre mots à la con sur un mur qui, par magie, semblent lourds de sens. Le procédé est incroyable : un écran projette des mots, cons, qu’un con lit simultanément, dans une orgie tautologique sans pareille… C’est le tag existentiel de nos néants organisés. »
Casque de pointe. « Les casques audio sont aujourd’hui obèses… Plus il est énorme, plus il laisse penser que la musique écoutée est bonne. Écouter fort, c’est écouter beau. »
Gilet fluo. « C’est l’uniforme démocratique (de l’égoutier à Lagerfeld, toujours le même gilet) de l’homme en sursis, de l’homme nu, de l’être pour la mort… Nous sommes tous des cibles précaires. »
Relooker. « Vous savez, épreuve ultime, que les pompes funèbres, les thanatopracteurs vont dans un dernier outrage vous relooker façon macabre. Il n’y a plus d’issue. »
Rectangle. « Il y aurait une étude à faire sur l’omniprésence des lunettes rectangulaires. À un footballeur, elles donnent l’air intellectuel. À un homme de 50 ans, l’air fidèle. À la déprimée, l’air combatif. »
Capsule. « Il y a fort à parier que le succès du café en capsule repose sur la capsule elle-même. »
Directions. « Le panneau qui permet de traverser le boulevard du Montparnasse a des beautés inédites. Sans doute a-t-il été conçu par Maurice Béjart, tant il est chorégraphique : un pas, je tourne la tête à gauche, voitures, pause, deux pas, je tourne la tête à droite, bus et taxi, pause sur le terre-plein, tête à gauche, bus en vue, pause, passe le bus, deux pas, tête à droite, voitures au loin, pas, pas, trottoir atteint. »
Gourmand. « La gourmandise du monde, stade ultime du capitalisme. »
Impacter. « Des mots ou des expressions qui donnent l’air intelligent ont été forgés pour le commun des mortels dans un souci de démocratisation tout à fait louable. »
T9. Le langage des téléphones portables. « Écrivez “sublime”, “Staline” apparaît sur le petit écran. »
Bouger les lignes. « C’est changer sa communication plutôt que l’ordre du monde. »
Ad hominem. « Ce type d’attaque n’est pas sans rappeler la presse des années 30… Dites que Besson a des yeux de fouine, qu’Aubry est un petit pot à tabac, et vous voilà dans l’antichambre du commissariat aux questions juives. »
Dérapage. « Si parler vrai c’est déraper, où va-t-on ? »
« Poor Guy ». « Nicolas Sarkozy a tué Guy Môquet. » Noyé dans un tonneau de parfum Enrico et Mireille, le 7 mai 2007 à la Concorde.
Mara Goyet est comme les pistaches à l’heure de l’apéro, difficile de s’arrêter avant de toucher le fond du bol. Son bouquin est drôle et pertinent, surprenant. Un exploit pour cette jeune intellectuelle qui, dans sa carrière, est pourtant cornaquée par deux des plus solides enclumes de la profession : Pierre Nora et Marcel Gauchet, ce dernier qui tient d’une gauche chrétienne et douloureuse – delorosa – façon Delors.
Comme Gracq, Mara est géographe, ce qui démontre que cette discipline mène à tout si l’on joue la bonne carte. Un léger reproche : on sent dans ses Formules que Mara, n’a tout au plus, dans sa vie, souffert que d’un quatreheures sauté à l’âge du CP… Elle le montre quand elle se fout du prolo qui « habite Asnières » alors qu’il en rêve, lui qui est assigné à Grigny.